Avis JDP n°441/16 – LOGICIELS INFORMATIQUES – Plaintes fondées

Avis publié le 03 janvier 2017
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 17 octobre, 15 et 18 novembre 2016, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un catalogue publicitaire diffusée par une société proposant des logiciels informatiques.

Cette brochure comporte plusieurs publicités présentant des visuels de femmes, notamment les images suivantes:

– femme vêtue d’une longue robe blanche, ouverte sur le côté droit, jusqu’à la taille, laissant apparaître la jambe et la hanche nues,

– femme vêtue d’une robe rouge courte et décolletée et de chaussures à talons hauts, assise sur un cube portant la marque, une jambe relevée,

– femme vêtue d’une tenue noire, une bretelle de son haut tombant sur l’épaule, les jambes écartées, un doigt porté à sa bouche entrouverte,

– femme vêtue d’une robe rouge très courte, se tenant debout, en appui sur une jambe, la main posée sur la hanche, l’autre main dans les cheveux,

– femme nue, portant des chaussures à talons hauts, et tenant une boîte portant la marque sous le bras,

– femme allongée, vêtue d’un maillot de bain deux pièces blanc et portant des chaussures à talons hauts,

– femme vêtue d’une tenue violette, très décolletée, la tête rejetée en arrière, les yeux fermés,

– femme vêtue d’une robe à volants bleue, dévoilant ses jambes nues et la naissance des fesses,

– femme vêtue d’une tenue rose très décolletée, dévoilant ses jambes nues, une bulle exprimant sa pensée indique « J’utilise des rubriques calculées ou je code moi-même ? »

– femme vêtue d’une robe blanche courte, allongée sur des boîtes, une jambe relevée, chaussée de chaussures rouges à très hauts talons,

– femme assise sur un tabouret haut, vêtue d’une robe scintillante bleue relevée jusqu’en haut des cuisses, laissant apparaître sa culotte, accompagnée du texte « X mes projets sont mobiles »

– ….. etc.

2. Les arguments échangés

– Le premier plaignant considère que cette brochure publicitaire comporte des images réduisant la femme à un objet sexuel, ce qui est contraire à la Recommandation de l’ARPP.

La plainte indique que, s’il y a davantage d’hommes que de femmes qui travaillent dans le secteur informatique, le produit proposé est un outil informatique qui n’a pas de caractéristique genrée et n’a pas de raison d’en avoir. Or, la brochure de la société traite les hommes et les femmes de manière bien différente. En effet, la brochure présente de nombreuses photos où les femmes sont réduites à faire figure d’objets de séduction (pages 21, 28, 39, 59, 66, 69, 81, 91).

Par exemple, la femme représentée en page 21 porte une robe légère qui dévoile des jambes dénudées. La femme représentée en page 28 a une position intentionnellement aguicheuse, tout comme celle des pages 39, 59. Les photos des pages 69 et 81 combinent des postures aguicheuses avec des suggestions de nudité. La photo de la page 66 montre certes une femme devant un ordinateur (donc potentiellement utilisatrice), mais avec une tenue et dans une position qui n’évoquent pas du tout le travail. Ce catalogue contribue donc à décrédibiliser les femmes qui travaillent dans le milieu informatique. Enfin, la photo de la page 91 est également volontairement provocatrice. La phrase qui l’accompagne “Vos applications sont plus belles et plus rapides en version 22” renvoie à nouveau la femme à sa simple apparence : “belle”, l’adjectif “rapide” étant utilisé de manière ironique puisque l’illustration montre une femme en talons hauts qui est présentée de manière factice comme étant en mouvement. En comparaison, la seule photo d’homme “caricaturale” est celle d’un homme musclé en page 54.

Pour toutes ces raisons, il lui semble que cette brochure enfreint les dispositions de la Recommandation : “Image et respect de la personne” concernant les points 1- Dignité, décence et 2 – Stéréotypes.

La plainte indique également que, à l’heure actuelle, différentes associations ainsi que des politiques gouvernementales tentent de déconstruire les stéréotypes qui découragent les jeunes filles de poursuivre des études scientifiques, en particulier d’informatique. Cette brochure, au contraire, conforte ces stéréotypes, en réduisant les femmes à un rôle de séduction. Elles sont en effet présentées comme des friandises ayant pour seule utilité d’égayer le monde sérieux et masculin de l’informatique. Cette publicité donne donc un signal hostile aux femmes qui pourraient être intéressées par l’informatique, et met très mal à l’aise celles qui travaillent déjà dans le domaine du développement logiciel.

Les deux autres plaignants considèrent que l’annonceur ne représente les femmes que de façon sexualisée et dégradante, dans des postures langoureuses ou suggestives. Les photos d’hommes sont beaucoup moins nombreuses et pas à connotation sexuelle. Ils soulignent que cette société a fait le choix quasi exclusif – depuis plus de 20 ans – d’axer ses supports et publicités sur ce type de vision sexualisée de la femme, alors que, en tant qu’homme on peut être choqué que l’on s’adresse à vous de cette façon (en intercalant – toutes les 4 pages – la photo d’une femme allongée, en talons aiguilles, à la chevelure abondante et en maillot de bain, ou les jambes écartées…).

– La société a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 4 novembre 2016, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

La société n’a pas présenté d’observations.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose en son point 2 que :

« 2.1 La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que les très nombreuses photos illustrant le catalogue publicitaire de la société présentent de façon quasi-systématique des jeunes femmes dans des postures langoureuses et des tenues légères voire dénudées, pour promouvoir des logiciels informatiques. Ce support publicitaire utilise ainsi le corps de la femme comme faire valoir d’un produit sans rapport avec le corps, et réduit ainsi les femmes à la fonction d’objet, voire d’objet sexuel, portant atteinte de ce fait à leur dignité.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que le catalogue publicitaire en cause méconnaît les dispositions de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 2 décembre 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, et Leers.