Avis JDP n°352/14 – SITES INTERNET DE VENTE – Plaintes fondées

Avis publié le 31 décembre 2014

Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et, pour les cinq premiers plaignants, à prendre part à la séance,

– après avoir entendu l’une des plaignantes et les représentants de la société Rue du Commerce,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi entre le 4 et le 24 novembre 2014 de 2316 plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire mise en place sur le site Internet de l’annonceur.

Cette opération publicitaire se présente sous la forme d’un encart blanc apparaissant sur la page d’accueil du site Internet, comportant le titre « Attention : site interdit aux femmes. Le site X a été repensé pour les hommes. »

Le texte poursuit « Mesdames, si vous décidez d’aller plus loin, vous pourriez ressentir les symptômes suivants :

  • Désorientation
  • Indignation et colère
  • Affliction et pitié
  • Jalousie
  • Bouffées de chaleur
  • Envie de plaquage (dans les cas les plus graves)

X vous a prévenues et décline donc toute responsabilité »

Deux cases rectangulaires à cliquer suivent au bas de l’encart : l’une noire « Je suis un homme », l’autre blanche « Je suis une femme, je continue (même pas peur) ».

2.Les arguments échangés

Les plaignants énoncent que cette campagne publicitaire est sexiste, qu’elle vise à faire gagner de l’audience au site par la provocation, en misant sur l’indignation des personnes qui ne manqueront pas d’être touchées par ces caricatures humiliantes.

Selon les plaignants, cette publicité ne respecte pas les principes énoncés dans les règles de déontologie de l’ARPP, et notamment celles relatives à l’image de la personne.

L’une des plaignantes ajoute avoir publié deux articles sur internet concernant cette campagne.

Elle estime que les manquements à la déontologie publicitaire relevés sont graves et qu’une telle campagne n’a plus lieu d’être en 2014, après l’adoption de la loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

La société annonceur a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 4 novembre 2014 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant fait valoir que dans un contexte concurrentiel de plus en plus intense et face aux développements du commerce social, la société a décidé de revoir la ligne éditoriale de son site ainsi que le développement de nouveaux services. Elle souhaitait par ailleurs remercier sa clientèle masculine pour sa fidélité à l’enseigne depuis 15 ans en développant une opération inédite.

Dans l’intention de renouer avec le ton décalé, original de la marque, elle a lancé le 4 novembre 2014 son nouveau site avec un encart « réservé aux hommes » en pensant que le côté subversif et décalé de cette opération piquerait la curiosité de sa clientèle féminine. Elle avait, par ailleurs, décidé de faire suivre le développement de l’espace réservé aux hommes par l’ouverture d’un univers spécifiquement féminin, qui a été mis en place le 6 novembre.

Elle indique que cette opération spéciale avait pour seul objectif de proposer de manière humoristique et caricaturale des espaces distincts pour les hommes et les femmes en leur permettant de personnaliser leur expérience d’achat.

Elle ajoute que, depuis son origine, elle se caractérise par l’envie de faire découvrir à ses clients des produits novateurs sur un ton décalé et impertinent et que c’est dans cet esprit qu’elle a mis en place l’ensemble de sa communication, l’opération en cause ne visant en aucune manière à porter atteinte à la sensibilité de quiconque.

Lors de la séance, le représentant de la société a, de plus, fait observer que le procédé critiqué par les plaintes relevait de la « ligne éditoriale » du site et ne constituait pas une publicité.

3.L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que le code de la Chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale définit la publicité comme désignant « toute forme de communication commerciale pratiquée par les médias » et précise que la « communication commerciale inclut la publicité et toute autre technique telle que la promotion, le parrainage et le marketing direct et doit être interprétée dans un sens large en ce qu’il désigne toute forme de communication produite directement par un professionnel de la communication ou en son nom et destinée principalement à promouvoir un produit ou à influencer le comportement des consommateurs ».

La campagne de la société annonceur pour promouvoir son propre site, y attirer des consommateurs et orienter leur comportement d’achat, constitue bien au regard des termes de cette définition une publicité et non une simple « ligne éditoriale » comme l’a indiqué son représentant en séance.

S’agissant du respect de la déontologie publicitaire, la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose que :

«La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »

« D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine ».

« L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation ».

Le Jury observe qu’il n’est pas pour un annonceur, contraire en soi à la déontologie publicitaire de déclarer que la clientèle qu’il vise est plutôt celle des hommes ou celle des femmes et qu’un tel choix de politique commerciale ne saurait lui être reproché comme étant par lui même sexiste. Dès lors la mention « Attention interdit aux Femmes » figurant en haut de l’annonce  n’est contraire à aucune règle déontologique.

Néanmoins, l’annonce du site par laquelle les femmes pourraient, en visionnant ses pages, « ressentir les symptômes suivants : Désorientation, Indignation et colère, Affliction et pitié, Jalousie, Bouffées de chaleur, Envie de plaquage (dans les cas les plus graves) » renvoie à un stéréotype de la femme qui serait par nature hystérique, incapable de contrôler et de dominer ses émotions à l’égard du comportement masculin, ce qui, dans une opinion encore vivace, a pu être considéré comme étant le signe et la justification de son infériorité supposée. Par ailleurs, la publicité laisse entendre que la féminité pourrait constituer un état pathologique dont les « symptômes » seraient déclenchés par la fréquentation du site.

Dans ces conditions, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que la publicité en cause use d’un stéréotype dégradant et n’est donc pas conforme à la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP.

Il prend acte de la brièveté de la diffusion de cette publicité, qui n’est plus utilisée selon les indications fournies par les représentants de la société ors de la séance.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 12 décembre 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président et Mme Moggio ainsi que MM. Carlo, Depincé, Lacan et Leers.