Avis JDP n°223/12 – ÉPICERIE FINE – Plaintes fondées

Décision publiée le 17.10.2012
 Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentantes de l’association Les Chiennes de garde et de la société d’affichage ;

– et, après en avoir délibéré,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 3, 5 et 6 septembre 2012, de trois plaintes émanant de particuliers, puis, le 8 septembre 2012, d’une plainte émanant de l’association Les Chiennes de garde, afin qu’il se prononce sur la conformité, au regard des règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire pour la marque De produits d’épicerie fine, diffusée par catalogue, sur Internet et par affichage.

Le catalogue, consultable sur internet, comprend plusieurs visuels, présentant des jeunes femmes dévêtues.

Le visuel diffusé en affichage montre une femme, vêtue d’une robe blanche de dentelle, très courte,  allongée sur un piano devant laquelle est présentée une bouteille de vinaigre rouge.

2.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent que cette campagne assimile les femmes à des objets sexuels et qu’elle véhicule une image humiliante et dégradante de la femme, présentée nue pour un produit qui ne le justifie pas. Cette campagne est, selon eux, contraire aux dispositions déontologiques en vigueur.

L’association Les Chiennes de garde développe ses  principales critiques sur cinq des visuels :

Dans le premier, une femme est emprisonnée sous une cloche, tel un objet, ce que rappelle la photo qui suit dans le catalogue, où on voit la même cloche recouvrant cette fois une bouteille de champagne. La femme en question est clairement assimilée à un bel objet de luxe à garder à l’abri sous cloche.

Le second visuel présente une femme entièrement nue, couchée sur un lit de flacons d’huile d’olive. Tous les éléments du « porno chic sont réunis » : la femme nous regarde langoureusement, le corps cambré, et l’appareil photo est au-dessus d’elle (soumission).

La phrase « Le coffret dégustation. Pour goûter des huiles d’olives avant de choisir la sienne… » accompagne ce visuel, renforçant encore l’objectification : « les femmes sont assimilées aux huiles d’olive que l’on essaie avant de choisir la sienne..  ».

Dans le troisième visuel figurent trois femmes, entièrement nues, dans des positions abracadabrantes, telles des statues de marbre. Les femmes sont encore ramenées à des beaux objets de désir, et bien sûr le visuel n’a rien à voir avec le produit qu’on veut vendre.

Le quatrième visuel présente une femme très maquillée, entièrement nue sur un siège, qui regarde l’objectif sensuellement, et fume une cigarette. On ne voit pas du tout le rapport avec la bouteille de vinaigre qu’on veut vendre. La confusion se crée : veut-on vendre les femmes ou les bouteilles ?

Le dernier visuel montre une femme de dos, entièrement nue, tenant un flacon d’huile d’olive dans son dos, et une autre femme habillée de face la tenant par les cheveux et le bras. Cette image évoque encore le « porno chic ».

Selon l’association, ces corps de femmes déshumanisés, photoshoppés au point de ne plus ressembler à des êtres vivants insultent toutes les femmes, en faisant d’elles des objets à décorer pouvant vendre tout et n’importe quoi. Ces femmes sexuellement disponibles peuvent être assimilées à toutes les femmes qui dans notre société sexiste doivent subir tous les jours la déshumanisation à laquelle participent ces publicités car le problème ici n’est pas juste une représentation glamourisée des femmes comme objets, mais que ces représentations ont un impact sur les esprits des gens et sur la vie et la santé des femmes. Plus l’idée que les femmes sont des objets est répandue, plus les hommes continuent de tuer une femme tous les deux jours et demi en France, de violer 75 000 femmes par an et de harceler les femmes, comme si elles étaient sur terre pour être à leur disposition sexuelle.

Elle ajoute que ces publicités ne sont pas conformes au Code de déontologie car elles ne respectent pas la dignité de la personne humaine, dévalorisent et exploitent les femmes, établissent une discrimination car seules les femmes sont « objectifiées » et nues, la représentation de la nudité est avilissante et aliénante. Ces publicités sont aussi une présentation complaisante d’une situation de domination, de soumission de ces femmes.

La société d’affichage qui a procédé à l’affichage de l’un des visuels souligne que cette affiche n’est concernée que par l’une des plaintes.

Elle ajoute que cette campagne a été soumise à l’examen des différents services qui, en accord avec la direction commerciale, ont décidé qu’il n’était pas opportun de les soumettre à l’ARPP avant leur diffusion en raison du fait qu’elle n’était pas de nature à heurter la sensibilité du public, tous âges et toutes catégories confondus.

En effet, le visuel met en scène une femme allongée sur un piano devant laquelle est posé un flacon de vinaigre. C’est la femme qui présente l’objet et non l’inverse et elle ne laisse aucun doute sur son pouvoir d’action. Le lien entre le visuel et le produit tient à ce rapport entre la femme et le flacon qui se trouve devant elle.

L’annonceur a ainsi utilisé les codes féminins afin de sublimer un produit certes alimentaire mais qui entre dans la catégorie de la gastronomie de luxe.

Cette publicité ne contrevient donc pas à la recommandation Image de la personne humaine.

Elle ne contrevient pas non plus à la Recommandation Enfant car elle ne présente aucune connotation sexuelle et n’est pas de nature à choquer les enfants.

Tout le visuel a vocation à évoquer l’univers des années 20 et s’inscrit donc dans la volonté de la marque de véhiculer une image à la fois glamour et décalée.

L’annonceur a fait valoir que son intention était de donner aux produits de la marque une image sophistiquée, de grand luxe, par la représentation de différents univers.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :

Au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

Le Jury relève que le catalogue et l’affiche en cause ont pour objectif de promouvoir les produits de la marque, soit des huiles d’olive, des vinaigres ou des vins.

Les photos du catalogue montrent des femmes habillées, mais présentées comme des objets de collection, ou des femmes totalement nues, photographiées dans des postures et des lumières qui donnent à l’ensemble une ambiance érotique.

Quelle que puisse être l’intention de l’annonceur dans ces photos, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe aucun lien entre les produits visés par la publicité et la représentation de la femme qu’elles utilisent.

Ce procédé constitue une instrumentalisation du corps de la femme, qu’il soit habillé ou nu, la réduisant à la fonction d’objet et contrevient aux dispositions précitées.

 S’agissant de l’affiche, le Jury relève que, si la femme présentée n’est pas nue mais légèrement vêtue, elle se trouve toutefois dans une position alanguie suggestive qui n’a aucun rapport avec le produit promu. Cette photo, comme celles du catalogue, présente la femme comme faire-valoir d’un produit alimentaire, et la réduit ainsi à la fonction d’objet.

Il résulte de ces constatations que les publicités diffusées pour la promotion des produits de l’annoceur ne respectent pas la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont  fondées ;

– Les publicités diffusées pour la promotion des produits de la marque contreviennent à la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures permettant de faire cesser cette publicité ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, ainsi qu’à l’annonceur et à l’afficheur ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 5 octobre 2012 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.