Avis JDP n°301/14 – LIBRAIRIES – Plainte fondée

Décision publiée le 12.02.2014
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– et, après en avoir délibéré dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 décembre 2013, d’une plainte d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité d’une société qui exploite une librairie.

La publicité en cause, diffusée en affichage, montre une femme blonde, vêtue d’un bustier de  satin rose, les yeux écarquillés et les lèvres maquillées en rose de façon à leur donner une forme ronde. L’ensemble lui donnant l’apparence d’une poupée mannequin.

Cette photo est surmontée d’un encart blanc, ressemblant au message sanitaire figurant sur les paquets de cigarettes, qui énonce « LIRE nuit gravement à l’ignorance ».

Au bas de l’affiche, sont mentionnées les coordonnées de la librairie ainsi que la formule « Prescripteur de saines addictions ».

2.Les arguments des parties

 Le plaignant considère comme inadmissible le fait d’associer l’ignorance à une femme, validant et diffusant encore et toujours le stéréotype de la « quiche ».

La société annonceur fait valoir que la librairie, qui existe depuis plus de 150 ans,  a réussi à traverser de nombreuses périodes difficiles, en communiquant  toujours  avec humour et en faisant appel au  sens du second degré de ses clients, comme le prouvent les campagnes de publicité réalisées ces dernières années. Ces campagnes, réalisées par une agence à Vannes et adoptées par un groupement  qui rassemble une quarantaine de librairies indépendantes, ont toujours été plébiscitées par les clients, qu’il s’agisse de collectivités ou de particuliers, car, au-delà de l’humour qui les sous-tend, elles ont toujours visé à ouvrir un débat, ce qui correspond bien à la fonction de libraire.

Elle précise que la publicité en cause comporte deux visuels, l’un représentant une jeune femme, l’autre un jeune homme, tous les deux n’ayant pas – ce qui est évidemment volontaire – une apparence très éveillée.

Sur ces deux visuels est apposée la mention « LIRE NUIT GRAVEMENT A L’IGNORANCE », ce qui démontre bien que si ces deux jeunes gens ont effectivement l’air ahuri, ce n’est nullement en raison de leur sexe ou de leur couleur de cheveux, mais bien parce qu’ils sont ignorants, et s’ils sont ignorants, c’est parce qu’ils ne lisent pas. Le message est donc clair : Pour ne pas ressembler à ces deux caricatures, lisez !

L’annonceur estime donc que le plaignant, qui indique textuellement que la publicité associe l’ignorance à une femme et qu’est ainsi validé « le stéréotype de la quiche » se trompe  de cible. La « quiche » existe, et son équivalent masculin aussi, tout le monde le sait et les a un jour rencontrés. Ils ont un point commun : ils ne lisent pas.

Il considère que la plainte exprimée dans ces termes, contribue (bien involontairement) à véhiculer le fameux stéréotype de la femme-blonde-idiote, auquel il ne souscrit naturellement pas.

Ces visuels, comme ceux des précédentes campagnes, ont été réclamés par les clients, notamment par des enseignants, ce qui tend à démontrer leur pertinence et l’absence de tout sexisme. La culture est certes une affaire sérieuse et importante, mais l’annonceur essaie d’en parler avec humour, équilibre et intelligence, en osmose avec l’esprit de ses librairies qui resteront toujours des lieux de débat où la pensée unique n’a pas sa place.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose :

Au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

Et au point 2-3 que « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation ».

Le Jury estime que, si les règles déontologiques précitées ne font pas par principe obstacle à la représentation de la personne humaine sous les traits d’une personne présentée comme stupide, les annonceurs qui y ont recours doivent veiller à ne pas associer ce trait de caractère à un groupe social identifié ou identifiable par des stéréotypes répandus. L’humour ne saurait par ailleurs valider la représentation de tels stéréotypes.

En l’espèce, le Jury relève que la publicité critiquée par le plaignant exploite le stéréotype de la femme blonde idiote et superficielle, qu’elle présente explicitement comme une « poupée » écervelée, plus proche de l’objet que de l’être humain. Dès lors, elle méconnaît les dispositions précitées.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée;

– La publicité en cause contrevient aux points 1.3, 2.1 et 2.3 de la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de la diffusion de cette publicité ;

– La décision sera communiquée au plaignant et à l’annonceur ;

– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 4 février 2014, par M. Lallet, Vice-Président, substituant la Présidente, Mme Moggio, et MM.  Carlo, De Pincé, Lacan et Leers.