Avis JDP n° 541/18 – SITE D’ACTUALITE – Plainte fondée

Avis publié le 7 décembre 2018
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 31 juillet 2018, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sur Internet, en faveur d’une société, pour promouvoir son site internet.

Cette publicité se présente sous la forme d’un encart montrant une femme assise, les bras relevés en arrière pour se recoiffer, un pull blanc moulant une poitrine opulente. Le texte apparaissant au dessous de cette image est : « 15 politiciennes beaucoup trop canons ».

Cette publicité renvoie à une page du site de l’annonceur, proposant une offre de contenus d’actualités diverses.

2. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité est sexiste et dégradante pour les femmes, réduites à leur physique, et qu’elle sous-entend que les femmes en question sont « beaucoup trop canons » pour être femmes politiques, au pouvoir, intelligentes etc., voire pour être à cette place par leurs seules compétences.

– La société responsable du site de l’annonceur a été informée, par courriel avec accusé de réception du 11 septembre 2018, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant fait valoir que, sur ce visuel, la personne photographiée est dans une position correcte, avec un habillement de bon aloi, et que cette photographie ne contrevient à aucune règle de morale sauf à exiger qu’une femme ne soit photographiée dans une tenue l’enrobant totalement, ce qui n’est pas le cas en Europe.

Il estime que le commentaire associé « 15 politiciennes beaucoup trop canons » n’appelle pas non plus de commentaires. Cette seule phrase comporte seulement deux mots : « politiciennes » et « canon ». Or, le dictionnaire Petit Robert donne comme définition du mot « canon », en matière de beaux-arts : « ensemble de règles fixes servant de modèle pour déterminer les proportions des statues, conformément à un idéal de beauté ». Rien dans l’emploi d’un tel mot ne présente donc un caractère sexiste ou dégradant.

La personne en photo sur le visuel peut, à titre personnel, ne pas apprécier d’être photographiée, mais lorsque l’on a une activité publique conduisant à siéger dans un hémicycle, on s’expose à des commentaires. Dès lors que ces commentaires ne portent pas atteinte à son image, tout recours est exposé au rejet.

L’annonceur relève que, selon le plaignant, il y a un « sous-entendu » qui découlerait selon lui de ce visuel : les femmes, dès lors qu’un commentaire plutôt flatteur serait fait, seraient donc considérées par l’auteur du commentaire comme n’ayant pas la capacité d’être intelligentes, d’accéder à des positions élevées du pouvoir. En l’occurrence il y aurait une volonté de faire passer cette femme et donc toutes les femmes pour inaptes au rôle politique ou à l’exercice d’une activité intellectuelle. L’annonceur estime qu’il s’agit du point de vue du plaignant, que rien ne l’établit, et qu’aucune juridiction en France, et donc aucun organisme ne peut s’autoriser à interpréter la pensée des uns ou des autres. A ce compte, un juge voyant une personne passer devant une banque pourrait penser qu’elle va commettre un vol.

Il ajoute que le commentaire est plutôt flatteur, écrit dans un français très correct, que la photo n’est ni vulgaire, ni érotique, ni ne porte atteinte à la dignité de la personne photographiée, et qu’aucune violation des dispositions de la Recommandation « Image et respect de la personne » n’a été commise.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dispose que :

« 2.1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2.2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme (…) ».

Le Jury relève que la publicité en cause se présente sous la forme d’un encart montrant une femme assise dans un hémicycle, les bras relevés en arrière pour se recoiffer, un pull blanc moulant une poitrine opulente. Le texte apparaissant au dessous de cette image est : « 15 politiciennes beaucoup trop canons ». Il est suivi du nom du site de l’annonceur.

Ce type d’encart apparaît généralement sous des articles de presse et a pour vocation d’inciter les lecteurs à se rendre sur un autre site, en l’occurrence celui de de l’annonceur, dont l’équilibre économique dépend essentiellement du trafic qu’il génère vers les bannières publicitaires qui y figurent. Dans ce contexte, ces encarts, qui s’efforcent d’être les plus attractifs possibles, peuvent être regardés comme des éléments publicitaires visant à promouvoir un site Internet.

En l’espèce, le caractère publicitaire de l’encart est par ailleurs manifeste, compte tenu de son emplacement dans un espace réservé et payant, séparé du contenu éditorial du site, supervisé par une régie publicitaire, comme les bannières, vidéos et autres pages de publicité.

Cet encart, qui met en avant une jeune femme à la poitrine moulée dans un pull blanc et cadrée de près, invite, pour voir les 14 autres photos annoncées, à cliquer sur le site de l’annonceur où figurent de nombreuses bannières publicitaires.

Le Jury relève que la photographie montre une jeune parlementaire, assise dans l’hémicycle, alors qu’elle relève ses cheveux, mettant en avant une poitrine avantageuse, particulièrement soulignée par le cadrage de la photographie. Il estime que cette photographie cherche ainsi à montrer l’intéressée, non pas dans l’exercice de son métier mais comme un objet de désir sexuel. Les termes « beaucoup trop canons », associés à cette image, accentuent encore ce décalage, en laissant entendre que les intéressées sont « beaucoup trop canons » pour faire de la politique.

Le Jury estime ainsi que l’encart en cause, en associant cette photographie, qui sexualise volontairement une posture dans un cadre pourtant professionnel, et les termes « 15 politiciennes beaucoup trop canons », utilise ainsi, à des fins publicitaires, l’image et le corps de la femme, la réduisant à la fonction d’objet, et minore son rôle et ses responsabilités dans la société, ce qui porte atteinte à sa dignité.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 5 octobre 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Drecq, MM. Acker, Benhaïm, Depincé, Leers et Lucas-Boursier.