Avis JDP n°209/12 – ASSOCIATION CARITATIVE INTERNATIONALE – Plaintes non fondées

Décision publiée le 16.07.2012
Plaintes non fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’association caritative internationale et de l’agence de communication, les parties plaignantes ayant été informées de la date de la séance par lettre recommandée avec avis de réception du 12 juin 2012,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 7 et 8 juin 2012, d’une part d’une plainte conjointe émanant de plusieurs professionnels de santé et, d’autre part, de plusieurs plaintes de particuliers relayant cette plainte initiale, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une vidéo publicitaire, diffusée sur Internet par l’association caritative internationale.

Ce spot intitulé « Indépendance », est destiné à promouvoir l’indépendance financière de l’association et à appeler aux dons. Il présente des scènes de torture, d’exécution par décapitation et de guerre, en pays étrangers, les décors et personnages étant couverts de billets de banque.

Le film est signé « L’argent peut cacher des choses terribles. Nous sommes financièrement indépendants des gouvernements et des multinationales. Seuls vos dons peuvent soutenir nos actions.  – siteinternetdel’association.fr-donnez».

2.Les arguments des parties 

Les plaignants soutiennent que ce spot publicitaire retient le spectateur en otage devant des images violentes et fascinantes qui induisent une sidération psychique. Ces images qui n’ont aucunement été sollicitées, font donc effraction, que ce soit pour quelqu’un  qui s’apprête à signer la pétition à une organisation reconnue, ou pour le spectateur en attente d’un film, au milieu de publicités « classiques ».

Ils ajoutent que la brièveté du spot et son caractère inopiné, ne permettent pas un temps d’analyse et de réaction cohérente qui permettrait  au spectateur de sortir de la sidération.

Ils estiment que cette publicité qui utilise les ressorts de la peur et la souffrance afin de plonger le spectateur dans un sentiment d’horreur, de culpabilisation et de projection personnelle ne relève par d’ « une raison justifiable » mais d’une manipulation des consciences et des sentiments.

Les plaignants font en outre valoir que la violence mettant en scène des faits avérés (au contraire de la violence qui utiliserait le registre de l’imaginaire) entraîne instinctivement chez le sujet humain un sentiment d’injustice, d’agressivité contre les persécuteurs qui peut se traduire dans la réalité par un déplacement sur d’autres personnes que ce soit moralement ou physiquement.

Selon eux, la multiplication des images violentes même montrées sous prétexte d’information ont des effets de sidération, d’impuissance, d’insécurisation et de frustration du public.

Les effets en termes de santé publique et de perturbation de l’ordre public sont importants à l’heure actuelle (actes de violence publics, actes de désespérés, violence dans les établissements scolaires de plus en plus précoce, suicides, avec phénomènes de « contagion » par l’exemple…) et n’aident en rien au règlement des problèmes de fond exposés.

En aucun cas, de jeunes spectateurs ne devraient avoir à affronter seuls de telles images sans qu’il y ait une mise en mots et un encadrement par des adultes.

Un des plaignants fait valoir que, touché à titre personnel par les images du spot, il estime qu’il est indispensable de refuser cet étalage de violence imposée à un public non consentant et qu’il y a d’autres moyens de collecter de l’argent pour cette noble cause.

Dans leur ensemble, les plaignants soutiennent que de telles images sont de nature à ébranler la confiance du public dans le marketing et que la publicité est contraire à l’article 1er du code sur les pratiques de publicité et de communication commerciale de la Chambre de commerce International (ICC).

L’annonceur, ainsi que son agence de communication, font valoir que c’est la première fois, avec ce spot, que l’association caritative internationale tente de faire comprendre que défendre les droits humains a un coût financier et que pour mener sa mission en toute indépendance, l’association ne peut fonctionner que grâce au soutien et aux dons du grand public.

Ils indiquent que peu de gens savent que l’association n’est pas financée par des gouvernements et de grandes entreprises. Il est donc important de le faire savoir.

L’annonceur ajoute que, pour garder son indépendance financière et continuer à mener ses actions militantes sur le terrain, la collecte de fonds est cruciale auprès de donateurs individuels. Aussi, en revendiquant son indépendance financière, il lui a semblé essentiel de démontrer que l’argent peut cacher les pires violations des droits humains mais que, par ailleurs, il peut aussi être un moyen de les mettre en lumière pour agir et faire qu’elles cessent.

En ce qui concerne les situations évoquées, l’annonceur affirme avoir veillé à être représentatif, aussi bien dans les cinq thématiques que dans les zones géographiques présentes dans le spot. Ainsi, il a, avec son agence, choisi de montrer des scènes de violation des droits humains parmi les plus graves : la pollution industrielle (car l’industrie extractive représente le premier secteur industriel responsable des violations des droits humains), la liberté d’expression (puisque des centaines de journalistes et défenseurs de droits humains sont assassinés chaque année dans le monde), la torture (toujours pratiquée dans un pays sur deux), la peine de mort (qui est maintenue encore dans 57 pays sur 198), les enfants soldats (puisque 14 pays dans le monde utilisent toujours 250 000 enfants pour participer aux conflits armés).

L’association ajoute que les images sont violentes mais qu’elles sont conformes à la réalité et aux violations  dénoncées, la réalité étant malheureusement bien pire. Les images critiquées sont donc en lien direct avec les violations qu’elle dénonce.

L’association exprime ses regrets que ces images aient pu choquer et créer des réactions négatives, son intention étant d’interpeller et de rappeler des réalités qui nécessitent de se mobiliser.

S’agissant des conditions de diffusion, l’association a expliqué, dans ses observations et lors de la séance, qu’elle propose ce film aux cinémas d’art et d’essai qui la soutiennent par une diffusion gratuite. Sur les 93 cinémas contactés, 85 l’ont accepté.

Elle indique avoir alerté les exploitants par courrier sur le fait que ce film devait faire l’objet de précautions quant à sa diffusion.

Pour les cinémas « grand public » et la télévision, une autre version dans un format de 30 secondes validé par l’ARPP a été mise à disposition de la régie cinéma et a été diffusée par de nombreuses chaînes privées.

Enfin, concernant son site internet elle a indiqué que si le film avait été accessible pendant quelque temps sur la « home page », tel n’était plus le cas aujourd’hui puisqu’il n’était plus visible qu’en passant par les rubriques « informez-vous » et « voir les vidéos ».

Il est par ailleurs précédé d’un message d’alerte pour les personnes sensibles.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation «Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose :

Dignité, décence

1/1 « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »

1/3 « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. »

Soumission, dépendance, violence

3/2 « Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue. »

3/3 « La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique. La notion de violence recouvre au minimum l’ensemble des actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur. La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; … »

3/4 « La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence. »

Par ailleurs, le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale relative à la Responsabilité sociale dispose :

Articles 1 – Principes élémentaires

« Toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique …. Aucune communication ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter au marketing»

Article 4 – Responsabilité sociale

« La communication commerciale doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle.

La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance.

La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux. »

 Le Jury rappelle qu’il est admis qu’en raison de leur caractère non marchand et de leur rattachement au principe de la liberté d’expression, les campagnes d’opinion émanant d’organismes reconnus d’utilité publique pour alerter le public sur les problèmes sociétaux ou de santé publique peuvent bénéficier d’une appréciation plus tolérante quant aux slogans et images qu’elles diffusent, mais qu’elles ne sont pas pour autant exemptées du respect des règles fondamentales de l’éthique publicitaire, notamment, de celles qui leur impose de ne pas choquer le public.

En l’espèce, il est indéniable, et d’ailleurs non contesté, que les images du spot diffusé par l’association  sur son site internet ainsi que dans plusieurs salles de cinéma indépendantes sont, pour certaines, violentes.

Cependant, le Jury relève que cette association a pour objet de dénoncer les atteintes aux droits de l’Homme ainsi que les violences humaines qui en sont le prolongement, afin de conduire l’opinion publique à faire pression sur les Etats auteurs de ces atteintes et violations pour qu’ils y mettent fin. Pour réussir cette mission, l’association se doit d’être totalement indépendante de tous les Etats du monde et elle doit dénoncer toutes les atteintes quelles qu’elles soient. Pour ce faire, elle publie chaque année un rapport dans lequel elle détaille les violations que ses bénévoles ont pu constater dans le monde et montre, sur son site internet, des vidéos témoignant visuellement de ce qu’elle dénonce par écrit.

Il ressort de la spécificité de sa mission qu’elle ne peut avoir pour financement que les seuls dons des particuliers. En outre, l’étendue de sa mission a pour conséquence que ces dons doivent atteindre un niveau important.

Le Jury observe que le film en cause et les images violentes qu’il comporte ne font que montrer la réalité de certaines des atteintes aux droits de l’Homme dans le monde et sont en totale adéquation avec les buts qu’elle poursuit. Dans ces circonstances, la diffusion de ce film est justifiée par la nécessité, d’une part, d’alerter l’opinion publique sur le bien fondé de l’action de l’association caritative internationale, d’autre part, d’inciter le public à contribuer à son action et donc à lui verser des dons.

Quelle que puisse être la légitimité de l’opposition exprimée par les plaignants quant à la diffusion au public d’images de violence gratuite, le Jury relève qu’en l’espèce le public vulnérable, comme peuvent l’être les enfants, les jeunes ou les personnes sensibles, n’est pas directement exposé à la vision du film en cause. En effet, celui-ci n’est, accessible sur internet qu’à la suite d’une démarche volontaire et il comporte un message préalable d’alerte.

Par ailleurs, il n’est, en tant que tel, diffusé que dans les cinémas d’art et d’essai fréquentés, en général, par un public adulte et averti ayant déjà été confronté à de telles images et ne devrait, sous la responsabilité des exploitants de ces salles, pas être montré à un public qui ne serait pas capable de donner à ces images leur véritable portée.

En conséquence, le Jury considère que le film en cause ne contrevient pas aux règles déontologiques rappelées ci-dessus.

4.La décision du Jury

– Les plaintes ne sont pas fondées;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’association et à l’agence de communication;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le 6 juillet 2012, par Mme Michel-Amsellem, Vice-Présidente, suppléant la Présidente empêchée, Mme Moggio et MM Benhaim, Lacan et Leers.