LE GRINCHEUX – Affichage – Plainte fondée

Avis publié le 9 octobre 2020
LE GRINCHEUX – 677/20
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les observations présentées par le plaignant lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 9 juillet 2020, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un visuel publicitaire en faveur du bar Le Grincheux, situé à Strasbourg.

Le visuel publicitaire en cause, apposé sur la vitrine de l’établissement, est une peinture de personnages inspirés en partie du dessin animé Blanche-Neige de Walt Disney. Il montre deux jeunes femmes en maillot de bain, l’une assise sous un parasol, l’autre debout sur la plage. La première, dans une pose lascive, a les seins nus mais largement masqués par deux verres posés sur une table. A la table est accoudé le personnage du nain Grincheux qui la regarde. En arrière-plan, la seconde femme a l’apparence de Blanche-Neige et observe la scène d’un air mécontent, les bras croisés.

A gauche de la seconde femme figurent des informations sur une « promo d’été » concernant des boissons.

2. Les arguments échangés

Le plaignant reproche à cette publicité son caractère sexiste. Il considère qu’il méconnaît notamment l’article 2 du code ICC « Publicités et communications commerciales » consacré à la responsabilité sociale. Il précise qu’il a entrepris en amont d’engager un dialogue avec la société, laquelle l’a éconduit vigoureusement.

La société Le Grincheux a été informée, par courriel avec accusé de réception du 30 juillet 2020, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle précise tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’un affichage publicitaire mais d’une peinture réalisée sur l’unique vitrine de l’établissement.

Elle considère que l’image présente un lien direct avec les produits promus et vendus par l’établissement, qui sert de l’alcool, y compris en terrasse, l’été, et dont le nom est précisément « Le Grincheux ». L’image présente un caractère humoristique et se présente comme une suite possible du conte Blanche-Neige, dans laquelle cette dernière se retrouverait à son tour dans la situation, qui est celle de la marâtre dans le conte des frères Grimm, dans laquelle une autre femme plus belle qu’elle lui serait préférée, en l’occurrence par le nain qui manifeste le moins d’affection pour elle dans le conte original.

Selon la société, ce visuel, qui ne fait apparaître aucune femme entièrement nue, ne présente aucun caractère sexiste et ne porte pas atteinte à la dignité de la personne humaine et, en particulier, des femmes.

La société invoque, au soutien de sa position, la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel qu’interprété par la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme, ainsi que l’avis du Jury de déontologie publicitaire n° 322/14 du 26 juin 2014.

Elle indique enfin que la peinture n’est restée qu’une journée sur la vitrine, laquelle évolue en fonction des évènements et des saisons.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la qualification de publicité

Le Jury relève à titre liminaire que le visuel mis en cause est apposé sur la vitrine de l’établissement « Le Grincheux », visible depuis l’espace public, et qu’y est associée une « promo d’été » pour des boissons alcoolisées qui fait directement écho aux verres figurant sur le visuel et à la mise en scène des personnages sur une plage. Par suite, il considère que cette peinture ne constitue pas un simple élément décoratif de l’établissement, mais une publicité sur le lieu de vente, visant à inciter les passants à consommer ces boissons. Il est donc compétent pour se prononcer sur la présente plainte.

3.2. Sur le bien-fondé de la plainte

Le Jury rappelle qu’aux termes des dispositions de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP : « 2.1.  La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet. ». 

Le Jury rappelle qu’il ne lui appartient pas de se prononcer au regard d’autres règles que les règles déontologiques énumérées à l’article 3 de son règlement intérieur, notamment au regard des engagements internationaux de la France. La présente plainte a donc été exclusivement examinée à l’aune du point 2.1. de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP précité.

En l’espèce, le Jury relève que la publicité met en scène le nain Grincheux, issu du conte Blanche Neige, accoudé à une table sous un parasol, sur une plage. Il regarde, d’un air mêlant timidité, langueur et admiration, une jeune femme au physique avantageux, assise à cette même table dans une posture lascive. Celle-ci porte uniquement une culotte, sa poitrine n’étant que partiellement masquée par deux verres. En arrière-plan, un personnage évoquant directement Blanche Neige, habillée d’une culotte et d’un soutien-gorge, observe la scène avec mécontentement.

Si la légèreté de la tenue de Blanche-Neige peut s’expliquer par l’ambiance estivale de la scène, en cohérence avec le message publicitaire en faveur d’une « promo d’été », rien ne justifie, en revanche, que le buste de l’autre personnage féminin soit dénudé et que le visuel fasse clairement apparaître sa poitrine. Cette représentation du corps de la femme, sans lien avec le produit promu, accentuée par sa pose séductrice et par la jalousie manifestée par Blanche-Neige, tend à réduire la femme à la fonction d’objet de désir sexuel.

Dans ces conditions, et sans que la société puisse utilement se prévaloir du caractère humoristique ou artistique du message, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît le point 2.1. de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP. Il prend note que la peinture litigieuse a été retirée le lendemain de sa réalisation.

Avis adopté le 10 septembre 2020 par M Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.

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