Avis JDP n° 572/19 – HABILLEMENT – Plaintes non fondées

Avis publié le 20 mai 2019
Plaintes non fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu une plaignante particulière, la représentante de l’association Les Chiennes de Garde, et le représentant de l’Association Familiale Catholique qui représentait également une plaignante particulière,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 27 février et le 12 mars de plaintes émanant des associations Osez le Féminisme !, Chiennes de garde et Association Familiale Catholique, ainsi que de plusieurs particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en affichage, en faveur de la société annonceur, pour promouvoir sa marque de jeans.

La publicité en cause présente une femme blonde, se tenant de dos, les mains sur les hanches, cadrée au niveau des cuisses et en dessous des épaules. Elle porte des jeans de la marque et un tee-shirt blanc. Sur cette image, est apposée l’inscription en lettres capitales rouge « Liberté – Egalité – Beau fessier ».

2. Les arguments échangés

– Les plaignants considèrent que cette publicité est sexiste et utilise une présentation dégradante de la femme, réduite à ses fesses.

L’un des plaignants ajoute que cette publicité dévalorise la femme, ramenée au statut d’objet puisqu’on ne voit que ses fesses, et suggère qu’une femme n’a pas besoin de tête pour réfléchir et avoir une pensée politique. De plus, elle dénigre le rôle manifeste des femmes en première ligne des révolutions, dont la Révolution Française d’où est tirée la devise qui est détournée sur les fesses. Ce détournement minimise la fraternité – on dirait aujourd’hui l’adelphité. Enfin, la publicité discrimine les personnes identifiées femmes qui n’auraient pas la même forme de fesses que sur l’affiche et qui se sentiraient obligées à ressembler à ce modèle pour être belles et/ou être considérées comme bonnes citoyennes. A l’heure où sont dénoncées les inégalités salariales, les violences conjugales, et les discriminations sexuelles de tout ordre, cette publicité ne fait qu’encourager la mainmise du patriarcat sur les libertés citoyennes des personnes identifiées femme.

L’une des plaignantes présente en séance, ajoute notamment que le cadrage sur les fesses accentue l’objectification du corps de la femme et s’apparente au sexisme. La devise est elle-même réorientée vers le « beau fessier », qui remplace le terme « fraternité » lequel est toujours sacrifié. Ainsi la devise devient-elle un argument marketing au service du sexisme.

Par ailleurs, pour certains plaignants ainsi que pour l’Association Familiale Catholique et l’association Les Chiennes de garde, l’utilisation détournée de la devise de la République française est en outre inappropriée et choquante.

L’association Osez le Féminisme ! estime que le fait que la devise de la République française soit déviée de son sens premier et serve à l’apologie du corps beau qui doit être mince avec des fesses galbées et un dos cambré, renforce les stéréotypes concernant le modèle du corps parfait.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 13 mars 2019, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir qu’elle produit du prêt-à-porter, notamment des jeans pour femmes et hommes depuis plus de 20 ans. L’expérience qui résulte d’une observation faite de ses clients dans les points ventes est que la quasi-totalité des femmes et une part très importante des clients masculins se regardent les fesses lorsqu’ils essaient les jeans. L’acte d’achat est déclenché par leur jugement sur la mise en valeur de cette partie du corps. Ils ne regardent pas leurs cuisses, ni leurs mollets par exemple. C’est pourquoi le visuel publicitaire est centré sur les fessiers des hommes (car une partie de la campagne publicitaire met également en scène des hommes) et des femmes.

La sélection des visuels de la campagne « Liberté, Egalité, Beau fessier » résulte donc d’une promesse à laquelle la société tient particulièrement : mettre en valeur la partie du corps qui est la plus importante pour les clients lorsqu’ils acquièrent un jeans.

L’annonceur déplore que cela ait pu être interprété différemment voire que cela puisse choquer certaines personnes ou associations car telle n’était pas son intention. Il souligne cependant que d’autres commentaires sur les réseaux sociaux affirment « comprendre » ou être en phase avec la campagne.

Au sujet de l’accroche « Liberté, Egalité, Beau Fessier », la société fait valoir que les détournements de la devise nationale sont courants dans la publicité. Cela implique à la fois des critiques légitimes de la part du public que cela choque ou a contrario, un amusement pour d’autres individus ou groupes pour qui ces détournements représentent une spécificité bien française, à savoir le droit à la caricature, le détournement, la blague.

A ceux qui voient dans l’accroche une quelconque forme d’irrespect ou une braderie républicaine l’annonceur répond que l’humour reste une question de point de vue. C’est précisément la multiplicité des points de vue qui fonde notre République et à laquelle elle affirme être fondamentalement attachée puisque, justement, elle porte dans ses principes la multiplicité des perceptions dans le respect de la loi et l’application du droit.

C’est ce que la marque a voulu exprimer avec une dérision certaine. En effet, au moment même où notre pays traverse une période socialement agitée, l’annonceur propose un pas de côté, un clin d’œil, une légèreté qui loin d’être un pied de nez à ses valeurs, les embrasse toutes.

En aucun cas, il ne se fait l’étendard d’une société française qui remplacerait la fraternité par un « beau fessier », bien au contraire, c’est par cette capacité de s’amuser de tout que se trouve l’un des fondamentaux de la nation française.

– La société d’affichage explique que, lorsque ces visuels « à risque » lui ont été montrés, la campagne lui a été présentée en tant que « campagne mixte » par la marque, puisqu’elle associe effectivement plusieurs visuels affichés dans ses réseaux publicitaires avec, selon le cas, un fessier féminin, un fessier masculin, ou deux fessiers masculin et féminin.

La référence à un « beau fessier » était à mettre en rapport avec le produit, une paire de jeans, et avec ce que, selon la marque, chaque consommateur homme ou femme recherche, en faisant son acquisition, une mise en valeur de son corps.

Le détournement humoristique de la devise républicaine n’est sans doute pas partagé par tous, ni pour certains d’une finesse de bon aloi, mais il n’excède pas, selon l’afficheur, les limites régulièrement rappelées par l’autorité judiciaire, en particulier que « toute caricature s’analyse en un portrait qui s’affranchit du bon goût pour remplir une fonction parodique (…) ; que le genre littéraire de la caricature, bien que délibérément provocant, participe à ce titre à la liberté d’expression » (décision du 22 mars 2007 du Tribunal correctionnel de Paris).

La société d’affichage indique avoir sollicité l’avis de l’ARPP pour l’analyse de ces visuels, l’ARPP ayant estimé que « ces publicités sont acceptables, dans le contexte précis de la promotion d’une marque de jeans, au regard de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP car la/les photographies utilisées, centrées sur le bas des corps, paraissent pouvoir se justifier, compte-tenu de leur lien avec la nature des produits promus. De plus, ces visuels montrent des corps intégralement vêtus, dont la posture n’est ni indécente ni provocante. » et que « … le recours au slogan « Liberté – Egalité – Beau fessier » a pu être perçu de façon négative comme une reprise détournée de la devise de la République française « Liberté égalité fraternité » dont la seule exploitation à des fins publicitaires présente, de manière générale, le risque d’être contestée. »

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dispose que :

« 1.1. La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

2.1. La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet .

2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »

Par ailleurs, le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, à son article 1er, que « Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle » et à son article 12 que « la communication commerciale ne doit pas dénigrer une quelconque personne ou catégorie de personnes (…), ou tenter de lui attirer le mépris ou le ridicule public ».

En premier lieu, le Jury relève que l’affiche en cause montre une jeune femme, de dos, mains sur les hanches, dont on ne voit pas la tête. Sur la partie haute de l’affiche figure le slogan « Liberté, égalité, beau fessier ». Le cadrage cible les fesses de l’intéressée, moulées dans un jeans et mises en valeur par la cambrure du modèle. Le « beau fessier », souligné par le slogan, est ainsi au centre de l’image, dont il constitue le point focal.

Le Jury souligne cependant que le produit vanté est un jean moulant dont la propriété principale, mise en avant par cette publicité, est de galber les fesses. Il en conclut que l’image sur l’affiche, certes lourdement appuyée par le slogan, reste directement en lien avec le produit vendu. Il relève par ailleurs que la jeune femme est vêtue de façon décente et n’adopte pas une posture suggestive ni provocante.

Par conséquent, le Jury estime que cette affiche ne méconnaît pas les points 1.1, 2.2 et 2.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne ».

En second lieu, le Jury rappelle qu’aucune règle déontologique en vigueur ne prohibe l’utilisation, par une publicité commerciale, des emblèmes et symboles de la République, pour autant que cette référence n’ait pas pour effet d’entretenir la confusion dans l’esprit du public quant au caractère officiel de la publicité ou son éventuelle certification par une autorité administrative, ce qui n’est, à l’évidence, pas le cas ici.

Il considère toutefois qu’une communication commerciale qui serait outrageante à l’égard de ces emblèmes et symboles, et notamment de la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », devrait être regardée comme dénigrante à l’égard de ceux qui s’en réclament, c’est-à-dire des personnes de nationalité française, et donc contraire à l’article 12 du code ICC précité.

En l’espèce, le Jury considère que si l’emploi du terme « Beau fessier » à la place du terme « Fraternité » dans la devise a pu heurter une partie du public par son côté trivial, il ne peut cependant être regardé, par lui-même, comme outrageant ou dénigrant.

Dans ces conditions, le Jury considère que la publicité en cause reste acceptable au regard des dispositions précitées du Code ICC.

Avis adopté le 12 avril 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.