Avis JDP n°240/12 – VÊTEMENTS DE TRAVAIL – Plainte fondée

Décision publiée le 19.12.2012
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– et après en avoir délibéré dans les conditions prévues à l’article 17 du  règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 30 novembre 2012, d’une plainte émanant du cabinet de la Ministre des droits des femmes, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de la campagne publicitaire diffusée sur le site internet  de l’annonceur sous le nom de « Extremly irrestible Workwear » et dont l’un des supports est un catalogue également consultable en ligne.

L’objet du site de la marque est de promouvoir des vêtements de travail.

Les visuels en cause sont au nombre de cinq. Ils représentent des scènes réunissant deux personnages, à chaque fois un homme en vêtement de travail et une femme vêtue de lingerie fine, et se déroulant dans un intérieur ou à l’extérieur d’une demeure raffinée.

Le premier montre la femme, allongée sur un lit défait, l’homme face à elle tient une masse sur l’épaule.

Le deuxième représente la femme assise sur un canapé en porte-jarretelles, jambes écartées, l’homme ponce le parquet agenouillé à ses pieds.

Le troisième, met en scène une femme vêtue d’un maillot de bain et d’un paréo près d’une piscine, l’homme tient des cisailles devant le ventre de la femme.

Le quatrième montre l’homme en haut d’un escabeau, outils à la main, dans le but de réparer un lustre, la femme, les vêtements largement déboutonnés, se tient au bas de l’escabeau.

Le dernier visuel met en scène un homme s’apprêtant à réparer une baignoire, face à lui, la femme attend assise sur un lit, en sous-vêtements, jambes écartées.

2.La procédure

 Le 30 novembre 2012, le Directeur général de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a demandé, à l’annonceur, la cessation de la diffusion de cette publicité, puis en a informé la Présidente du Jury de Déontologie Publicitaire, dans les conditions prévues par l’article 17 du  règlement intérieur de ce dernier.

Cette disposition prévoit que : « Dans le cas d’un manquement manifestement grave et sérieux, qu’il convient de faire cesser rapidement , le Président de l’ARPP ou, par délégation, son Directeur Général, peut, conformément à la procédure d’urgence prévue par le règlement intérieur de l’ARPP, prendre sur le champ les mesures qui s’imposent, notamment en adressant une demande de cessation de diffusion aux professionnels concernés (annonceurs, agence, médias). Il en informe le Président du Jury. En cas de plainte, le cas est présenté pour délibération au Jury lors de la séance qui suit cette intervention. Sa décision fait l’objet d’une publication aux conditions prévues à l’article 21. ».

Le 3 décembre 2012, les parties ont été informées par courriers recommandés avec accusé de réception de l’examen de la campagne, par le Jury, lors de sa séance du 7 décembre 2012.

3.Les arguments des parties :

 Le directeur de cabinet de la Ministre des droits des femmes fait valoir que cette campagne publicitaire contrevient à l’ensemble des recommandations de l’ARPP et des règles déontologiques que cette Autorité est chargée de faire respecter concernant l’image de la personne humaine, et notamment l’image des femmes, tant dans le domaine de la dignité  et de la décence, des stéréotypes sexuels, que de la soumission, de la dépendance et de la violence.

Il ajoute que cette publicité est susceptible de heurter la sensibilité, choquer et provoquer le public en propageant des images et des messages portant atteinte à la dignité des femmes, qui sont explicitement, systématiquement et volontairement représentées dans des postures avilissantes, dégradantes, humiliantes et aliénantes, les visuels de cette campagne réduisant la femme à la seule fonction d’objet sexuel, assimilant leur pouvoir de séduction à un danger professionnel.

Il estime que cette publicité cautionne l’idée de l’infériorité des femmes, notamment en réduisant leur rôle et leurs responsabilités dans la société à leur seule capacité de séduction. Il souligne qu’elle met complaisamment en scène des situations de domination allant jusqu’à la suggestion d’un rapport de violence morale et physique, à fortes connotations sexuelles.

L’ARPP, conformément à la procédure d’urgence précédemment rappelée, est intervenue auprès de l’annonceur  afin de demander la cessation de diffusion de cette campagne.

L’Autorité a précisé dans son courrier que les différents visuels mettant en scène, dans le but de promouvoir des vêtements de travail, des hommes vêtus de tenues de la marque, utilisant divers outils de type cisailles ou ponceuse, directement à proximité de jeunes femmes très légèrement habillées et se présentant dans des postures très sexy, contrevenaient  à la Recommandation Image de la personne humaine et notamment aux points 2/1,3/2 et 3/3 de celle-ci.

L’annonceur, la société A, n’a pas présenté d’observations.

4.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine» de l’ARPP dispose que :

« La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. » point 1-1

« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » point 2-1 du paragraphe relatif aux « stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux »

« Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue. » 3-2

« La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique. » point 3-3

«  La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence. » point 3-4

 Le Jury relève que les visuels présentés par la publicité mettent en scène, pour quatre d’entre eux, des femmes vêtues de lingerie et de bas, qui se tiennent dans des positions exprimant clairement une invitation sexuelle, face à des hommes montrés, pour leur part, en situation professionnelle.

Ces images qui utilisent les codes dits du « porno chic », pour promouvoir la vente de produits vestimentaires donnent une image de la femme réduite à une fonction séductrice et sexuelle, la désignant ainsi comme un objet.

Par ailleurs, les photos de cette publicité présentent la femme dans le registre de l’oisiveté, tandis que l’homme, par ses vêtements, les outils qu’il tient en main et les contextes des mises en scène, se trouve, lui, en position de travail manuel.

Il résulte de cet ensemble une représentation dégradante de la femme qui serait inutile socialement ainsi que la banalisation d’un stéréotype ancien et fortement ancré qui repose sur l’infériorité supposée des femmes et  la domination des hommes

En revanche, le Jury estime que la complaisance et la banalisation d’une certaine violence envers les femmes n’est ici ni avérée ni suggérée.

Ainsi pour l’ensemble de ces raisons il apparaît que la publicité en cause, quel que soit le public auquel elle s’adresse, ne respecte pas les dispositions de la Recommandation Image de la personne humaine, particulièrement celles des articles 2-1 et 3-2.

5.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– La campagne publicitaire pour les vêtements de la marque  ne respecte pas les dispositions des articles 2-1 et 3-2 de la Recommandation Image de la personne humaine;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre les mesures permettant de faire cesser cette publicité;

– La décision du Jury sera communiquée au plaignant et à l’annonceur;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 7 décembre 2012 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.