Décision publiée le 26.09.2012
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– et, après en avoir délibéré, dans les conditions prévues à l’article 12 du règlement intérieur,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 14 juin 2012, d’une plainte d’un particulier, afin qu’il se prononce, sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité diffusée par courrier électronique, en faveur de l’entreprise A, pour son offre d’épargne retraite.
Ce courrier publicitaire électronique dont l’objet est « Retraite Madelin retraite malin », utilise en accroche, le texte suivant : « Retraite Madelin, retraite malin », « dernière chance avant l’égalité des sexes », « Souscrivez avant le changement », « la retraite des hommes va basculer » accompagné d’une image montrant disposés de part et d’autre d’une planche à bascule, un homme en costume se tenant les bras croisés sur l’extrémité haute de la planche et, dans une taille plus petite de moitié, une femme en tailleur à l’extrémité de la planche touchant le sol.
Le texte utilisé dans le courriel est « Fin de la discrimination hommes-femmes sur la retraite Madelin. La jurisprudence européenne met fin à la différence de traitement entre hommes et femmes en assurance. Pour la retraite, les rentes servies aux hommes vont être réduites puisqu’il ne sera plus tenu compte uniquement de leur espérance de vie plus courte que celle des femmes. Aujourd’hui, les rentes proposées aux hommes, compte tenu des tables de mortalité utilisées sont environ supérieures de 15% à celles des femmes.
A compter du 21 décembre 2012, les assureurs ne pourront plus traiter différemment hommes et femmes.
Messieurs, nous vous proposons de conserver cet avantage. »
2.Les arguments des parties
Le plaignant considère que cette publicité est sexiste.
L’annonceur a été informée par courrier du 16 juillet 2012 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du JDP.
L’annonceur rappelle le contexte de cette campagne d’e-mailing qui avait pour but d’informer ses clients et prospects de l’évolution de la réglementation et des tarifs en matière d’assurance suite à une décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 1er mars 2011.
Il précise à ce sujet que l’article 5-§2 de la directive 2004/113/CE mettant en œuvre le principe d’égalité du traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et de services, autorisait les compagnies d’assurances à pratiquer des différences de tarifs entre les hommes et les femmes. Cette réglementation a notamment permis aux assureurs de proposer des tarifs plus bas aux femmes et d’améliorer les rentes des hommes.
Le 1er mars 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne a décidé que cette dérogation à la règle des primes et des prestations unisexes était invalide avec effet au 21 décembre 2012.
Le 22 décembre 2011, la Commission européenne a adopté des lignes directrices en vue d’aider le secteur de l’assurance à appliquer la règle des primes unisexes à partir du 21 décembre 2012.
Selon l’annonceur, puisque les conséquences de cette évolution réglementaire sont particulièrement importantes pour les assurés selon leur sexe, les femmes paieront ainsi plus cher leurs assurances automobile et décès, alors que de leur côté, les hommes verront leur rente viagère baisser en matière d’assurance vie ou de retraite. L’annonceur a simplement fait état de ces changements liés à l’application de l’égalité des sexes à partir du 21 décembre 2012 conformément à la réglementation européenne.
Il fait valoir qu’il est important d’examiner le visuel de cette campagne d’un seul tenant et non sur une impression sur deux feuilles comme il a été envoyé à la société et estime que l’examen de cette campagne ne présente aucune atteinte à la dignité ou à la décence. La campagne litigieuse ne réduit pas la femme à la fonction d’objet, ni ne cautionne l’idée de l’infériorité d’une femme en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société, ni induit l’idée de soumission ou de dépendance dévalorisant les femmes, ni ne constitue une présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation des femmes, ni incite à la violence contre les femmes.
Il y est uniquement fait état d’une évolution des normes européennes sur la base de l’égalité des sexes. Les hommes, qui souscrivent une assurance avant le 21 décembre 2012, bénéficient d’une rente viagère de 15% supérieure à ceux qui la souscriront après cette date. C’est un avantage qui existait dans le cadre de la directive 2004/113/CE et qui disparait en application de la jurisprudence européenne.
De la même manière, les femmes ont intérêt à souscrire des assurances automobile et santé avant cette date pour bénéficier de tarifs avantageux sur la base de la discrimination qui était permise par la directive 2004/113/CE.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :
Au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».
Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;
Au point 2-2 que « La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.
Au point 3-1 que « La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes. ».
Le Jury relève que l’image utilisée pour promouvoir l’offre de l’annonceur et décrite ci-dessus induit visuellement l’idée d’une supériorité de l’homme sur la femme.
Par ailleurs, le slogan accompagnant l’image « Dernière chance avant l’égalité des sexes », suggère que l’égalité des sexes constituerait une échéance dommageable aux hommes qui devraient profiter de la situation d’inégalité tant qu’ils le peuvent.
L’ensemble de cette publicité qui repose sur une idée de l’infériorité de la femme laquelle n’accèderait à l’égalité qu’au préjudice des hommes, est contraire au point 2-2 de la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP.
4.La décision du Jury
– La plainte est fondée ;
– La publicité de l’annonceur contrevient au point 2-2 de la Recommandation Image de la Personne Humaine ;
– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à mettre fin à cette publicité ;
– La décision sera communiquée au plaignant et à l’annonceur ;
Délibéré le 7 septembre 2012, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Moggio, MM Benaïm et Carlo.