Avis JDP n°76/10 – MUTUELLES SANTE – Plaintes fondées

Décision publiée le 15.12.2010
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’annonceur et de son agence de communication, auteur de la campagne, ainsi que les représentants du syndicat représentant les chaînes de télévision et de l’ARPP,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 15 septembre et 17 novembre 2010, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne de publicité diffusée à la télévision en faveur d’une mutuelle.

Ce film, qui promeut la prise en charge des consultations de médecins psychiatres pour les enfants, met en scène plusieurs personnes (adultes et enfants) dans la salle d’attente du cabinet d’un psychiatre.

L’un des adultes est habillé du costume de Napoléon, l’autre représente un tennisman avec une corde de pendu autour du cou, un troisième est collé au plafond par les pieds et réclame sa mallette restée au sol. Soudain, l’un des murs est découpé à la tronçonneuse, permettant une ouverture par laquelle pénètre alors un enfant masqué, portant l’engin, et accompagné de sa mère; il s’assied à côté d’une écolière qui fait tourner sa poupée par télékinésie.

Le film s’achève par une voix masculine qui annonce « Chez le psy comme chez les autres spécialistes, les consultations de vos enfants sont prises en charge. La Mutuelle X, ça va déjà mieux ».

2.La procédure

Les plaintes ont été communiquées à l’annonceur, à son agence, aux médias concernés, la première par lettre RAR du 7 octobre 2010 et la seconde par lettre simple du 23 novembre 2010.

L’examen de la plainte, initialement prévu pour le 5 novembre 2010, a fait l’objet d’un report à la séance du mois de décembre à la demande de l’agence de communication.

3.Les arguments des parties

– Les plaignants considèrent que le discours véhiculé par cette publicité porte atteinte à la dignité de la personne humaine et que cette publicité est choquante car elle dénigre les patients qui, dans la réalité, vont consulter un psychiatre, en les assimilant à des « fous ».

 

– L’annonceur et son agence de communication font valoir conjointement que la mutuelle est un organisme de droit privé à but non lucratif soumis aux dispositions du Code de la mutualité, qu’elle est issue de l’économie sociale et qu’elle s’est toujours attachée à mettre l’humain et la solidarité au cœur de ses préoccupations.

C’est pour assumer son rôle mutualiste et ses valeurs issues de l’économie sociale que la mutuelle a décidé d’aborder, dans son approche de communication, des questions liées aux pathologies graves vécues au quotidien par les patients.

La mutuelle et l’agence de communication précisent qu’à ce titre, et depuis trois ans, La Mutuelle Générale a commencé à prendre la parole sur les grands médias en prenant le parti pris créatif de dédramatiser des situations personnelles qui peuvent être vécues difficilement, telles l’hospitalisation et les problèmes de santé spécifiques, ceci par le biais de l’humour, afin de mettre en avant ses valeurs de réconfort, de solidarité et de proximité.

Elles font valoir que leur parti pris créatif repose sur l’idée que l’humour donne plus de recul et permet d’aborder des sujets souvent personnels mais qui sont rarement traités dans la publicité.

Avec ce nouveau film, la mutuelle souhaitait mettre en avant son expertise santé ainsi que son rôle de conseil et d’accompagnement, la musique et la mise en scène de situations irréalistes ayant pour but de dédramatiser une vision souvent anxiogène du monde de la santé.

Selon elles, ce film, traité comme une comédie loufoque et burlesque, entend dédramatiser un sujet sensible. Il est volontairement exagéré et excessif afin de s’éloigner au maximum des situations réalistes sans intention attentatoire à la dignité ou à la décence, ni volonté de stigmatiser une catégorie de personnes malades. Le choix de mettre en scène des personnages et des situations complètement fictifs dont la lecture doit se faire au deuxième degré démontre la volonté de la mutuelle et de l’agence de s’écarter d’une confusion qui pourrait être associée à la réalité de l’univers psychiatrique et de syndromes réels vécus par des patients.

Par ailleurs, par son contraste entre un univers de personnages très décalés et le calme de la mère de famille, ce film illustre, d’une part, le côté rassurant et rassuré d’une personne bien garantie par l’annonceur qui sait accompagner ses adhérents dans toutes les situations, d’autre part, l’aptitude de la mutuelle à couvrir les dépassements d’honoraires par la qualité de ses remboursements chez le psychiatre comme chez les autres spécialistes de santé. Le fond du message est donc, pour les sociétés la mutuelle et l’agence de communication, un message clair d’accompagnement et vise à positionner l’annonceur comme un expert de santé.

Enfin, l’annonceur et l’agence soulignent qu’ils se sont assuré que ce message serait correctement compris et perçu par le biais d’une série de pré-tests : ainsi, sur 350 personnes interrogées, elles n’ont reçu que 12 remontées négatives qui ne soulignaient d’ailleurs pas une quelconque problématique de stigmatisation de personnes.

En outre, depuis le début de la diffusion du spot, ils ont effectué une pige rassemblant les différents commentaires des blogueurs et des médias traditionnels sur Internet, qui leur a permis de constater que les internautes qui se sont exprimés ont majoritairement bien perçu le côté humoristique et décalé de cette publicité.

L’annonceur et son agence de communication insistent sur le fait que le traité humoristique est un ressort classique pour dédramatiser une situation grave et complexe, comme ont pu le faire précédemment d’autres annonceurs dans le domaine caritatif, ces situations permettant apparemment de rendre anecdotique une maladie souvent lourde de conséquences.

– Le syndicat représentant les chaînes de télévision rappelle que la campagne incriminée a reçu l’avis favorable de l’ARPP au regard de la réglementation et des règles déontologiques en vigueur, notamment la Recommandation « Image de la personne humaine ».

Il fait observer que ce message prend le parti de l’humour pour évoquer le sujet de la consultation psychiatrique, qu’il caricature à dessein les stéréotypes entourant la maladie mentale, qu’il met en scène des comportements et des pouvoirs paranormaux donnant à l’ensemble un caractère absurde et qu’il accumule les références à des pathologies extrêmes popularisées par le cinéma.

Dans ces conditions, il n’enfreint, selon le syndicat représentant les chaînes de télévision, aucune des dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine » et tente au contraire de contribuer à dédramatiser une démarche parfois vécue douloureusement par les familles et les enfants.

– La chaîne de télévision publique fait valoir que, sans méconnaître que la problématique psychologique de l’être humain est par nature un sujet nécessairement sensible, le traitement de ce sujet par le spot en cause ne lui est pas apparu de nature à jeter le discrédit sur les personnes en souffrance.

La tonalité de ce film, qui ne vise d’ailleurs pas expressément les thérapies psychologiques ou psychiatriques mais uniquement leur prise en charge par une mutuelle de santé également ouverte aux enfants, est à dessein nettement décalée de la réalité quotidienne des centres d’accueil et de soins. Son côté, évidemment caricatural, reconnu même par l’un des plaignants, ne laisse aucun doute à ce sujet.

Selon cette société, ce film a ainsi évité toute représentation plus ou moins réaliste et donc plus ou moins respectueuse des patients réels, des syndromes que ces derniers peuvent être amenés à endurer dans leur vie quotidienne. Contrairement à ce qui est exposé par les plaignants, il n’a pas pour effet de dénigrer les patients qui vont consulter des médecins psychiatres mais au contraire de leur indiquer que, dans cette démarche de soins, ils peuvent ainsi que leurs enfants bénéficier des services de cette mutuelle.

La chaîne de télévision publique estime que le film, qui n’a pas fait l’objet d’un avis à modifier de l’ARPP, ne semble pas contraire à la recommandation sur l’image de la personne humaine. Conformément aux conditions générales de vente de la régie, il a ainsi pu être diffusé sur les antennes de France télévisions dans le strict respect des règles déontologiques en vigueur, dont l’interprétation objective par le JDP ne peut être soumise à la sensibilité particulière d’un plaignant à un débat d’idées qui le concerne personnellement mais qui ne constitue pas l’objet du film en cause.

– L’ARPP indique que comme toute publicité destinée à être diffusée en télévision, elle a bien examiné ce spot pour avis avant diffusion sur les chaines.

Elle précise que plusieurs projets lui avaient été soumis, pour conseil préalable, sous forme de story-board, et ce dès le mois de novembre 2009 et que dès le stade du conseil préalable, elle a relevé le recours à la caricature dans la mise en scène d’une salle d’attente de consultation chez un psychiatre, cette présentation étant en lien direct avec le propos même de la publicité, à savoir, l’offre de prise en charge de ce type de consultations par la mutuelle.

Ce message, qui présente des patients dont le comportement, la tenue ou le discours sont volontairement accentués pour en devenir caricaturaux et humoristiques, pousse ainsi à l’extrême la représentation imagée de la folie et de l’absurde.

Cette mise en scène permet ainsi, par le recours à l’exagération, de mettre une distance entre le téléspectateur et la situation décrite dans le film, de dédramatiser et décomplexer les consultations chez un médecin psychiatre.

Selon l’Autorité, la publicité  en cause ne vise pas à stigmatiser ni à tourner en dérision les personnes souffrant de pathologies réelles. Ces éléments conféraient ainsi au spot un caractère acceptable au regard des principes déontologiques en vigueur relatifs au respect de la dignité.

Le film finalisé étant fidèle à l’idée initiale, l’ARPP l’a validé, sans réserve.

4.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’ARPP dispose en ses articles 1 et 2 que :

1.1 « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »

1.3 « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. »

2.3  « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

A titre liminaire, le Jury rappelle que sa mission ne concerne pas le choix du sujet de la publicité (de quoi on parle) mais seulement le respect des principes déontologiques par le message (comment on en parle).

Il ajoute qu’il n’est pas arbitre des intentions de l’annonceur ou de son agence, qui peuvent être parfois louables, mais apprécie seulement  le message au regard des Recommandations de l’ARPP.

Il précise, enfin, que l’intention ou la présentation humoristique ou caricaturale n’exonèrent pas, par elles-mêmes, leur auteur de la responsabilité de son message.

En l’occurrence, l’intention exprimée par l’annonceur et l’agence de réaliser un film « humoristique et décalé » pour dédramatiser le sujet de la consultation psychiatrique, notamment pour des enfants, se traduit par l’usage de clichés anciens et éculés et aboutit à l’expression d’un stéréotype qui demeure fortement ancré dans les esprits, selon lequel une telle consultation est réservée à des personnes  marginales, gravement atteintes, dangereuses ou inquiétantes.

A aucun moment du spot, la présentation faite de la psychiatrie et de ceux qui ont besoin de ses soins n’est atténuée ou recadrée pour en traduire « l’humour » à l’égard de ceux qui ne l’auraient pas compris ou auraient pu en être choqués, ou tout simplement pour traduire ce que l’annonceur et l’agence ont indiqué comme étant leur intention.

Le seul « message de réconfort » consiste à annoncer la prise en charge par la mutuelle des consultations psychiatriques pour les enfants.

Ce procédé qui identifie la consultation psychiatrique avec des pathologies extrêmes, voire irréelles, même si elles sont représentées d’une façon qui se veut amusante, véhicule une idée inexacte de la psychiatrie et réduit à un stéréotype à tout le moins humiliant les personnes qui peuvent être atteintes de troubles psychiques en les stigmatisant.

Il en résulte que la publicité de l’annonceur ne respecte pas les dispositions 1/1, 1/3  et 2/3 de la Recommandation Image de la personne humaine et il est, à cet égard, sans effet que les « pré » ou « post » tests réalisés n’aient pas montré d’incompréhension ou aient même témoigné des adhésions à la présentation du message.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées;

– La publicité de la mutuelle réalisée par son agence de communication ne respecte pas les dispositions 1/1,1/3 et 2/3 de la Recommandation de l’ARPP Image de la personne humaine;

– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de prendre toute mesure afin que cette campagne qui a pris fin ne soit pas reprise;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants et à l’annonceur et à l’agence de communication ainsi qu’au syndicat représentant les chaînes de télévision et à la chaîne de télévision publique;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 3 décembre 2010 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, Mme Drecq et MM. Benhaïm, Carlo, Lacan, Leers et Raffin.