Avis publié le 7 juin 2022
ESPACE AUBADE – 842/22
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 24 mars 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sur le site internet de la société Espace Aubade, pour la promotion de ses produits de carrelage.
Le visuel publicitaire en cause présente une femme debout, sans aucun autre vêtement apparent que des escarpins rouges, et tenant devant elle une dalle d’échantillons de carrelages d’environ un mètre carré, qui masque son corps du buste jusqu’au haut des cuisses. En arrière-plan sont inscrites les mentions « Trouvez votre CARRELAGE » et « Le plus grand choix de carrelage ».
2. Les arguments échangés
– Le plaignant relève que cette publicité est particulièrement sexiste et dégradante pour les femmes. Elle correspond parfaitement au phénomène de sexualisation du corps féminin dénoncé dans le dernier Rapport sur la publicité sexiste en France, dans son chapitre I « Qu’est-ce que le publisexisme ? », au paragraphe c. « L’usage des corps féminins dans la publicité : la sexualisation ».
Il relève que le service client de la société Espace Aubade lui a opposé des arguments non recevables, tels que le fait que la notion de nudité serait « totalement inappropriée » en l’espèce ou que « la vente du carrelage n’est plus réservée qu’aux hommes, c’est aujourd’hui une décision qui appartient souvent aux dames », ce qui, selon le plaignant ne change rien au caractère sexiste de la publicité, qui n’est pas défini par le public auquel elle s’adresse mais bien par son contenu.
Il ajoute que la société a également répondu que « de grandes marques nationales ou internationales ont d’ailleurs elles aussi utilisé les stéréotypes associés à l’image de l’homme et de la femme ou des jeux de mots pour interpeller l’audience en conservant bien évidemment un humour décalé qui ne laisse pas de place à une interprétation négative ». Or le plaignant considère que chaque société a la responsabilité de ses communications et que cette publicité n’est en rien humoristique.
– La société Espace Aubade a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 5 avril 2022, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.
La société Espace Aubade n’a pas répondu.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet. »
Le Jury relève que la publicité en cause, diffusée sur le site internet de la société Espace Aubade, présente une femme debout, sans aucun autre vêtement apparent que des escarpins rouges, et tenant devant elle une dalle d’échantillons de carrelages d’environ un mètre carré, qui masque son corps du buste jusqu’au haut des cuisses. En arrière-plan est inscrite la mention « [trouver votre CARRELAGE] ».
Le Jury considère que la publicité utilise l’image d’une jeune femme dont la nudité du corps est mise en valeur par une image où seul son buste est caché par le produit promu. Tout dans la mise en scène, lumineuse et sur fond neutre, donne à penser que la femme est nue derrière cette dalle qui, loin de cacher la nudité, au contraire la révèle.
Une telle nudité ne saurait se justifier en l’espèce par la vente de matériaux de salle de bain dès lors que le personnage n’est pas représenté dans une salle de bain, à l’occasion d’une action justifiant qu’il soit dénudé.
Le Jury relève que cette analyse est conforme aux deux précédents avis ESPACE AUBADE rendus sur cette même publicité sous les numéros 454/17, publié le 12 avril 2017, après demande de révision, et 609/19 publié le 13 décembre 2019.
Le Jury estime donc que l’annonceur persiste à utiliser le corps de la femme pour rendre « sexy » et attractif le produit présenté, qui est dénué de rapport avec le corps. Cette utilisation sexualisée de l’image des femmes comme argument de vente d’un produit constitue une instrumentalisation des femmes ainsi réduites à la fonction d’objet sexuel et porte atteinte à leur dignité. Le Jury considère donc que la publicité, en renvoyant à des stéréotypes sexistes encore ancrés dans beaucoup d’esprits quant à la place des femmes dans la société, contribue à les perpétuer.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas le point 2.1 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.
Le Jury rappelle que les dispositions de son règlement intérieur permettent, en cas de réitération des manquements (article 14) un examen de la nouvelle plainte à l’issue duquel l’avis du JDP fera mention de la réitération du manquement et pourra être accompagné de l’une ou de plusieurs des mesures prévues à l’article 20.3 telles que :
- diffuser un communiqué sur son site internet du Jury et/ou un message sur un ou des comptes ouverts sur des réseaux sociaux afin d’assurer une large diffusion de son avis ;
- transmettre son avis à toute personne intéressée ;
- demander à l’ARPP une diffusion renforcée de l’avis, par voie de communiqué sur son site internet, par voie d’encart dans la presse, sur le site internet des associations professionnelles représentées à l’ARPP ou par tout autre moyen approprié ;
- demander à l’ARPP d’intervenir auprès des responsables de la publicité afin de faire cesser le manquement constaté.
En l’espèce, au regard des manquements réitérés sur plus de cinq années, le Jury propose de diffuser un communiqué sur son site internet et de demander à l’ARPP une diffusion renforcée de l’avis, par voie de communiqué sur son site internet.
Avis adopté le 6 mai 2022 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Charlot, MM. Le Gouvello et Lucas-Boursier.