Décision publiée le 26.12.2013
Plaintes non fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu les plaignants invités à la séance, en application de l’article 14 du règlement intérieur, ainsi que les représentants de la société d’affichage et de l’ARPP,
– et, après en avoir délibéré hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre les 10 et 21 octobre 2013, de plusieurs plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée en affichage, en faveur d’un site internet proposant des rencontres extra conjugales sur internet.
Les visuels mis en cause montrent, sur un fond de couleur mauve, une pomme croquée en partie, accompagnée de l’une des phrases suivantes en accroche :
– « C’est parfois en restant fidèle qu’on se trompe le plus »
– « Tout le monde peut se tromper, surtout maintenant »
– « Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité ».
Les publicités sont signées du nom du site, suivi du slogan « Le 1er site de rencontres extra-conjugales. ».
2.Les arguments des parties
Dans leur ensemble les plaignants considèrent que ces publicités sont choquantes car elles incitent à l’adultère et sont contraires au principe de fidélité entre époux inscrit dans le code civil.
Ils indiquent que la campagne publicitaire contient des incitations et des encouragements aux comportements illicites qui peuvent être répréhensibles, car contraires à l’article 212 du code civil. Ces campagnes publicitaires, qui suscitent l’infidélité, sont, selon eux, une atteinte à la responsabilité sociale dans la représentation de la personne humaine (articles 2 et 4 du Code de la C.C.I).
Ils ajoutent que ces publicités ne respectent pas la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP, car elles proposent la commission d’un adultère pour illustrer auprès des consommateurs l’idée d’une liberté et pour promouvoir des services qu’elle distribue.
Ils ajoutent que la publicité du site dégrade et humilie, en incitant à des attitudes attentatoires à la dignité humaine, qu’elle favorise le divorce, puisque l’infidélité est le premier motif de divorce des couples, et qu’ainsi cette publicité est génératrice de troubles sociaux. Par ailleurs, les plaignants font valoir qu’il est contradictoire pour la RATP de permettre l’affichage de cette campagne tout en diffusant une campagne incitant au respect des règles du savoir-vivre et du civisme dans le métro.
Selon les plaignants, les communications récurrentes du site bafouent de nombreux points du code ICC : l’article 2/ décence, l’article 3/ loyauté, l’article 4/ responsabilité sociale et l’article 5/ véracité, en ce que le service proposé occulte son illégalité intrinsèque et ses conséquences inéluctables. Ils estiment qu’elles ne respectent pas les chartes du respect de la dignité de la personne humaine et du respect de l’enfant, édictées par l’ARPP. Ils ajoutent qu’elles banalisent également une violence morale en faisant l’apologie de la duplicité et du mensonge, qu’elles sont de nature à inquiéter les enfants et qu’elles sont contraires à l’ordre public, puisque la fidélité exigée par l’article 212 du code civil est une règle d’ordre public et que les manquements à cette règle sont constitutifs de fautes civiles. Ils insistent sur les effets dommageables des divorces sur les enfants.
L’annonceur fait valoir dans ses observations écrites que depuis la création de son site Internet en décembre 2009, s’est installée dans le paysage français et européen des sites de rencontres en ligne.
Il indique que la campagne publicitaire en cause a été réalisée par une agence de communication. Son slogan « C’est parfois en restant fidèle qu’on se trompe le plus » est une continuité logique des précédentes campagnes de communication («Par principe, nous ne proposons pas de carte de fidélité », « Tout le monde peut se tromper. Surtout maintenant », «Et si cette année vous trompiez votre amant avec votre mari ?»).
Ces campagnes sont le reflet de la marque, féminine et décalée, qui prend la parole sans complexe, mais sur le ton de l’humour et du jeu de mot. Il ajoute que si ces slogans sont légèrement provoquants leur but a toujours été de faire sourire et réfléchir; mais pas de choquer ou d’offenser.
La société fait valoir que toutes ses publicités ont été acceptées par les services juridiques des régies publicitaires du paysage audiovisuel français et que ses campagnes sont diffusées dans plusieurs pays européens, tels que la Belgique ou l’Italie, sans aucune plainte à ce jour.
Elle indique qu’elle ne fait pas de prosélytisme pour l’adultère et ne prône en aucun cas des valeurs contraires au code civil. Elle considère qu’elle apporte une réponse à un problème sociétal.
L’Autorité de Régulation professionnelle de la Publicité (ARPP) indique que, s’agissant d’un service de rencontres, dont l’activité est légalement autorisée en France, celui-ci peut librement accéder à la publicité.
Sur le contenu même des publicités, l’ARPP mentionne avoir été interrogée concernant plusieurs visuels de la campagne, par un afficheur adhérent préalablement à leur diffusion. Les visuels incriminés ont été considérés comme conformes aux dispositions déontologiques et juridiques en vigueur et ont pu être ainsi validés, sans restriction.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle à titre liminaire que sa mission consiste exclusivement à examiner la conformité des publicités aux règles déontologiques dont la profession s’est dotée. En vertu de l’article 3 de son règlement intérieur, qui définit son champ de compétences : « Ses décisions concernent uniquement le contenu des messages publicitaires diffusés et ne portent, en aucun cas, sur les produits ou services concernés ». Il en résulte qu’il n’appartient pas au Jury de se prononcer, fût-ce de manière indirecte, sur la licéité, la validité et la conformité aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur des produits qui font l’objet des publicités contestées devant lui, cette prérogative appartenant aux seules juridictions.
Le site exploité par l’annonceur est un site de rencontres en ligne, qui s’affiche comme proposant des rencontres « extraconjugales ».
Il résulte de ce qui a été précisé ci-dessus qu’il n’appartient pas au Jury d’apprécier si ce service commercial est licite. Il constate au demeurant qu’à ce jour, aucune juridiction n’a ordonné la suspension ou l’arrêt des activités de la société ou la fermeture du site Internet qu’elle exploite en raison d’un manquement aux lois et règlements ou d’un trouble à l’ordre public, et qu’aucune disposition législative n’interdit les services de cette nature ou la publicité pour les promouvoir. Dans ces conditions, il ne saurait être utilement reproché à la campagne publicitaire litigieuse de faire la promotion de ce service. En particulier, s’il est soutenu que ces publicités méconnaissent l’article 212 du code civil, qui institue une obligation de fidélité entre époux, ainsi que le principe de responsabilité sociale, en tant qu’elles incitent le public à l’infidélité, cette critique est en réalité dirigée contre le produit dont il est fait la promotion, point qui échappe à la compétence du Jury.
En outre, le Jury considère que, au regard de leur contenu propre, ces publicités ne méconnaissent pas les principes généraux du Code consolidé de la Chambre de Commerce Internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale (code ICC), notamment les principes de légalité, de décence, de loyauté et de responsabilité sociale. De même, elles ne sont pas contraires à la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP qui énonce à son article 1/1 que « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et sa décence ».
En effet, ces publicités ne proposent aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni d’incitation au mensonge où la duplicité contrairement à ce que soutiennent les plaignants, mais utilisent des évocations, des jeux de mots ou des phrases à double sens qui suggèrent la possibilité d’utiliser le service offert par le site, tout un chacun étant libre de se sentir concerné ou pas par cette proposition commerciale. Par ailleurs, les slogans ainsi libellés avec ambiguïté ne peuvent être compris avant un certain âge de maturité enfantine ; ils n’utilisent aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la campagne publicitaire en cause n’est pas contraire aux dispositions du Code consolidé de la Chambre de Commerce Internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale ni aux dispositions de la Recommandation Image de la personne humaine et de la Recommandation Enfant de l’ARPP.
4.La décision du Jury
– Les plaintes ne sont pas fondées ;
– La décision sera communiquée aux plaignants ainsi qu’à l’annonceur et aux supports ;
– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.
Délibéré le 6 décembre 2013, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq, et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé et Leers.