Avis JDP n°112/11 – BOISSONS ÉNERGISANTES – Plaintes fondées

Décision publiée le 02.05.2011
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’annonceur et de son agence ainsi que l’ARPP,

– et après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 19, 25 février 2011 et le 1er mars 2011 de trois plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité, aux règles déontologiques en vigueur, du film publicitaire intitulé «Super-héros», diffusé en télévision et au cinéma, en faveur d’une boisson énergisante.

Ce film  met en scène, sous forme de dessin animé, un personnage vêtu avec l’habit d’un super héros (collants et cape), dans un appartement. Par la fenêtre ouverte, il entend les cris d’une femme en détresse. Constatant qu’il n’y a plus de canette dans son réfrigérateur, il referme la fenêtre et ne porte pas secours à la femme.

2.Les arguments des parties :

 – Les plaignants ont relevé ce film au cinéma. Ils considèrent que cette publicité incite à la non dénonciation de crimes et à la non assistance à personne en danger.

Par la mise en scène d’un acte lâche et égoïste, ce film présente un caractère moral illicite.

– L’annonceur fait valoir que ce film publicitaire montre une facette de la personnalité de la marque, volontairement non conventionnelle, anticonformiste et misant sur l’autodérision. C’est pourquoi les publicités télévisées de la marque usent du même style et du même ton pour communiquer des valeurs qui sont propres à la marque.

La société précise que cette campagne publicitaire met en avant une scène populaire très connue dans la culture télévisée et cinématographique : la traditionnelle scène du super-héros qui vole au secours de la victime appelant à l’aide mais avec humour et au second degré.

En l’occurrence le super héros est ici à considérer comme un anti-héros dont on se moque gentiment, celui-ci ne pouvant accomplir sa mission faute d’ailes et ce par manque de boisson. La marque mise ici sur l’autodérision  en détournant même son propre slogan « X  donne des ailes » qui devient « Pas de X. pas d’ailes »

Selon l’annonceur, la scène du « super-héros » impuissant n’a rien de délibérément choquant et ne fait pas l’apologie d’une enfreinte à la loi. Elle n’incite pas à la non-assistance à personne en danger et n’apporte pas non plus de crédit aux actes lâches et égoïstes.

Elle met en avant de façon humoristique le fait que le héros ne peut se montrer héroïque sans sa boisson énergisante.

Enfin, il fait valoir que cette publicité a fait l’objet d’un avis favorable de l’ARPP le 16 décembre 2010 mais que des bruitages de sirènes de pompier ou de police allaient être ajoutés de manière audible avant que le Super-héros ne referme sa fenêtre afin de rassurer le spectateur sur le sort de la victime.

– La chaîne de télévision publique argumente qu’il pourrait en effet être reproché à cette publicité de contrevenir d’une part au paragraphe ¾ de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP (pas de banalisation de la violence), et d’autre part aux dispositions des articles I.1 §2 et I.4 §3 du Code  de la Chambre de Commerce Internationale (appel au juste  sens de la responsabilité sociale, interdiction de cautionner des comportements violents, illicites ou antisociaux).

Toutefois, même si la frontière est parfois très ténue entre le second degré, à ne pas prendre pour argent comptant, et l’atteinte réelle aux valeurs morales et sociales communément admises, le service de visionnage de l’ARPP, en vertu de son pouvoir d’appréciation, n’a pas jugé ce message publicitaire contraire aux règles posées par les textes précités. C’est donc sur la base de l’avis de l’ARPP qu’il a  été diffusé sur les chaînes de télévision dont les espaces publicitaires sont régis par France Télévisions Publicité.

– La régie cinéma précise que cette campagne s’inscrit dans la continuité de la communication « humoristique » de la marque et mise sur l’autodérision et le second degré, comme bon nombre d’autres publicités au cinéma. Elle précise que la publicité a été diffusée conjointement à la publicité télévisée, laquelle avait obtenu un avis favorable de l’ARPP le 16 décembre 2010. La société assure de sa bonne foi dans cette affaire.

– L’ARPP explique que ce message s’inscrit dans le cadre d’une campagne comprenant plusieurs films et utilisant des codes habituellement associés à la marque: une saynette sous forme de dessin animé stylisé qui, par sa forme, introduit nécessairement une distance dans l’appréciation du message, un ton humoristique lié à l’absurde, la référence aux «ailes »/ à l’expression « donne des ailes » montrant des personnages ou animaux ailés.

Le ton employé ainsi que le traitement publicitaire ont conduit l’ARPP à considérer cette publicité comme acceptable et donc à la valider sans réserve lors de sa soumission pour avis avant diffusion.

3.Les motifs de la décision du Jury

La Recommandation  «Image de la personne humaine», de l’ARPP dispose, notamment, que :

« Le respect de la dignité de la personne humaine est un principe universel.

En matière de publicité, le Code de pratiques loyales de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) illustre ce principe par des dispositions générales, reconnues par tous, qui posent les principes de décence, de non discrimination et plus largement de responsabilité sociale dans la représentation de la personne humaine, quels que soient, notamment, ses origines, ses opinions ou croyances, son sexe ou son âge.

Ainsi :“La publicité ne doit contenir aucune incitation ni sembler cautionner ou encourager des comportements illicites ou répréhensibles” Art 4 du Code de la C.C.I. »

Le Jury estime que la saynète en cause qui met en scène un super-héros auquel le public, notamment de jeunes, peut s’identifier qui refuse de porter secours à une personne qui appelle à l’aide au motif qu’il n’a plus de boisson de la marque en cause dans son réfrigérateur, peut être perçue comme cautionnant ou encourageant des comportements illicites ou répréhensibles.

Il considère que cette publicité n’est pas conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale sans que puisse être retenue, compte tenu de la gravité du manquement mis en scène, l’excuse de l’autodérision ou de l’humour au second degré.

Il note que l’annonceur a modifié son film à la suite de la notification des plaintes qui lui a été faite, afin que l’on entende, avant que le super-héros ne referme sa fenêtre, l’arrivée de véhicules de secours.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– Le message publicitaire en cause méconnaît  les dispositions de la Recommandation « Image de  la personne humaine » de l’ARPP ;

– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de faire cesser toute diffusion de cette publicité et de veiller à ce qu’elle ne soit plus diffusée, en l’état, à l’avenir;

– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence, ainsi qu’au services de télévision concernés et à l’ARPP ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 8 avril 2011 par Mme Hagelsteen Présidente, Mme Michel-Amsellem  et MM. Benhaïm, Lacan, Leers et Raffin.