Décision publiée le 26.12.2013
Plaintes partiellement fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu les représentants de l’annonceur, de l’agence de communication et des médias de diffusion, ainsi que le représentant de l’ARPP ;
– et, après en avoir délibéré hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 31 octobre et 8 novembre 2013, de deux plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire en faveur des services d’une enseigne de distribution d’électroménager.
La campagne en cause, diffusée en affichage et sur internet, comporte plusieurs visuels.
Les deux publicités mises en cause par les plaintes représentent des personnages, photographiés en noir et blanc :
L’une montre un homme debout, vêtu d’un tee-shirt blanc, se tenant la tête, accompagné du texte « Face à la technologie, on est tous un peu blonde. L’assistance téléphonique 24h/24- 7J/7 ».
Le deuxième visuel montre un homme debout, torse nu, derrière lequel se tient une femme blonde qui l’enlace, accompagné du texte « Elle achète en ligne. Il va chercher mes commandes en magasin. Retrait en magasin une heure après ».
2.Les arguments des parties
Les plaignants font valoir que ces publicités sont sexistes, stéréotypées et dégradantes, en particulier pour les femmes. Selon eux, elles renforcent les stéréotypes masculins comme féminins (homme fort, macho, par opposition à la femme passive, niaise, dépendante).
L’un des plaignants ajoute que cette publicité a pour effet de renforcer les stéréotypes sexuels et sexistes. Il ajoute que ces modèles ont des effets néfastes sur les relations entre les personnes et que tolérer cette publicité, c’est accepter, banaliser la discrimination envers les femmes.
L’annonceur, auquel le secrétariat du Jury a transmis les plaintes le 7 novembre 2013, n’a pas présenté d’observations.
L’agence de communication fait valoir que la campagne met en scène des hommes et des femmes qui, sans vouloir être représentatifs de tous les français, incarnent les clients de la marque faisant l’apologie de l’intérêt et de la qualité des services proposés par cette enseigne. Inattendue, surprenante et un peu glamour, la campagne crée une rupture volontaire avec l’historique publicitaire de la marque permettant de voir la marque autrement.
Il a été pris le parti de présenter sous la forme de portraits de mode, des exemples de clients s’exprimant comme des clients réels sur des sujets relevant de préoccupations quotidiennes des consommateurs. À ce titre, leur langage peut emprunter des expressions populaires contribuant ainsi à établir un lien de proximité avec le public en toute simplicité.
Concernant le visuel « Face à la technologie, on est tous un peu blonde », l’idée est littéralement de dire que le service d’assistance proposé par la marque est indispensable face aux technologies d’aujourd’hui. Contrairement au cliché de l’homme qui serait plus familier de cette technologie, l’agence a souhaité montrer que ce problème est universel sans distinction de sexe et a représenté cet homme – qui a besoin de conseils, comme tout le monde – en lui faisant se moquer du stéréotype de la « blonde » et en se l’appliquant à lui-même et, au-delà, à tous.
Cette création, contrairement à ce qu’affirme le plaignant, ne fait pas la promotion d’un stéréotype sexiste mais elle le détourne pour s’en moquer et prôner l’égalité des sexes devant cette problématique de la technologie et, des freins et perturbations qu’elle peut provoquer autant chez les hommes que chez les femmes.
L’agence fait valoir que l’utilisation d’un stéréotype n’en fait pas forcément la promotion. Pour elle le terme de « blonde » passé dans le vocabulaire populaire, utilisé en titre d’émission grand public (la minute blonde..) n’est pas interdit d’utilisation si son utilisation permet de la combattre. L’agence ajoute que c’est d’ailleurs ce que recommande l’autodiscipline de la profession quand elle indique que « L’expression de stéréotypes, … doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la …Recommandation. ».
Concernant le visuel « Elle achète en ligne. Il va chercher mes commandes en magasin », l’agence explique que cette affiche est l’explication littérale du service « Click and Collect ». Pour la mettre en scène, elle a représenté un couple et a rajouté cette petite histoire d’une femme qui « manipule » gentiment son compagnon pour qu’il aille chercher ses colis en magasin. Elle fait valoir que le fait de rendre service à sa femme n’est pas un acte de domination et que la femme représentée, qui obtient de son compagnon qu’il se déplace pour chercher des commandes, est, au sein du couple, active, décisionnaire, intelligente et autonome.
Dans cette création, selon l’agence, aucun stéréotype invoqué par le plaignant n’est véhiculé, mais c’est tout l’inverse qui est illustré. Cette création publicitaire, digne et respectueuse de tous, est, selon elle, conforme aux recommandations de l’autodiscipline.
L’une des sociétés d’affichage fait valoir que la campagne en cause a fait l’objet d’un affichage d’une durée d’une semaine sur des réseaux nationaux avec différents visuels dont deux font l’objet de la présente affaire. À ce jour, les campagnes sont terminées et les affiches ont donc toutes été retirées de ses dispositifs d’affichage.
Sur le visuel « Face à la technologie, on est tous un peu blonde », la société explique que, compte tenu de l’attitude et de l’accroche utilisée, on comprend que l’homme se trouve perplexe face à la technologie. L’accroche mise sur un ton humoristique et décalé et vise à informer les consommateurs aussi bien hommes que femmes que la marque est prêt à les aider dans leur achat d’électroménager, hi-fi, informatique ou de télécoms, dont les contenus technologiques sont toujours plus importants et plus complexes à comprendre.
Par ce visuel, selon l’afficheur, l’enseigne communique sur son expertise en matière de service clients et sur sa proximité avec les consommateurs faisant appel à ses services. Cette accroche apparaît comme étant résolument « second degré ». De fait, il convient de souligner que c’est un homme brun, en plein désarroi face à la technologie, qui figure au premier plan sur l’affiche. Il n’y a donc aucune image dégradante de la femme. De plus, le message publicitaire qui accompagne ce visuel masculin fait référence à une expression populaire qui n’a pas vocation à stigmatiser un type de public, en l’occurrence « les blondes », par rapport à une autre, puisque le fond du message est tout au contraire d’indiquer qu’hommes ou femmes, bruns ou blondes, en clair et au-delà du sexe et a fortiori de la couleur des cheveux, tout le monde peut, face à la technologie, se retrouver désemparé et avoir besoin d’aide, en l’occurrence celle du service clients de l’enseigne.
Sur le visuel « Elle achète en ligne. Il va chercher mes commandes en magasin. », l’afficheur expose que le ton employé se veut humoristique et décalé et qu’il n’est en rien dégradant pour la femme, étant entendu que l’on pourrait indiquer que, dans ce visuel, l’homme est objet et soumis et qu’il n’a pas pour objet ni même pour effet de donner une image dégradante de la femme et de communiquer sur des stéréotypes sexistes.
L’autre société d’affichage concernée fait valoir que la campagne rompt avec l’image jusqu’alors donnée par la marque et représentée par la camionnette jaune quelque peu désuète et son célèbre slogan « contrat de confiance ». Par cette nouvelle campagne, l’annonceur vise une nouvelle clientèle, jeune et dynamique et tente de moderniser son image en combinant la puissance et l’offre de son réseau de magasins avec la facilité et l’économie de l’achat en ligne.
Les propos et interprétations contenus dans les plaintes lui paraissent disproportionnés et même erronés au regard de l’esprit dans lequel la campagne a été menée. Elle ajoute qu’une campagne publicitaire se doit d’être au plus près de son public pour pouvoir le sensibiliser. Si l’expression des préjugés ne doit pas être encouragée, le détournement des stéréotypes crée une connivence avec le public en bousculant la conscience collective. Le but étant de jouer sur les mots et les images afin de marquer les esprits par une campagne percutante et décalée.
Dans le cas d’espèce, certains codes sont détournés et ne peuvent être pris au sens premier. À titre d’exemple, le caractère de la blondeur mis en avant sur l’une des affiches publicitaires est exprimé par un sujet masculin. Ce slogan humoristique bouscule les idées reçues sans les conforter.
L’afficheur affirme que, néanmoins, parce qu’elle exerce une vigilance constante et rigoureuse quant aux messages publicitaires qu’elle diffuse, elle a décidé, à la réception du courrier du JDP, de débuter les opérations de dépose des affiches litigieuses.
Il considère en effet que le strict respect de la déontologie et de la réglementation propre à son activité, engagement qu’elle tient auprès de ses partenaires et du public, est indispensable à la pérennité de l’entreprise qui entend pleinement assumer sa responsabilité citoyenne.
Une autre société d’affichage indique qu’elle n’a pas affiché le visuel « Face à la technologie (…) » et qu’elle ne décèle pas l’atteinte à l’image de la personne humaine dans celle du couple.
L’Autorité de Régulation professionnelle de la Publicité (ARPP) précise avoir été interrogée par un afficheur adhérent concernant le projet de l’affiche « blonde » et qu’elle a déconseillé cette publicité au motif que « L’allégation présente dans l’accroche de cette affiche utilise un stéréotype (…) dégradant pour l’image de la femme blonde…. ».
Conformément à la procédure mise en place avec l’Union de la Publicité Extérieure, cet avis a été adressé à l’ensemble des afficheurs membres de l’UPE.
Elle ajoute que si elle avait été interrogée sur l’affiche représentant le couple, elle aurait donné un avis favorable car celle-ci ne met pas en scène une quelconque situation qui serait dégradante pour l’image de la femme.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :
« D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».
« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».
– « La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »
Concernant le visuel « Face à la technologie, on est tous un peu blonde.»
La photo de ce visuel représente un homme jeune au physique séduisant, les cheveux en bataille et la main sur la tête dans une posture témoignant à la fois la perplexité et le découragement. Le slogan « Face à la technologie, on est tous un peu blonde » a pour objectif, selon les explications de l’agence, d’instaurer une proximité entre la marque et une clientèle jeune et moderne, sensible à l’humour par l’utilisation décalée, s’agissant d’un homme brun, d’une expression stéréotypée concernant les femmes blondes.
Le Jury admet et ne met pas en doute que l’intention de l’agence est, par ce visuel, d’instaurer une universalité du qualificatif « blonde » comme étant déconnecté de la réalité et comme ayant désormais vocation à exprimer une idée d’incapacité à comprendre ou à résoudre une difficulté, que celle-ci soit réelle ou non et qu’elle soit éprouvée par un homme ou par une femme.
Il n’en demeure pas moins que ce procédé fait sien une expression qui, dans son sens premier, procède d’un stéréotype selon lequel les femmes blondes seraient irréfléchies et idiotes, stéréotype dévalorisant et dégradant pour les femmes en général car il n’existe aucune raison objective qui expliquerait que la couleur des cheveux puisse avoir une quelconque influence sur l’intelligence.
Il ne peut, par ailleurs, être considéré que le stéréotype est ici détourné ou utilisé dans un sens contraire à son sens primaire, pour mieux le combattre, puisqu’il est justement utilisé pour qualifier de façon générale l’incompréhension et l’incapacité à résoudre une difficulté.
L’appropriation de cette expression par la publicité, même lorsqu’elle est faite dans un esprit humoristique et sans intention particulière de stigmatiser une catégorie de population, ce qui n’est d’ailleurs pas dans l’intérêt de l’annonceur, contribue à perpétuer une idée préconçue qui ne repose sur aucun fondement et qui véhicule une image dévalorisée de la femme. Elle constitue, selon le Jury, un manquement à la disposition précitée de la Recommandation Image de la personne humaine.
Concernant le visuel « Elle achète en ligne. Il va chercher mes commandes en magasin »
Cette affiche met en scène un homme torse nu dont le visage adopte une mimique décidée et volontaire, enlacé par une jeune femme blonde souriante.
Cette photo n’induit aucune idée de supériorité de l’homme sur la femme, le fait que celui-ci soit musclé ne permettant en rien d’induire l’idée que sa compagne lui serait inférieure ou soumise, ce que rien dans son attitude ne laisse présupposer. Le slogan qui évoque une idée de répartition des tâches entre eux ne renvoie à aucun stéréotype sexiste, contrairement à ce que soutiennent les plaignants.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que seule l’affiche au slogan « Face à la technologie, on est tous un peu blonde» ne respecte pas les dispositions de l’article 2 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP.
4.La décision du Jury
– Les plaintes sont partiellement fondées ;
– Le visuel « Face à la technologie, on est tous un peu blonde » ne respecte pas la disposition 1.1 de la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP ;
– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de cette publicité ;
– La décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence de communication et aux médias de diffusion;
– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.
Délibéré le 6 décembre 2013, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq, et MM. Benhaïm, Depincé et Leers.