Avis JDP n°259/13 – DISTRIBUTION COMBUSTIBLES – Plainte fondée

Décision publiée le 26.06.2013
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’annonceur et du support,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

 1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 25 avril 2013, d’une plainte d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société annonceur pour son charbon de bois.

La publicité en cause, diffusée en affichage, montre une femme, représentée à la manière des photos de « pin-up » des années 50. Elle est penchée au-dessus d’un barbecue sur lequel elle fait cuire une tranche de viande.

Elle porte un chemisier blanc décolleté, des talons hauts et une jupe rouge qui paraît soulevée par le paquet de charbon de bois posé à ses pieds et qui dévoile des bas noirs retenus par un porte-jarretelles.

Cette image est accompagnée du texte suivant « X – la braise qui change tout», « Laissez-vous tenter … par une bonne grillade ».

2.Les arguments des parties

 Le plaignant fait valoir que cette publicité est « sexiste ».

La société annonceur a été informée par courrier du 6 mai 2013 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du JDP.

La société a sollicité, par le biais de son conseil, la tenue de l’audience, conformément à la possibilité prévue par le règlement intérieur du Jury.

Elle fait valoir que son visuel fait référence à l’Amérique, bien connue pour sa tradition du barbecue et, plus précisément, à l’Amérique des années 50.

Elle rappelle que le barbecue sphérique au charbon avec un couvercle, que l’on nomme aujourd’hui barbecue américain, a été inventé au tout début des années 50 par l’américain Weber, que c’est à la même époque que la « pin-up » connait son apogée outre-Atlantique, notamment en publicité, et que de grands artistes américains, comme par exemple l’illustrateur Gil Elvgren, se sont fait une spécialité de magnifier la femme par leurs dessins et aquarelles. Selon elle, ces deux circonstances instaurent un rapport direct entre la représentation proposée et le produit en cause.

L’annonceur ajoute que la technique utilisée (dessin) contribue à distancier ce visuel de la réalité et dès lors, permet de rendre acceptable la posture par définition suggestive de la « pin-up » au regard des règles en vigueur.

Il fait valoir également que le visuel propose une mise en scène humoristique : le « clin d’œil » à l’Amérique des Années 50 et donc, à l’invention du barbecue américain.

Ainsi, selon la société, le visuel ne porte atteinte ni à la dignité, ni à la décence ; la « pin-up » représentée n’est soumise à aucun acte de soumission, de dépendance ou de violence et toute nudité est absente. La représentation proposée n’est donc pas dégradante pour la personne humaine.

Elle précise que ce second degré est perçu par une grande majorité du public ainsi qu’en attestent les avis postés sur le visuel en cause via le site Internet dont il fournit quelques extraits (« Bien que féministe, au sens noble du terme, je trouve cette affiche plutôt amusante et absolument pas choquante pour mon intégrité en tant que telle. 4/7 La pin-up, bien que sexy, a le mérite de ne jamais être vulgaire, et conserve toujours une innocente candeur qui la rend sympathique, telle Marylin Monroe ou Brigitte Bardot pour ne citer qu’elles », « (La) représentation de la femme (…) est humoristique et sexy, sans être vulgaire. (…) », « Rien de choquant (…) », « (…) Voilà une femme qui a l’air d’une femme au moins ! Je ne vois pas en quoi cette pub est dégradante ! Elle est rigolote avec son côté rétro, cette époque où effectivement les femmes étaient féminines ! (…) »….)

La société d’affichage fait valoir que si le visuel incriminé constitue une mise en scène provocante, il n’est pas, pour autant, répréhensible au regard de la Recommandation de l’ARPP.

En effet, pour sa campagne 2013, elle a décidé de faire appel à la symbolique de la « pin-up », à l’instar des marques Perrier en 2010 (avec le modèle Dita Von Teese) ou Schweppes en 2011 (avec l’actrice Uma Thurman). Il en a été de même pour les marques Canderel ou DIM (en 2007), qui sont allées puiser leur  inspiration dans l’iconographie des années cinquante, très en vogue dans le monde de la publicité, pour illustrer leur message.

L’annonceur s’inscrit dans cette tendance avec ce visuel traité sur le mode rétro.

Il s’agit d’un message humoristique décalé, fondé sur le détournement de certains codes de la publicité.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :

Au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

Le Jury relève que la représentation de la femme donnée par la publicité en cause est érotisée par son habillement et sa posture, ce qui procède de l’intention de l’annonceur qui indique avoir ainsi voulu renvoyer aux représentations des années 50, moment de l’invention du barbecue.

Le rappel historique ainsi invoqué ne justifie nullement la présentation de la féminité réduite à une fonction d’objet de faire-valoir et de promotion. En effet, le procédé ainsi utilisé présentant la femme toute à la fois objet sexuel et ménagère renvoie à des stéréotypes encore ancrés dans beaucoup d’esprits quant à la place des femmes dans la société, et contribue à les perpétuer. Ni l’humour prétendu, ni le procédé technique du dessin, ne permettent d’assurer une prise de recul dans cette présentation qui n’est pas conforme aux dispositions déontologiques de la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP.

Le Jury considère donc que la plainte est fondée.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– La publicité en cause n’est pas conforme aux points 1.3 et 2.1 de la Recommandation « Image de la Personne Humaine » ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de cette publicité ;

– La décision sera communiquée au plaignant, à l’annonceur et à l’afficheur;

– Elle sera publiée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 7 juin 2013, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Carlo, Benhaïm, Depincé et Leers.