Avis publié le 11 décembre 2024
TOTAL ENERGIES – 1023/24
Plainte fondée après révision
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après en avoir débattu lors de la séance du 13 septembre 2024,
- l’avis provisoire délibéré ayant été adressé au plaignant et à la société TotalEnergies laquelle a introduit une demande de révision,
- la procédure de révision prévue à l’article 22 du règlement intérieur du Jury ayant été mise en œuvre,
- après avoir invité les personnes concernées à faire valoir leurs observations et avoir entendu, lors de la seconde séance tenue par visioconférence, le 6 décembre 2024, les conclusions de M. Grangé-Cabane, Réviseur de la déontologie publicitaire, ainsi que les représentants de la société TotalEnergies,
- et, après en avoir débattu, dans les conditions prévues au même article 22,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 15 juin 2024, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société Total Energies, pour promouvoir son offre de solutions de mobilité.
La publicité en cause, diffusée sur le réseau social Linkedin, présente des images de bornes de recharge en électricité ou hydrogène pour véhicules automobiles, ainsi que d’autres moyens de transports tels que le bateau ou l’avion.
Les textes accompagnant ces images sont : « Nous accélérons les solutions de mobilité durable », « Des véhicules légers aux poids lourds, en passant par l’aviation et le transport maritime, nous développons des solutions pour décarboner la mobilité », « Mobilité durable » « Voici comment nous nous engageons pour une mobilité bas carbone », « Proposer des solutions pour promouvoir la mobilité électrique, le GNC (gaz naturel compressé) et le biocarburant. Soutenir le développement des stations hydrogène et des batteries combustibles pour les poids lourds », « En mer – Réduire les émissions pour tous nos clients en leur fournissant du GNL (Gaz naturel liquéfié), du bio-GNL et du biocarburant marin », « Dans les airs – Décarboner l’industrie aéronautique avec du carburant aérien durable (SAF), en partenariat avec Airbus. Nous visons à atteindre 10% des ventes mondiales de SAF d’ici 2030 », « Nos solutions pour décarboner les transports » permet de cliquer sur un lien hypertexte et nous dirige vers la page suivante qui propose plusieurs articles détaillant les engagements de l’entreprise : https://totalenergies.com/fr/dossiers/decarboner-transports ».
L’une des publications est également accompagnée d’un pictogramme représentant une tige avec deux feuilles sortant de terre.
Initialement orientée pour être traitée selon la procédure prévue à l’article 13 du règlement intérieur, l’affaire, en considération des observations de la société Total Energies, a été renvoyée pour être traitée en séance, selon la procédure habituelle.
2. Les arguments échangés
– Le plaignant, Monsieur Mathieu Jahnich, qui a indiqué avoir déposé sa plainte en tant que particulier, consultant en communication responsable et gérant de MJ Conseil, énonce que plusieurs allégations ne lui paraissent pas conformes à la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, en particulier les points 3 et 7 relatifs à la proportionnalité du message et au vocabulaire employé.
Les allégations : « solutions de mobilité durable » et : « mobilité durable », laissent croire qu’il n’y a plus aucun effet négatif associé à la fabrication, à l’usage ou à la fin de vie des technologies proposées, ce qui n’est pas exact.
Concernant les allégations suivantes : « nous développons des solutions pour décarboner la mobilité » et « décarboner l’industrie aéronautique », si les solutions proposées permettent vraisemblablement de réduire l’empreinte carbone des moyens de transports mentionnés, il est trompeur d’affirmer qu’elles vont les « décarboner » totalement. De surcroît, si les solutions présentées visent à réduire l’empreinte carbone de la mobilité, elles ne sont pas exemptes d’impacts sur l’environnement au sens large. Citons par exemple les enjeux autour de la fabrication des batteries électriques ou de l’hydrogène.
En outre, l’utilisation dans le corps du message de l’émoji : « jeune pousse d’arbre sortant de terre » est un élément qui évoque la nature pouvant induire en erreur le public sur les actions de l’annonceur, en contradiction avec le point 8 de la Recommandation.
– La société Total Energies a été informée, par courriel avec accusé de réception du 1er juillet 2024, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle fait valoir que les griefs formulés dans la plainte sont infondés et que le post est au contraire conforme aux articles 3, 7 et 8 de la Recommandation, notamment dans la mesure où, d’une part, le post reflète avec justesse la réalité des activités et des offres de TotalEnergies, lesquelles sont par ailleurs justifiées et dans la mesure où, d’autre part, les messages contenus dans ce post et les actions de TotalEnergies, sont présentés de manière proportionnée et non trompeuse.
L’annonceur s’élève d’abord contre les propos du plaignant selon lesquels le post « affirme que les solutions proposées vont décarboner totalement les moyens de transports ou laisse croire qu’il n’y a plus aucun effet négatif associé (…) aux technologies proposées ou à la fabrication des moyens de transport » alors que ces allégations sont absentes du message en cause.
La société TotalEnergies fait valoir ensuite que :
- les solutions présentées dans le post sont précisément identifiées pour chacun des modes de transport concernés au sein des quatre vignettes composant le carrousel de messages publié sous le texte principal du post, la première vignette invitant directement le public à consulter les vignettes suivantes, à l’aide notamment d’un pictogramme fléché et ces vignettes contenant des informations précises sur les solutions proposées pour chacun des modes de transport concernés ;
- le détail de ces solutions est étayé par un renvoi vers une page du site internet de TotalEnergies qui explique en quoi elles consistent et, surtout, dresse la liste les actions concrètes entreprises par TotalEnergies pour chacune d’entre elles.
S’agissant du vocabulaire employé, les termes et expression dont l’utilisation semble contestée par la plainte, à savoir « mobilité durable » et « décarboner la mobilité », l’annonceur estime qu’ils reflètent très précisément la nature et les propriétés des solutions mises en avant, lesquelles sont conçues et développées en vue de limiter ou de réduire les impacts et notamment les émissions de dioxyde de carbone dans le domaine des transports, et non de les supprimer.
La société Totalenergies conteste sur ce point l’interprétation du plaignant en rappelant les définitions et la portée, selon elle communément admises, des deux notions concernées, en rappelant que :
- Sur la notion de « mobilité durable » :
-
- L’Observatoire Régional des Transports définit la mobilité durable comme « la conception, la mise en place et la gestion de modes de transport jugés plus propres à l’égard de l’environnement, sûrs et sobres, en particulier à moindre contribution aux émissions de gaz à effet de serre » ;
- La Commission européenne fait de l’un des piliers (initiative phare) de la stratégie de mobilité durable le fait de « favoriser l’utilisation de véhicules à zéro émission, de carburants renouvelables et à faible teneur en carbone » ;
- La Fondation pour la nature et l’homme identifie également comme premier enjeu de la mobilité durable le fait de « réduire l’impact environnemental des transports » et précise notamment que « l’arrivée des véhicules électriques fait partie de la solution », même si « aucune voiture ne peut prétendre être réellement “propre” » (le post ne parle pas d’énergie ou de transport « propres ») ;
- L’ADEME définit « l’optimisation des systèmes de transport existants pour en limiter l’impact environnemental » comme l’un des trois axes prioritaires de la stratégie en matière de mobilité durable, en mentionnant spécifiquement à titre d’exemple les carburants alternatifs ou l’hydrogène. Cette publication permet d’ailleurs de constater que la « mobilité durable » n’est pas synonyme de « mobilité active » (comme le vélo) ni de « mobilité partagée » (covoiturage), qui font l’objet d’un autre axe stratégique en faveur de la mobilité durable.
- Sur la notion de « décarboner la mobilité » :
-
- Le dictionnaire Larousse définit le verbe décarboner comme : « limiter ou réduire les émissions de dioxyde de carbone d’un appareil (chauffage, moteur de véhicule, notamment), d’un processus de production, etc. » ;
- Le Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique définit la décarbonation comme « l’ensemble des mesures et des techniques permettant de réduire les émissions de dioxyde de carbone » ;
- Le Conseil de l’Union Européenne évoque expressément la « décarbonation » du transport aérien et maritime en encourageant l’utilisation de « carburants durables d’aviation (biocarburants avancés et carburants de synthèse qui offrent la possibilité de réduire considérablement les émissions des aéronefs » ou de « carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime », lesquels correspondent précisément aux Solutions présentées dans le post de TotalEnergies.
La société TotalEnergies en déduit que l’utilisation des termes : « mobilité durable » et : « décarboner la mobilité » est parfaitement conforme aux actions et aux solutions de TotalEnergies mises en avant dans le post, lesquelles contribuent bien à la réduction des émissions de dioxyde de carbone.
Ainsi, l’annonceur fait valoir que, contrairement aux critiques formulées par la plainte, ces termes ne contiennent en aucun cas l’idée ou le message d’une innocuité absolue des moyens de transport classiques ou des solutions de TotalEnergies, ni d’une « décarbonation totale », qui n’est aucunement revendiquée. Ils ne consistent ni à « affirmer » ni à « laisser croire » « qu’il n’y a plus aucun effet négatif associé (…) aux technologies proposées ou à la fabrication des moyens de transport ».
La société fait valoir également que le post présente les solutions de manière proportionnée et non trompeuse et veille à relativiser les termes utilisés en utilisant de nombreuses précautions de langage (notamment « nous développons des solutions », « nous accélérons les solutions », « soutenir le développement », « nous nous engageons pour une mobilité bas carbone »), de sorte que la mobilité durable n’est en aucun cas présentée par elle, comme un objectif déjà atteint, mais comme un objectif vers lequel elle dirige ses efforts.
S’agissant des éléments visuels, la société TotalEnergies observe qu’ils permettent d’ancrer le propos et de contextualiser le caractère carboné des moyens de transport traditionnels :
- des emojis « voiture », « avion » et « paquebot » illustrent d’abord la première phrase du post,
- des pictogrammes (voitures en recharge, paquebot et avion) sont également apposés sur chacune des vignettes du carrousel,
- des photographies illustrent l’utilisation des moyens de transport visés ou l’utilisation des énergies associées à ces transports mais ne contiennent aucune référence à la nature,
- l’emoji « jeune pousse » est l’unique élément « naturel » présent dans le post et sa seule présence ne peut en aucun cas être perçue comme une garantie totale d’innocuité alors qu’aucun autre élément du message et du post ne contient la moindre allégation en ce sens.
Pour finir, la société TotalEnergies relève, en citant divers avis rendus par celui-ci, que l’examen du Jury ne peut conduire à contraindre les annonceurs à communiquer sur d’éventuels impacts négatifs liés à leur secteur d’activité en général.
3. L’avis provisoire du Jury
Dans son avis provisoire délibéré le 13 septembre 2024, le Jury a estimé que la publicité litigieuse ne respectait pas la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, s’agissant de sa proportionnalité à l’ampleur des actions promues par l’annonceur et à la propriété des produits mis en avant.
En outre, l’utilisation de l’expression « durable », sans la nuancer ainsi que l’émoji représentant une jeune pousse pour promouvoir des carburants dont l’impact environnemental est globalement négatif, ont également été considérés comme non conformes à la Recommandation précitée au titre de la présentation visuelle et sonore.
4. Les conclusions du Réviseur de la déontologie publicitaire
Voir l’intégralité de la Note du réviseur en annexe.
De ses analyses du dossier, le Réviseur conclut que :
- la demande de procédure de Révision de TotalEnergies est recevable, le Jury n’ayant pas explicitement pris en considération une partie de l’argumentation de l’annonceur quant à l’usage d’un vocabulaire de nature à relativiser le message principal mis en avant, et à ce titre, sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
- les critiques invoquées contre l’Avis provisoire ne peuvent être toutefois considérées comme justifiant, sur le fond, la Révision du sens de l’avis, telle que demandée ;
- la rédaction de l’avis définitif doit être corrigée dans le sens des observations qui précèdent.
5. Les observations des parties lors de la séance du 6 décembre 2024
Le plaignant n’était pas présent.
La société TotalEnergies a, pour l’essentiel, repris, en les résumant, les arguments qu’elle avait développés dans ses observations écrites.
6. L’avis définitif du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose, en particulier :
- au titre de la proportionnalité (point 3) :
-
- « 3.2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
- au titre du « vocabulaire » (point 7) :
-
- « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable ;
- 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”».
- au titre de la « présentation visuelle ou sonore » (point 8) :
-
- 1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient.
- 2 Ils ne doivent pas pouvoir être perçus comme une garantie d’innocuité si cette dernière ne peut être justifiée.
- 3 Sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur.
- 4 Lorsque la publicité utilise un argument écologique, l’assimilation directe d’un produit présentant un impact négatif pour l’environnement à un élément naturel (animal, végétal, …) est à exclure.
Le Jury relève que la publicité visée par le plaignant correspond à un post publié sur le réseau Linkedin et comportant un carrousel, introduit par le propos suivant :
« Nous accélérons les solutions de mobilité durable », accompagné de trois émojis représentants respectivement une voiture, un avion et un navire, puis, en-dessous :
« Des véhicules légers aux poids lourds, en passant par l’aviation et le transport maritime, nous développons des solutions pour décarboner la mobilité », ponctué d’un émoji représentant une jeune pousse.
Le carrousel décline quant à lui, en quatre visuels (le premier annonçant les trois suivants), les « solutions » mises en avant par l’annonceur pour « décarbonner les transports » :
- « sur la route » : « promouvoir la mobilité électrique, le GNC (gaz naturel compressé) et le biocarburant. Soutenir le développement des stations hydrogène et des batteries combustibles pour les poids lourds »,
- « en mer » : « Réduire les émissions pour tous nos clients en leur fournissant du GNL (Gaz naturel liquéfié), du bio-GNL et du biocarburant marin »,
- et, enfin, « dans les airs » : « Décarboner l’industrie aéronautique avec du carburant aérien durable (SAF), en partenariat avec Airbus. Nous visons à atteindre 10% des ventes mondiales de SAF d’ici 2030 »
Le Jury confirme à titre liminaire à la société TotalEnergies, qu’il ne lui appartient en effet ni de porter un jugement sur sa démarche en matière environnementale, ni d’apprécier sa volonté de promouvoir, par le biais des post critiqués, son action dans ce domaine, mais uniquement de confronter ces post, visés par la plainte, aux Recommandations émises par l’Autorité de Régulation Professionnelle de la publicité rappelées plus haut, en matière de développement durable.
Et le Jury confirme également qu’il ne s’agit en l’espèce pas de remettre en cause la véracité des actions entreprises (point 2 de la Recommandation précitée) dont l’annonceur justifie en effet, par un renvoi à son site internet dans lequel il expose et développe ses arguments dans ce domaine.
S’agissant de la proportionnalité du message, le Jury retient en revanche que les expressions employées de façon répétées et mises en avant dans les post (typologie, taille de caractère, etc…) : « solutions de mobilité durable » et : « nos solutions pour décarboner les transports » suggèrent non pas que des progrès ont été faits dans ce domaine mais bien, contrairement à ce qu’affirme l’annonceur, que les différents carburants ou énergies promus, règleraient les problèmes environnementaux posés par les transports.
Le Jury observe en outre, que l’expression : « décarboner » peut certes s’entendre dans un sens progressif comme l’action de réduire le taux de carbone lié à l’utilisation de ces carburants mais se comprend plutôt, dans le contexte de ces post, comme renvoyant au résultat obtenu, dès lors qu’il est mis l’accent sur la notion de « solutions » laquelle renvoie bien à l’idée selon laquelle la société TotalEnergies pourrait venir à bout d’une difficulté qui est ici l’impact environnemental des carburants nécessaires aux différents transports représentés.
Le Jury observe enfin que les atténuations revendiquées par l’annonceur ne suffisent pas à assurer, aux yeux « d‘un consommateur moyen (c’est-à-dire normalement informé, raisonnablement attentif et avisé) », le respect de l’exigence de proportionnalité posée par la Recommandation applicable – dès lors notamment que l’assertion principale est formulée en caractères gras et répétée à trois reprises.
Or, comme la société TotalEnergies l’admet volontiers elle-même, aucune de ces « solutions » ne règle le problème environnemental causé par ces derniers mais peut seulement contribuer à réduire son aggravation, en particulier eu égard à l’émission de gaz à effet de serre et au réchauffement climatique induit. C’est d’ailleurs aussi la raison pour laquelle les termes mis en avant par l’annonceur comme atténuant le message central pour en assurer la proportionnalité, ne sont guère efficaces à cet égard : le fait d’accélérer ou de développer ces solutions ne permettra, dans le meilleur des cas, qu’une diminution de l’impact environnemental des transports.
Ainsi, et sans que ce constat ne remette en cause l’action environnementale de la société TotalEnergies, force est de constater que le message publicitaire ne respecte pas la Recommandation précitée s’agissant de sa proportionnalité à l’ampleur des actions promues par l’annonceur et à la propriété des produits mis en avant, étant précisé qu’il n’est pas ici reproché à l’annonceur de ne pas mentionner les impacts négatifs des produits promus mais seulement de ne pas prendre en compte ces impacts négatifs pour nuancer ce message publicitaire.
Enfin, d’un point de vue formel, et pour les motifs qui viennent d’être indiqués, l’utilisation de l’expression : « durable », sans la nuancer, d’une part, et de l’émoji représentant une jeune pousse pour promouvoir des carburants dont l’impact environnemental est, sans remettre en cause les efforts mis en avant par l’annonceur pour les réduire, globalement négatif, d’autre part, n’est pas conforme à la Recommandation précitée au titre de la présentation visuelle et sonore.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît la Recommandation « Développement durable » précitée, s’agissant de la proportionnalité des actions promues et au titre de la présentation visuelle et sonore.
Avis adopté le 6 décembre 2024, en présence de M. Grangé-Cabane, Réviseur de la déontologie publicitaire (qui n’a pas pris part au vote), par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.
ANNEXE
Conclusions Réviseur – TotalEnergies
I) Instruction
Le Jury de Déontologie Publicitaire (ci-après « le Jury » ou « le JDP ») est saisi, le 15 juin 2024, d’une plainte par laquelle un particulier (ci-après « le plaignant ») lui demande de se prononcer sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société TotalEnergies (ci-après « TotalEnergies » ou « la société » ou « l’annonceur ») pour promouvoir son offre de solutions de mobilité.
La publicité en cause, un « Post », diffusé sur le réseau social LinkedIn, présente des images de bornes de recharge en électricité ou hydrogène pour véhicules automobiles, ainsi que d’autres moyens de transports tels que le bateau ou l’avion.
Les textes accompagnant ces images sont :
« Nous accélérons les solutions de mobilité durable » ; « Des véhicules légers aux poids lourds, en passant par l’aviation et le transport maritime, nous développons des solutions pour décarboner la mobilité » ; « Mobilité durable » « Voici comment nous nous engageons pour une mobilité bas carbone » ; « Sur la route – Proposer des solutions pour promouvoir la mobilité électrique, le GNC (gaz naturel compressé) et le biocarburant. Soutenir le développement des stations hydrogène et des batteries combustibles pour les poids lourds » ; « En mer – Réduire les émissions pour tous nos clients en leur fournissant du GNL (Gaz naturel liquéfié), du bio-GNL et du biocarburant marin » ; « Dans les airs – Décarboner l’industrie aéronautique avec du carburant aérien durable (SAF), en partenariat avec Airbus. Nous visons à atteindre 10% des ventes mondiales de SAF d’ici 2030 ».
Un onglet « Nos solutions pour décarboner les transports » permet de cliquer sur un lien hypertexte et dirige vers la page suivante qui propose plusieurs articles détaillant les engagements de l’entreprise : https://totalenergies.com/fr/dossiers/decarboner-transports ».
L’une des pages du Post est également accompagnée d’un pictogramme représentant une tige avec deux feuilles vertes sortant de terre.
Par un avis provisoire délibéré le 13 septembre, le Jury expose en quoi la publicité en cause méconnait plusieurs points de la Recommandation Développement durable de l’ARPP.
Par un recours, introduit dans les délais requis, l’annonceur demande la Révision de cet avis. Sa demande est communiquée pour observations au plaignant, qui, en réponse, fait référence à un précédent avis du JDP (ISOBOX ISOLATION du 6 nov 2023).
Le Réviseur se rapproche alors de la Présidente et du Vice-Président du Jury, sous la présidence desquels a été adopté l’avis provisoire, et il procède avec eux à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels est fondé cet avis.
Sur ces bases, le Réviseur est dès lors en mesure d’apporter les réponses suivantes à la demande de Révision de TotalEnergies.
II) Discussion
Pour demander la Révision de l’avis, l’annonceur soulève, à titre principal, une critique sérieuse et légitime, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique, et portant sur le sens de l’avis ou sur la nature des griefs retenus ou écartés par le Jury.
L’avis provisoire commence, à juste titre, par circonscrire le litige porté devant le JDP :
- en rappelant qu’il n’appartient au Jury, ni de porter un jugement sur la démarche de la société TotalEnergies en matière environnementale, ni d’apprécier la volonté de celle-ci de promouvoir, par le biais du post critiqué, son action dans ce domaine ;
- en confirmant qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, de remettre en cause la véracité des actions entreprises [par TotalEnergies] dont l’annonceur justifie en effet, par un renvoi à son site internet dans lequel il expose et développe ses arguments dans ce domaine.
Le débat a pour objet, comme le précise l’avis provisoire, « de confronter ces post, visés par la plainte, aux Recommandations émises par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité en matière de développement durable. »
De manière plus précise, le litige porte sur le respect, par le message en cause, de l’exigence de proportionnalité, notamment au regard du « vocabulaire » utilisé dans la publicité en cause (au regard des articles 3, 7 et 8 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP, expressément cités dans l’avis provisoire).
A) Pour l’essentiel, le litige porte principalement sur les termes « solutions » et « décarboner », qui figurent à plusieurs reprises dans les revendications publicitaires du post qui sont en cause, notamment dans l’accroche principale du message (« Nos solutions pour décarboner les transports) ».
Il est de fait qu’en français ces deux mots – selon le contexte dans lequel ils sont employés – peuvent, ainsi que l’explique l’avis provisoire, revêtir deux sens différents : ils peuvent être entendus soit de manière absolue (exprimant un résultat), soit de manière relative (exprimant un processus ou une action).
Ainsi une solution peut exprimer soit la résolution d’un problème (résultat), soit le chemin qui conduit vers cette résolution (processus) ; de même décarboner peut-il signifier l’élimination totale du carbone ou les actions mises en œuvre en vue de cette élimination.
Dans sa requête en Révision, l’annonceur soutient avoir utilisé ces mots de manière relative ; il fournit en outre plusieurs exemples de communications (notamment d’organismes à caractère public) où ces termes sont empreints d’un sens relatif.
Mais s’agissant d’apprécier la conformité du post de TotalEnergies à la déontologie publicitaire en vigueur, c’est au regard du texte, et du contexte, du message en litige qu’il convient de se prononcer.
Or, par son caractère absolu, strict, voire abrupt, le texte de la formule « Nos solutions pour décarboner les transports » – revendication figurant en caractères gras, et répétée à trois reprises dans le message en cause – ne permet guère au public qui est exposé à ladite formule d’y percevoir les nuances que l’annonceur entend introduire. Il ne s’agit pas de mettre en cause les intentions de TotalEnergies ni leur sincérité, mais il convient d’apprécier le litige du seul point de vue qui convienne : la perception du public exposé au message.
Le texte de cette revendication publicitaire, par son caractère absolu, dépourvu de nuances ou de relativité, est donc, dans les circonstances de l’espèce, contraire aux exigences de proportionnalité rappelées plus haut.
Par suite, l’annonceur n’est pas fondé à soutenir, en Révision, que l’avis provisoire, en estimant que le texte de cette revendication méconnait les dispositions de la Recommandation Développement durable, serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Ce grief ne peut donc être retenu.
B) Dans sa requête en Révision, TotalEnergies critique l’avis provisoire au motif qu’il « omet de prendre en considération certains éléments essentiels de la communication » en cause et notamment parce qu’il n’a pas pris en compte plusieurs de ses observations contenues dans la réponse de l’annonceur au Jury, en premier examen, lors de la communication qui lui avait été faite de la plainte initiale.
Plus précisément, TotalEnergies rappelle qu’il « veille à relativiser les termes utilisés dans le Post (qui sont eux-mêmes empreints de relativité) en utilisant de nombreuses précautions de langage, et notamment les suivantes : « nous développons des solutions », « nous accélérons les solutions », « soutenir le développement », « nous nous engageons pour une mobilité bas carbone » » [les mots soulignés ci-dessus le sont par l’annonceur dans son mémoire de réponse à la plainte § 2.1. page 5].
Par suite, il soutient que « la mobilité durable n’est en aucun cas présentée par TotalEnergies comme un objectif déjà atteint, mais comme un objectif vers lequel elle dirige ses efforts ».
1) L’annonceur estime donc que, par ses allégations mentionnées (et soulignées) ci-dessus, « la présentation des Solutions et initiatives de TotalEnergies est réalisée de manière proportionnée et non trompeuse » – contrairement à ce qu’a estimé l’avis provisoire. Il en déduit implicitement que son message ne méconnait pas l’exigence de proportionnalité. Et il reproche donc à l’avis de n’avoir, pour analyser la proportionnalité du message, pas pris en compte plusieurs de ses revendications « nuancées », qu’il cite.
De fait, cette argumentation de TotalEnergies, mentionnée dans son mémoire produit en premier examen de la plainte, n’est pas explicitement « prise en considération » par l’avis provisoire, lequel ne se prononce pas littéralement sur le point de savoir si ladite argumentation établit ou non la proportionnalité du message.
Par suite, le Réviseur estime que cette question n’étant pas explicitement tranchée par l’avis provisoire, l’avis définitif du JDP ne peut rester muet sur cette argumentation, et doit donc être complété sur ce point.
En application de l’article 22.2 du Règlement intérieur du Jury, le Réviseur demande donc au JDP de procéder à une seconde délibération sur l’affaire en cause, afin de se prononcer sur cette question.
2) Sur le fond, le Réviseur estime que ces atténuations revendiquées par l’annonceur, même si elles contribuent à nuancer le caractère absolu, voire laconique, du texte de l’allégation principale du Post (« Nos solutions pour décarboner les transports »), ne suffisent toutefois pas à assurer, aux yeux « d‘un consommateur moyen (c’est-à-dire normalement informé, raisonnablement attentif et avisé) », le respect de l’exigence de proportionnalité posée par la Recommandation applicable – dès lors notamment que l’assertion principale est formulée en caractères gras et répétée à trois reprises.
Par suite, le Jury confirmera le sens de son avis provisoire en écartant explicitement la demande de Révision sur ce point.
C) La troisième critique soulevée en Révision par l’annonceur est tirée d’une violation de l’art 17 du règlement du JDP, aux termes duquel » le Jury s’efforce de répondre à chacun des griefs invoqués ».
Plus précisément, TotalEnergies fait grief au JDP de ne s’être pas prononcé explicitement sur tous les griefs contenus dans la plainte initiale ; car s’il l’avait fait – poursuit l’annonceur – cela aurait dû « à tout le moins aboutir à un rejet partiel de la Plainte ».
Ce grief de TotalEnergies au soutien de sa demande de Révision ne peut être retenu.
D’une part, le texte de l’article 17 prévoit certes que » le Jury s’efforce de répondre à chacun des griefs invoqués », mais il ajoute aussitôt, dans la même phrase, qu’il « n’est pas tenu de le faire à peine de révision de son avis ».
D’autre part, et au cas particulier, le Jury ayant accueilli un des arguments du plaignant dans sa plainte initiale, il était encore moins tenu d’examiner la totalité des griefs de la plainte ; sur ce point, le JDP, dans sa rédaction définitive, jugera ou non opportun de mentionner, dans la dernière phrase de son avis, la formule « sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs de la plainte initiale ».
En tout état de cause enfin, même si le Jury décidait d’écarter d’autres arguments du plaignant, cette circonstance ne saurait, au cas d’espèce, conduire à un « rejet partiel » de la plainte.
Au final, il résulte des constatations qui précèdent que l’annonceur n’est pas fondé à demander la Révision de l’avis provisoire au motif que ce dernier conclut que la publicité TotalEnergies en litige méconnaît les règles déontologiques reconnues par le Jury comme applicables à l’affaire en cause.
III) Conclusion
Des analyses qui précèdent, il résulte que :
- la demande de Révision de TotalEnergies est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
- les critiques invoquées contre l’Avis provisoire ne peuvent être considérées comme justifiant la Révision demandée ;
- a rédaction de l’avis définitif doit être corrigée dans le sens des observations qui précèdent.
Dès lors, et après seconde délibération du Jury, l’Avis provisoire, amendé dans le sens indiqué ci-dessus, et incluant les présentes conclusions du Réviseur de la Déontologie Publicitaire, deviendra définitif et sera publié sur le site du JDP.
Alain GRANGE-CABANE
Réviseur