Avis publié le 05 février 2018
Plainte non fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu le représentant du plaignant,
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 novembre 2017, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une affiche publicitaire en faveur d’une association, pour sensibiliser le public au dépistage du cancer du sein.
Le visuel publicitaire en cause présente une femme, torse nu, le sein enserré dans une machine de mammographie, vêtue d’une mini-jupe et de chaussures à talons hauts, son soutien-gorge pendant à son avant-bras.
Le texte situé dans une bulle à proximité de la femme énonce « Déjà fini docteur !». Les autres inscriptions sont « 1 femme sur 8 touchée par le cancer du sein. N’attendez plus, faites-vous dépister. X– Dépistage des cancers dans les Bouches du Rhône ».
2. Les arguments échangés
– Le plaignant considère que cette publicité est sexiste et dégradante. Il indique que le dépistage du cancer est invasif et angoissant, et que ce n’est pas un moment de plaisir sexuel, mais un acte médical. Or l’affiche laisse penser, notamment en raison de la pause lascive de la jeune femme et de son commentaire « déjà fini? », qu’un acte de dépistage, souvent douloureux et potentiellement traumatisant, provoque un plaisir sexuel. Il ajoute que ce dépistage s’adresse à 80% aux femmes de plus de 50 ans, et non au jeune mannequin de la publicité.
– L’association a, par courrier recommandé avec avis de réception du 6 décembre 2017, été informée de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
L’association explique qu’elle est une association loi 1901 à but non lucratif, en charge du dépistage organisé des cancers dans les Bouches-du-Rhône. Le mois d’octobre est le mois dédié nationalement à la communication et à la sensibilisation du grand public à l’intérêt du dépistage organisé du cancer du sein. C’est dans le cadre d’Octobre Rose qu’elle a fait appel en 2016 à l’un de ses partenaires, pour réaliser une campagne d’affichage dans les cabinets de radiologie volontaires et partenaires d’Octobre Rose. Cette affiche avait pour but de dédramatiser la mammographie auprès des femmes.
L’association partenaire est également une association loi 1901 à but non lucratif d’intérêt général, créée et dirigée par des femmes atteintes elles-mêmes de cancer du sein, pour aider
les femmes atteintes d’un cancer du sein ou d’un cancer gynécologique et leur entourage à vivre la maladie du mieux possible. Pour cela, elle s’est fixée trois missions principales : soutenir, par diverses actions, les femmes et leur entourage pendant la maladie et en rémission ; œuvrer en faveur des femmes et de leur entourage en organisant des activités sport, bien-être et développement personnel ; sensibiliser le grand public, les femmes malades et leur entourage sur le dépistage, la maladie et la prévention, afin que tous soient mieux armés pour prévenir ou faire face à la maladie et sa récidive, à travers notamment les très suivis régates « ROSE », jogging « ROSE », et yoga « ROSE » géants. L’association sensibilise également les femmes dans les centres commerciaux avec ses propres visuels de sensibilisation.
C’est dans ce cadre qu’en 2014, l’association a demandé à une illustratrice de bandes dessinées, Mademoiselle Caroline, de créer un visuel humoristique dédramatisant la mammographie, pour l’installer dans un centre commercial niçois partenaire à l’occasion d’Octobre Rose.
En octobre 2014, ce visuel a donc été utilisé pour la première fois dans un format géant de 2,5 sur 12 mètres dans ce centre commercial pendant 15 jours. Depuis il est placé chaque année dans ce centre, toujours durant 15 jours et a été vu par des milliers de personnes sans que l’association ait subi la moindre critique à propos de ce dessin. Chaque année depuis 2014, l’association organise un jogging qui démarre de ce visuel et nombreux sont les journalistes de la presse écrite et télévisuelle venus faire un article ou filmer l’événement qui l’ont vu. Depuis 2014, cette illustration fait partie de la communication de l’association et est utilisée au cours de toutes ses manifestations et chez tous ses partenaires privés dans le cadre d’Octobre Rose dans les départements 06 et 13.
L’association explique que l’objectif de l’illustration est de dédramatiser sur le ton de l’humour l’examen de mammographie souvent perçu avec appréhension par beaucoup de femmes, et qui est un vrai frein au dépistage. La mammographie est un examen encore mal vécu car considéré comme douloureux. Le dessin représente d’ailleurs la mammographie telle qu’elle se passe dans la réalité : le sein est pincé, même écrasé par la machine. Ce n’est pas une image dégradante, ce n’est que la réalité. La rougeur de la dame dessinée vient du fait qu’elle est maquillée et qu’elle vient de passer un moment désagréable et certainement pas de plaisir comme la plainte le décrit. L’expression « Déjà fini Docteur !» illustre justement que l’examen est certes inconfortable et désagréable mais néanmoins supportable et qu’il s’est avéré être plus rapide que ne l’attendait la dame dessinée avec appréhension.
L’association ajoute que l’illustration d’une femme très féminine, active et à la mode, d’où les talons et les dessous colorés, a été choisie volontairement, car elle était destinée à l’origine à un centre commercial où les femmes font leur courses vestimentaires. Elle est donc dans le ton du lieu, en harmonie avec l’état d’esprit des femmes tourné vers la mode. L’objectif est que ce dessin interpelle les femmes mais aussi leurs filles plus jeunes qui sont souvent indirectement prescriptrices de l’examen : « Maman, quand as-tu fait ta dernière mammographie? ».
Elle expose par ailleurs que la mammographie est un examen médical qui concerne donc de très nombreuses femmes et qui doit être encouragé. Les femmes qui passent une mammographie ont certes plus de 50 ans quand elles répondent à l’invitation de l’association entre 50 et 74 ans, dans le cadre du programme national de dépistage organisé du cancer du sein, et que les « quinqua » de nos jours sont des femmes actives, bien dans leur peau et encore jolies. Mais nombreuses sont celles qui doivent passer cet examen plus jeunes si leur gynécologue considèrent qu’elles sont à risque plus élevé, c’est un dépistage individuel prescrit par leur médecin.
Quant au sexisme, l’association souligne que, par définition, le sexisme est une attitude discriminatoire fondée sur le sexe. Or ce visuel a été créée par une femme à la demande du conseil d’administration de l’association, lui-même composé de femmes ayant déjà réalisé à plusieurs reprises des examens de mammographie, toutes touchées par le cancer du sein, ses traitements et pour certaines sa reconstruction. Ces femmes, toutes bénévoles sont des battantes, qui ont lutté et luttent encore contre la maladie, et qui veulent transmettre leur énergie, leur joie de vivre et leur humour aux autres femmes ainsi que les inciter à prendre soin d’elles et de leur santé et redonner goût à la vie à celles touchées.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.
2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.
2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».
Le Jury relève que la publicité en cause présente le dessin d’une femme lors d’une mammographie. Le personnage, stylisé, est vêtu d’une jupe courte, de sandales rouges à talons et tient sur le bras le soutien-gorge ôté pour subir l’examen qui consiste à insérer un sein entre deux plaques afin de permettre une radiographie.
Le plaignant reproche à cette publicité de présenter, à travers ce personnage de jeune femme, le dépistage du cancer du sein comme un moment de plaisir sexuel, ce qui ne correspond pas à la réalité d’un acte médical douloureux s’adressant majoritairement aux femmes de plus de 50 ans.
Cependant, le Jury considère que le postulat selon lequel serait représenté un moment de plaisir n’est pas étayé, en l’espèce, par le dessin. Celui-ci représente, avec un souci d’exactitude, l’aplatissement du sein entre les deux plaques radiographiques. Les joues coloriées en rose du personnage et sa jambe relevée ne suffisent pas à établir, alors que rien d’autre ne l’indique sur le dessin, que la radiographie aurait procuré du plaisir à la patiente, dont l’attitude peut s’interpréter comme exprimant une gêne liée, précisément, à l’examen. La bulle attribuée au personnage « Déjà fini, Docteur ? » exprime, dans ce contexte, le soulagement de voir cet examen, réputé désagréable, prendre fin plus rapidement que ce qui était craint au départ. Par ailleurs, l’objectif de dédramatisation de cet acte de prévention, qui n’est pas nécessairement réservé aux femmes de plus de cinquante ans, justifie la présentation d’une personne alerte et habillée avec fantaisie.
En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les dispositions de la Recommandation précitée.
Avis adopté le 12 janvier 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, M. Benhaïm, Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier