SYNDICAT DU SUCRE DE LA REUNION

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Plainte partiellement fondée

Avis publié le 29 novembre 2024
SYNDICAT DU SUCRE DE LA REUNION – 1032/24
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 26 août 2024, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité diffusée par le Syndicat du sucre de la Réunion, pour promouvoir la canne à sucre.

La publicité en cause, diffusée sur la page Facebook « Sucre Réunion », montre la coupe transversale stylisée d’une pousse de canne à sucre, dont les racines descendent profondément dans le sol.

Les textes accompagnant ces images sont :

  • « La canne à sucre, un atout inestimable contre plusieurs effets du dérèglement climatique ! » illustré par des pictogrammes dont celui de la planète Terre,
  • « La Réunion est un territoire aux sols vulnérables. Face au dérèglement climatique, notre île assiste à une accélération du recul du trait de côte, à des glissements de terrains, inondations et bien plus encore », « Les sols constituent le socle de nos activités agricoles et donc de notre souveraineté alimentaire. Il apparaît essentiel de les préserver ! », « Pour cela, la canne à sucre est l’alliée idéale du territoire : grâce à sa couverture végétale quasiment permanente et à son système racinaire particulièrement développé allant jusqu’à 6 mètres de profondeur pour les racines secondaires, cette culture est très efficace dans le maintien des sols et permet de contenir l’érosion. »
  • en gros caractères incrustés sur le dessin : « La canne à sucre, une culture efficace contre plusieurs effets du dérèglement climatique ! » et : « Son puissant système racinaire protège les sols de La Réunion ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que le message laisse croire aux internautes que la culture de la canne à sucre est bénéfique pour protéger l’île vis-à-vis :

  • « du recul du trait de côte », ce qui est faux puisqu’aucune culture de canne à sucre n’est possible sur la côte
  •  « des glissements de terrains », ce qui est faux puisque les zones concernées par les glissements de terrain ne sont pas des zones où l’on cultive la canne à sucre à La Réunion
  • « aux inondations », ce qui faux également puisque les inondations ont lieu dans les zones habitées et non dans les champs qui manquent cruellement d’eau.

Il estime en outre que la phrase : « les sols constituent le socle de nos activités agricoles et donc de notre souveraineté alimentaire » n’est pas appropriée car l’île souffre de la mono culture : là où pousse la canne à sucre, aucune autre culture ne pousse. La souveraineté alimentaire telle que présentée ici concerne, selon lui, plutôt notre capacité à vivre de l’exportation des produits de la canne à sucre, de sorte que le lien entre la souveraineté alimentaire et la canne à sucre ne lui paraît pas fondé.

Au regard du manque d’éléments tangibles, le plaignant considère ainsi que cette publicité peut être qualifiée de greenwashing.

Le Syndicat du sucre de la Réunion a été informé, par courriel avec accusé de réception du 10 septembre 2024, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant fait valoir, à titre liminaire, que la publication sur Facebook rappelle de manière factuelle et incontestable que l’île de La Réunion est régulièrement touchée par de grands phénomènes climatiques tels que les cyclones, les très importantes pluviométries (en particulier sur de courtes périodes) ou encore la houle, ces phénomènes provoquant des dommages importants à la fois à court terme, à moyen et long terme, tels que les glissements de terrain, les inondations, le recul de trait de côte, etc…

Il rappelle par ailleurs que le sol, dont il est fait mention dans le post Facebook, est un acteur crucial des activités agricoles et donc de la souveraineté alimentaire de La Réunion. Il ne s’agit selon lui, que de constats déjà bien connus du grand public, dont la publication sur Facebook ne fait que rappeler l’existence.

Concernant le recul du trait de côte, l’annonceur expose que, d’après le rapport en date de février 2023 établi par l’Agreste et publié par la Direction de l’Alimentation de l’Agriculture et de la Forêt, la culture de la canne à sucre s’étend sur environ 21 000 ha, ce qui représente 54% de la surface agricole de l’île en 2021 dont une partie sur la côte.

Concernant les glissements de terrain, l’annonceur  développe l’argument selon lequel le système racinaire de la canne à sucre est particulièrement profond, permettant de limiter les risques d’érosion qui est une des causes des glissements de terrain, comme en atteste, notamment, M. Guillaume Benoit, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, et membre permanent du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), dans son rapport intitulé « La France et ses campagnes 2025-2050, regards croisés filières et territoires » en 2013.

Concernant les inondations, l’annonceur observe que la culture de la canne à sucre joue un rôle clé dans le contexte de fortes pluies qui inondent partiellement ou entièrement les champs de canne à l’instar de tous les espaces agricoles naturels et urbanisés car la culture de la canne à sucre favorise l’infiltration de l’eau dans les sols, réduisant dans certaines zones de plaine les phénomènes de ruissellement. Il ajoute que la structure racinaire de la canne à sucre optimise la gestion de l’eau, en assurant son alimentation en eau lorsque celle-ci commence à s’assécher, comme l’indique notamment l’étude « Profondeur du système racinaire de la canne à sucre à La Réunion ».

Concernant la souveraineté alimentaire, le Syndicat du sucre fait valoir que les enjeux de la filière de la canne à sucre ont été intégrés au Plan régional de la souveraineté alimentaire de La Réunion signé le 10 octobre 2023 par l’Etat, les collectivités, les organisations professionnelles agricoles, et les filières agro-alimentaires, lequel, accessible en ligne sur le site de la DAAF, retient notamment que :

  • « la canne permet de combler l’intégralité des besoins locaux en sucre. Elle reste surtout la culture pivot de la majorité des exploitations, et constitue souvent le socle à partir duquel les agriculteurs peuvent développer un atelier de diversification à vocation vivrière (élevage ou fruits et légumes) » ;
  • « elle met en outre à disposition des surfaces indispensables aux plans d’épandage des effluents des élevages. Par ailleurs, les freins et leviers identifiés pour la filière canne sont souvent les mêmes ou sont interdépendants avec ceux des autres filières. Pour ces différentes raisons, les enjeux de la filière canne sont bien intégrés au plan régional de souveraineté alimentaire de La Réunion. »

L’annonceur en conclut que le lien entre « souveraineté alimentaire » et « canne à sucre » est donc non seulement établi, mais également fondé et reconnu par l’Etat, les collectivités, les organisations professionnelles agricoles et les filières agro-alimentaires.

Au total, le Syndicat du sucre défend l’idée selon laquelle ce rôle multifonctionnel de la canne à sucre dans le système agricole de La Réunion en fait la clé de voûte de la résilience du système agricole réunionnais face à certains effets du dérèglement climatique. Il estime que c’est donc de manière infondée que le plaignant s’interroge sur une éventuelle qualification de « greenwashing » qui serait à appliquer à la publication sur Facebook en cause : au contraire, la filière de la canne à sucre sur l’île de La Réunion s’est saisie très tôt des questions écologiques et de développement durable, en raison de la position géographique de l’île (tel qu’indiqué en introduction) et montre une sensibilisation avérée à ces questions à l’instar de ceux qui ont été à l’initiative des études sur le sujet.

La publication du 12 août 2024 répond donc, selon l’annonceur, aux thématiques reprises dans la Recommandation « Développement durable » qui seraient applicables à la présente publication, notamment l’utilisation d’un vocabulaire contribuant à la véracité des propos, un message clair, proportionnel et loyal à la finalité poursuivie par la publication.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 2 Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées.
    • 3 L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments objectifs, fiables, véridiques et vérifiables au moment de la publicité.

Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul.

La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus. »

  • au titre de la proportionnalité (point 3) :
    • « 3.2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion ; »
  • au titre de la clarté du message (point 4) :
    • « 4.1 L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées.
    • 2 Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement.
    • 3 Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP.
    • 4 Dans les cas où cette explicitation est trop longue pour pouvoir être insérée dans la publicité, l’information essentielle doit y figurer, accompagnée d’un renvoi à tout moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations.
    • 5 Tout message publicitaire reposant sur une étude scientifique doit en indiquer la source.

 Le Jury relève que la publicité, diffusée sur un réseau social, vante la culture de la canne à sucre sur l’Ile de la Réunion, sous un biais principalement environnemental, en la présentant comme « un atout inestimable contre plusieurs effets du dérèglement climatique », en particulier s’agissant du « maintien des sols » et pour « contenir l’érosion » et ce, dans une région exposée à « une accélération du recul du trait de côté, à des glissements de terrains, inondations, et bien plus encore ».

Le post explique ensuite :

« La Réunion est un territoire aux sols vulnérables. Face au dérèglement climatique, notre île assiste à une accélération du recul du trait de côte, à des glissements de terrains, inondations et bien plus encore »,

Les sols constituent le socle de nos activités agricoles et donc de notre souveraineté alimentaire. Il apparaît essentiel de les préserver ! » ;

Pour cela, la canne à sucre est l’alliée idéale du territoire : grâce à sa couverture végétale quasiment permanente et à son système racinaire particulièrement développé allant jusqu’à 6 mètres de profondeur pour les racines secondaires, cette culture est très efficace dans le maintien des sols et permet de contenir l’érosion. »

Le Jury observe que la publicité ne tend pas à promouvoir la culture de la canne à sucre comme ayant des effets globalement favorables en matière environnemental. Il ne s’agit pas davantage d’affirmer que la culture de la canne à sucre règle, de façon générale, les problèmes induits par les dérèglements climatiques.

Le propos consiste ainsi seulement à décrire cette culture comme une réponse à certains effets négatifs induits par ces dérèglements et, surtout, comme étant compatible avec ces derniers.

Et sur ce point, le Jury prend acte de ce que l’annonceur appuie sa démonstration, en réponse à la plainte, par la production d’une documentation scientifique nourrie et reconnue, composée d’études émanant d’organismes spécialisés et même, de rapports publics émanant d’instances officielles faisant en effet ressortir les qualités de la culture de la canne à sucre sur la préservation des sols

Cette documentation fait aussi ressortir les effets bénéfiques de la culture de la canne à sucre s’agissant de la souveraineté alimentaire de l’île, en ce que son agriculture dépend de cette préservation des sols, d’une part, et en ce qu’elle permet d’autres cultures plus diversifiées, d’autre part, notamment en les rendant plus viables économiquement. Au demeurant, il n’est pas affirmé ici que la culture de la canne à sucre assure la souveraineté alimentaire de l’île, mais en constitue une condition par la préservation des sols.

S’agissant du trait de côte, il est justifié, figures à l’appui, de ce que la culture de la canne à sucre peut se déployer aussi, dans certaines parties de l’île, sur le littoral où elle peut jouer également son rôle au regard de l’érosion induite par les conditions climatiques de l’île.

Il en ressort que le message publicitaire n’encourt guère la critique, d’un point de vue strictement déontologique et sans entrer dans un débat de fond qui ne relève pas du Jury, quant à sa véracité s’agissant des bénéfices de la culture de la canne à sucre et quant à sa proportionnalité, s’agissant de l’ampleur des effets de cette dernière mis en avant dans le post et qui se limitent à la préservation des sols, la préservation du trait de côte et la souveraineté alimentaire de l’île.

Du point de vue de la clarté du message, le Jury constate que le post critiqué comporte en lui-même des développements explicatifs sur les effets bénéfiques de la canne à sucre sur les sols, via son système racinaire et sur le lien entre la préservation des sols et la souveraineté alimentaire de l’île.

Toutefois, d’abord, il ne peut que constater l’absence de mention ou de renvoi à des développements plus complets ou aux études scientifiques sur lesquelles l’annonceur s’appuie pour opérer ce constat.

Ensuite, plus généralement, l’incompréhension du plaignant face aux raccourcis opérés par le post et la longueur de l’argumentaire de l’annonceur en réponse à la plainte, suggèrent qu’un renvoi à des explications plus détaillées aurait pu contribuer à une plus grande clarté du message, s’agissant en particulier de la question du maintien du trait de côte et de la souveraineté alimentaire pour expliquer, sur ce dernier point, les liens économiques entre la culture de la canne à sucre et la possibilité de développer d’autres cultures.

En conséquence, le Jury considère que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitées de la recommandation « développement durable », mais uniquement prises dans leurs dispositions relatives à la clarté du message (points 4.4 et 4.5).

Avis adopté le 8 novembre 2024 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


Publicité Syndicat du sucre de la Réunion