Avis JDP n° 499/18 – OPTICIENS – Plainte non fondée

Avis publié le 05 février 2018
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société annonceur et de l’agence de communication,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 26 novembre 2017, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité télévisée en faveur de la société annonceur, pour promouvoir sa marque de lunettes.

Le film publicitaire en cause met en scène une femme au cours de plusieurs étapes de sa vie. On la voit successivement bébé, petite fille, adolescente, étudiante, ces images étant accompagnées du texte « Voici Eva ! Eva a les yeux de sa mère, la timidité de son père et le caractère de sa grand-mère ! Sa démarche lui vient de sa sœur et son rire de ses copines. Eva a des convictions, ce sont celles de Paul, Fabien. Et une détermination sans faille : celle de son grand-père ! Sinon, Eva porte des lunettes, ses lunettes ! Et depuis, elle ne ressemble à personne d’autre qu’à Eva ! Vous n’avez jamais autant été vous-même ! X, vous allez vous aimer ».

2. Les arguments échangés

– Le plaignant relève que, dans cette publicité, la jeune femme n’est qu’une personne sous l’influence de ses proches, que globalement les qualités lui viennent des hommes de sa vie et les aspects superficiels ou négatifs (le caractère est associé à la colère, au caprice dans la vidéo) lui viennent des femmes de sa vie, et qu’enfin et surtout ses opinions ou engagements politiques lui viennent de ses (ex petits) amis hommes, comme si les femmes ne pouvaient pas avoir d’idées à elles mais devaient s’approprier les idées des hommes.

La publicité laisse ainsi entendre, selon lui, que les femmes sont bêtes, sans faculté de jugement personnel, et se doivent même d’adopter les idées de leurs partenaires sexuels.

– La société a, par courrier recommandé avec avis de réception du 8 décembre 2017, été informée de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Sa représentante indique que l’idée du film est de présenter l’expertise personnalisée de la société, par l’intermédiaire de son réseau d’opticiens, qui permet de délivrer un conseil adapté à chaque personne, qui est unique en tant que telle. Elle explique que dans le film, Eva se construit de petite fille à femme, que bien sûr, elle porte des caractéristiques physiques ou des traits de caractère de sa famille, mais aussi des influences de ses rencontres à l’adolescence, et qu’à l’âge adulte, elle a fait ses choix, a pris du recul face aux influences et s’affirme avec sa personnalité propre faite de ce métissage. Les lunettes deviennent alors un élément de la personne d’Eva, de sa personnalité, de son caractère et donc le prolongement de celle-ci. Elle ajoute que le ressort du film est émotionnel et montre qu’Eva doit beaucoup à son environnement social, qu’elle s’affirme tout au long du film en toute indépendance et que l’expertise des opticiens lui permet de révéler son caractère grâce à ses lunettes.

L’annonceur estime par ailleurs que les caractéristiques physiques ou de caractère ne sont en aucune façon sexuées ou pouvant être considérées comme positives ou négatives, et que la campagne montre des traits de caractères, des caractéristiques physiques sans distinction de sexe, sans distinction de défaut ou de qualité. Il cite en exemple les yeux, qui ne sont pas une caractéristique masculine ou féminine, ou encore le caractère, dont on ne sait s’il est une force ou une faiblesse. Il souligne que si la publicité était tombée dans les stéréotypes, elle aurait attribué la timidité à un personnage féminin. Selon l’annonceur, ce film publicitaire se garde bien de porter tout jugement, et met en avant le fait qu’Eva, comme chaque individu, se construit avec son unicité affirmée par la conclusion de la marque « Vous n’avez jamais été autant vous-même » et la promesse de l’annonceur «Vous allez vous aimer » dans cette unicité.

L’annonceur évoque par ailleurs le communiqué de presse de la marque, du 16 octobre 2017, lors du lancement du film « Eva » : « Dans le film ‘Vous n’avez jamais été autant vous-même’, nous suivons l’évolution d’Eva depuis sa naissance, au milieu des années 80, jusqu’au jour où elle est devenue une je une femme de 30 ans épanouie et bien dans sa peau avec ses nouvelles lunettes. Chaque scène du film retrace un moment clé de sa vie où les traits de personnalités d’Eva sont associés à des proches : « le sourire de sa mère, le caractère de sa grand-mère, la démarche de sa sœur, les convictions de Paul… ». Eva s’affirme en tant que femme en toute indépendance grâce à ses nouvelles lunettes qui la subliment. C’est ainsi que les opticiens X conçoivent leur métier: s’engager au service du bien-être de chacun en prenant en compte sa personnalité, ses besoins et ses envies… X s’attache à mettre en avant un service clients d’excellence et un accompagnement ultra-personnalisé à chaque âge de la vie ». Il ajoute que la représentation d’une femme indépendante avec une personnalité affirmée a conduit la presse professionnelle à titrer « X prend du caractère » (Retombées Presse X, Octobre 2017).

En conclusion, l’annonceur indique que l’intention créative et le positionnement de la marque ne sont nullement de véhiculer des stéréotypes sur les femmes ni de les dévaloriser. L’idée principale est de considérer les lunettes comme des « révélateurs » de personnalités. Ici, Eva est multiple et de par sa filiation, elle a hérité de traits physiques, de caractères de ses parents, de sœur, de ses grands-parents, mais également de par son environnement social. Le film présente une jeune femme épanouie, déterminée qui a fait des choix en toute indépendance. Il est également ajouté lors de l’audience que ce film a été testé et post-testé, avec de bons résultats en termes de scores d’agrément.

– Le Syndicat National de la Publicité télévisée (SNPTV) fait valoir que, conformément à la procédure d’avis préalable dans le cadre de l’autodiscipline mise en place depuis 1990 par l’interprofession publicitaire sur délégation du CSA, ce film a été diffusé dans la mesure où il a reçu un avis favorable de l’ARPP sans commentaire.

– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) rappelle que, de façon

générale, elle est particulièrement vigilante quant à l’exploitation de l’image de la personne en publicité et en particulier celle de la femme. Il s’agit d’un sujet auquel les professionnels accordent une grande vigilance, qui plus est dans le contexte actuel plus général de sensibilité particulière sur la question des représentations sexistes.

Au quotidien, l’ARPP veille à ce que les messages publicitaires ne contiennent pas de visuels ou d’allégations pouvant être perçus comme véhiculant des stéréotypes sexistes. Les principes élémentaires rappelés à ce titre sont ceux contenus dans le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale et dans la Recommandation « Image et respect de la personne».

En l’espèce, l’ARPP a été interrogée en amont de la diffusion de cette campagne par l’agence de communication, son adhérent, sur ce projet de film, en octobre 2017. Le projet décrit devait montrer plusieurs moments de la vie d’une jeune femme, de sa naissance à l’âge adulte, en mentionnant les personnes de son entourage dont elle tient certains traits de son caractère ou de son physique, pour conclure que depuis qu’elle porte les lunettes de la marque, elle ne ressemble finalement à personne d’autre qu’elle-même.

L’Autorité a relevé que, s’il est bien fait mention du fait qu’elle partage, à un moment de sa vie, ses convictions avec les garçons qu’elle fréquente, il n’est pas induit pour autant qu’elle est dénuée de tout jugement personnel ou qu’elle adopte systématiquement les idées des autres. La mise en scène présente en outre une jeune femme souriante, active, impliquée et le message dans son ensemble n’est pas apparu, dès lors, à l’ARPP, pouvoir s’analyser comme diffusant une image dévalorisante des femmes en général.

Le spot définitif, réalisé conformément au projet initial et qui a été soumis pour avis avant diffusion, a été considéré comme conforme aux règles en vigueur et a pu être validé sans réserve.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que la publicité en cause présente l’évolution, de sa naissance à l’âge adulte, d’une jeune femme qui emprunte les caractéristiques physiques, le caractère et les opinions de son entourage familial et amical. A l’issue de ce parcours de vie, où se mêlent l’inné et l’acquis, le choix de ses lunettes chez l’opticien lui permettra d’affirmer sa personnalité.

Contrairement à l’analyse du plaignant, le Jury estime que l’examen de la première partie de la vidéo ne permet pas d’établir que seuls les aspects superficiels ou négatifs de la personnalité de l’héroïne seraient associés aux femmes : les « yeux de sa mère » ne sont pas un élément superficiel, la « timidité », qui n’est pas nécessairement un élément positif, vient du père, quant au « caractère de la grand-mère », il est associé à un moment de colère, mais également à un mouvement de danse.

S’il est exact que la présentation des opinions politiques ou sociales de la jeune femme laisse penser qu’elle n’a été influencée que par des hommes (« Eva a des convictions… Ce sont celles de Paul, … Fabien… Et une détermination sans faille : celle de son grand-père ! »), ce que l’on peut regretter, la conclusion du film dote Eva d’une personnalité unique (« Eva porte des lunettes. SES lunettes ! Et depuis elle ne ressemble à personne d’autre qu’à Eva ! »). Ce constat final permet de considérer que la personnalité de la jeune femme, qui n’est pas présentée comme dépourvue de capacité de jugement, résulte d’un ensemble d’influences.

Dans ces conditions, la publicité ne présente pas de caractère sexiste et ne donne pas une image dévalorisante ou inférieure de la femme par rapport aux hommes.

Le Jury est donc d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les dispositions de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 12 janvier 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, M. Benhaïm, Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.