BALENCIAGA – Internet – Plaintes fondées

Avis publié le 6 février 2023
BALENCIAGA – 892/23
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte, les plaintes ayant été transmises dans le cadre dans le cadre de la procédure d’examen des plaintes transfrontalières mise en place par l’Alliance Européenne pour l’Ethique en Publicité,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de déontologie publicitaire a été saisi de plusieurs plaintes de particuliers, transmises le 24 novembre 2022 par l’Advertising Standards Authority (ASA), organisme d’auto-régulation de la publicité au Royaume-Uni, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire en faveur de la société Balenciaga, dont le siège se trouve en France, pour promouvoir son offre d’accessoires de mode.

Les visuels publicitaires en cause, diffusés sur Internet, montrent une petite fille debout sur un lit ou un canapé. Devant et autour d’elle sont disposés plusieurs articles de la marque. L’enfant tient dans ses mains un ours en peluche vêtu de lanières de cuir noir.

2. Les arguments échangés

Les plaignants énoncent que ces images sont choquantes car il est inapproprié d’associer un jeune enfant avec des produits rappelant des articles de bondage.

La société Balenciaga a été informée, par courriel avec avis de réception du 7 décembre 2022, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

La société fait valoir que :

  1. Les photographies concernées comprennent des enfants associés à des accessoires de maison et de mode pour promouvoir la collection « Objets » de Balenciaga (les « Visuels »). Cette collection « Objets » était une nouveauté chez Balenciaga qui n’avait alors jamais mis en exergue des produits destinés aux fêtes de fin d’année. Balenciaga dispose par ailleurs d’une ligne vestimentaire pour enfants qui ne fait jamais l’objet de promotion et a cru voir là une opportunité de la mettre en avant. Ce choix était inapproprié.
  2. Balenciaga conçoit ses campagnes publicitaires à partir des œuvres d’artistes identifiés en amont – généralement quelques mois auparavant – comme potentiels collaborateurs artistiques de la Maison. Le concept pour les Visuels de la collection « Objets » s’est articulé autour du travail du photographe Gabriele Galimberti mettant en scène des enfants avec une accumulation d’objets (série « Toy Stories ») (Annexe 1). C’est ainsi que Balenciaga a, en toute bonne foi, associé des enfants à sa collection « Objets ».
  3. Les Visuels ont été pris lors d’une séance photographique des 17-18 octobre 2022 à Paris, en présence des parents des enfants et dans le respect de la réglementation applicable. Les parents et les enfants se sont montrés ravis de la séance photo, l’un des parents s’étant même publiquement exprimé sur le fait que « la journée avait été agréable » et que son enfant avait passé un « moment fantastique ».
  4. Les Visuels, destinés à une clientèle d’adultes à l’occasion des fêtes de fin d’année, ont été diffusés à partir du 16 novembre 2022 exclusivement sur le compte Instagram et sur le site Internet de Balenciaga (rubrique shopping). Les Visuels n’ont pas fait l’objet d’une campagne publicitaire et ont été utilisés uniquement à titre éditorial et organique. En d’autres termes, il n’y a eu aucun affichage et aucun achat d’espace publicitaire ou de contenu sponsorisé. L’exposition des Visuels était, par ailleurs, prévue pour une durée courte de sept à dix jours (à l’inverse d’une campagne publicitaire dont la durée moyenne s’élève à six mois).
  5. Quelques jours après leur publication, les Visuels ont suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, plus particulièrement aux Etats-Unis (notamment en Floride et au Texas). L’association des enfants avec un sac-peluche, dont le thème d’inspiration était l’univers punk/rock, a été jugée par de nombreux particuliers comme inappropriée.
  6. Balenciaga n’a jamais eu l’intention de choquer ou provoquer le public à travers ces Visuels et condamne fermement toute forme de violence ou d’atteinte à la dignité ou à la décence en lien avec des enfants. Elle n’a pas davantage entendu mettre en scène des enfants dans des situations susceptibles de les dévaloriser ou de porter atteinte à leur intégrité, ni souhaité encourager ou banaliser un quelconque comportement dangereux pour les enfants.
  7. Balenciaga a très rapidement réagi à la polémique sur les réseaux sociaux en procédant au retrait prompt et complet des Visuels dès les 20-21 novembre 2022 de ses différentes plateformes tout en présentant publiquement ses excuses le 22 novembre 2022.
  8. Le 2 décembre dernier, Balenciaga et son Président, Cédric Charbit, ont réitéré leurs excuses et annoncé les actions prises « pour apprendre de [ses] erreurs en tant qu’organisation » par le biais d’un communiqué.
  9. Le même jour, Demna Gvasalia, Directeur Artistique de Balenciaga, a également présenté ses excuses personnelles et publiques sur son compte Instagram pour « le mauvais choix artistique du concept pour la « Holiday Campaign » avec les enfants » et reconnu qu’il était
    « inapproprié de faire promouvoir par les enfants des objets qui n’ont rien à voir avec eux ».
  10. Balenciaga est sensibilisée aux règles et principes de la Recommandation « Enfant » de l’ARPP et n’a jamais eu l’intention d’y porter atteinte. Balenciaga a admis le caractère maladroit des Visuels et regrette vivement d’avoir véhiculé une image contraire à ses valeurs.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Enfant » de l’ARPP prévoit en son point 3 (Dignité, décence) que :

« 3.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou de provoquer en propageant une image de l’enfant portant atteinte à sa dignité ou à la décence.

3.2 La publicité ne doit pas mettre en scène l’enfant dans des situations susceptibles de le dévaloriser ou de porter atteinte à son intégrité physique ou morale. »

Par ailleurs, le principe général repris à l’article 18 du code Publicité et marketing de la Chambre de commerce internationale (dit « code ICC ») prévoit que « Un soin particulier doit être mis en œuvre dans la communication commerciale ciblant ou faisant apparaître des enfants ou des adolescents. »

Le Jury relève que les deux visuels en cause, diffusés sur Internet, montrent chacun une petite fille d’environ 6 ans, regardant le public d’un air triste, debout sur un lit ou un canapé. Devant et autour d’elle sont disposés plusieurs articles de la marque, notamment des colliers avec des chaines, des sacs, des verres et flûtes de champagne ou encore un tapis de sol noir. Sur chaque photographie, l’enfant tient dans ses mains un sac en forme d’ours en peluche vêtu de lanières de cuir noir et d’un collier étrangleur.

Le Jury considère que le harnais en cuir noir porté par l’ours en peluche, associé pour l’un d’eux à un t-shirt en résille et à un collier en chaîne fermé par un cadenas, renvoie sans ambiguïté à une thématique de « bondage » et de jeux sexuels potentiellement violents. Cette représentation induit l’idée qu’un enfant pourrait simuler de telles pratiques avec une peluche, ce qui est à l’évidence inapproprié à cet âge, voire suggère et légitime le fait que l’enfant lui-même pourrait se livrer ou être l’objet d’une telle activité à l’initiative d’un adulte. La mise en scène qui mêle la présentation d’un enfant au regard triste à celle d’objets à la fois hétéroclites et présentés de manière ordonnée, l’ours comme l’enfant étant inclus dans cette scénographie, renforce le caractère indécent de la situation.

Le Jury estime que cette mise en scène est de nature à heurter la sensibilité du public et à le choquer en propageant une image de l’enfant qui porte atteinte à sa dignité et à la décence.

Tout en prenant acte des excuses présentées par l’annonceur, le Jury considère qu’il résulte de ce qui précède que cette campagne publicitaire méconnaît les dispositions précitées du code ICC et de la Recommandation « Enfant » de l’ARPP.

Avis adopté le 6 janvier 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Le Gouvello et Lucas-Boursier.


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