Avis JDP n°463/17 – AUTOMOBILE – Plainte fondée

Avis publié le 21 août 2017
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’association France Nature Environnement et de la société annonceur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 3 avril 2017, d’une plainte émanant de l’Association France Nature Environnement (FNE), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’un visuel publicitaire diffusé sur le site Internet de la société, en faveur d’un de ses modèles de véhicules.

Le visuel en cause présente ce véhicule stationné en milieu naturel, sur un espace montagneux, en haut d’une falaise.

2. La procédure

La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 3 avril 2017, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Le représentant de la société a souhaité être entendu lors d’une séance du JDP, et cette audition a eu lieu à la séance du 7 juillet 2017, en présence d’un représentant de l’association plaignante.

3. Les arguments échangés

– L’association plaignante considère que ces images présentent un véhicule en situation d’infraction aux règles de circulation des véhicules motorisés dans les espaces naturels et violent donc les règles déontologiques de l’ARPP ainsi que le code de l’environnement.

Selon elle, le site présente un véhicule terrestre à moteur circulant en pleine montagne, dans un espace naturel cependant dépourvu de toute voie de circulation. Les quelques éléments terrestres visibles (cailloux, buissons) ne laissent aucunement penser qu’ils puissent constituer une voie praticable ouverte à la circulation des véhicules terrestres à moteur, contrairement à ce que prévoient les dispositions du e) de l’article 9 relatif aux « Impacts éco-citoyens » , selon lesquelles la représentation des véhicules en milieu naturel doit clairement les positionner sur des voies ouvertes à la circulation des véhicules terrestres à moteur.

Elle ajoute que, dans un arrêt récent, la cour d’appel de Versailles a jugé, à propos d’une brochure publicitaire comportant des photographies de véhicules terrestres à moteur évoluant au sein d’espaces naturels, que « la seule adjonction de pontons posés sur le sable ou de surfaces gravillonnées (…) ne saurait suffire à clairement identifier la voie sur laquelle évoluent ces véhicules comme étant ouverts à la circulation publique des véhicules terrestres à moteur, dans le respect des dispositions de l’article L 362-1 du code de l’environnement » (CA Versailles, septembre 2016, RG n°12/07935SAS X c. FNE)

En l’espèce, rien ne permet d’établir clairement la circulation du véhicule sur une voie publique ouverte aux véhicules terrestres à moteur. Au contraire, le visuel diffusé sur le site internet présente un véhicule circulant en dehors de toute voie de circulation.

Par ailleurs, diffuser un visuel publicitaire faisant la promotion de véhicules terrestres à moteur circulant dans des espaces naturels, tels que des montagnes, tend clairement à banaliser des comportements contraires aux objectifs de développement durable, en laissant penser au client potentiel que la circulation dans de tels espaces est autorisée et, surtout, qu’elle est sans effet pour l’environnement. En conséquence, la diffusion d’un tel visuel, qui relaie une représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources, méconnaît les dispositions du a) de l’article 9 relatif aux impacts éco-citoyens des publicités.

Enfin, selon la plaignante, cette publicité suggère des agissements manifestement inconséquents et irresponsables. En effet, cette photographie incite les clients à reproduire un comportement nocif pour l’environnement, mais également dangereux pour autrui et pour les consommateurs. En conséquence, ce visuel méconnaît les dispositions du b) de l’article 9 relatif aux impacts éco-citoyens des publicités de la Recommandation Développement durable de l’ARPP.

– Le représentant de la société annonceur, présent lors de la séance, précise que le visuel en cause représente une photographie du véhicule, dans un paysage typique de l’ouest des Etats-Unis, situé à la frontière entre l’Arizona et l’Utah.

Il indique que, contrairement à ce qu’expose l’association plaignante, le véhicule figurant sur la photographie ne se situe pas sur une falaise de montagne mais au cœur du parc national de Monument Valley, au sein duquel la circulation automobile est parfaitement autorisée par des dispositions législatives locales applicables dans les états de l’Utah, de l’Arizona et par le Navajo Parks and Recreation Department en charge de la préservation de cette zone. Il ressort d’ailleurs des différents sites officiels et touristiques que les voitures peuvent circuler dans cet espace via une route de terre de 27 km.

Ainsi, lorsque l’on examine le véhicule, force est de constater qu’il est situé sur cette route de terre, le sol sous les roues étant plat et composé de terre et de petits cailloux, donc d’une composition différente du reste du paysage. La largeur de cette route démontre bien qu’elle est parfaitement adaptée à la circulation de véhicules à moteur. Le fait qu’elle ne soit pas recouverte de goudron ne lui retire pas sa fonction de « voie ouverte à la circulation des

véhicules terrestres à moteur ». De nombreuses sociétés spécialisées dans le tourisme proposent d’ailleurs des visites dans des véhicules à moteur de type voitures ou autocars. De plus, la route forme un demi-cercle derrière et autour du véhicule, ce qui démontre l’existence d’un virage juste derrière la voiture et l’on constate clairement que la piste se prolonge devant le véhicule.

En outre, selon l’annonceur, il ne s’agit pas en l’espèce d’un véhicule tout terrain de type 4×4. Il ne serait donc pas cohérent de réaliser une publicité démontrant qu’un tel véhicule serait capable de franchir des montagnes. En réalité, le véhicule circule sur une route de terre située au cœur d’un parc américain, paysage habituellement très connu par les consommateurs qui savent pertinemment que la découverte de ce type de parcs est réalisée en voiture.

Au regard des éléments précités, la représentation du véhicule ne transmet aucun message contraire aux principes communément admis de développement durable, en circulant sur une route autorisée, dans un espace touristique situé au cœur des Etats Unis. Le fait que la route soit une route de terre n’y change rien puisque le véhicule est positionné sur une voie ouverte à la circulation.

S’agissant de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 11 septembre 2013, auquel se réfère l’Association FNE pour justifier son argumentation, la société annonceur expose que cette décision n’est pas applicable en l’espèce, puisque les brochures publicitaires litigieuses représentaient des véhicules de la marque « …., ou des vidéos sur son site internet comportant des photographies ou des représentations desdits véhicules évoluant dans des milieux naturels – espaces rocheux, étendues de sable, de terre ou d’herbe, cours d’eau et plages – hors de toute voie ouverte à la circulation publique des véhicules terrestres à moteur ».

La société rappelle, d’une part, que l’article L. 362-1 du code de l’environnement dispose que : « En vue d’assurer la protection des espaces naturels, la circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l’Etat, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur. Les chartes de parc national et les chartes de parc naturel régional définissent des orientations ou prévoient des mesures relatives à la circulation des véhicules à moteur visant à protéger les espaces à enjeux identifiés sur les documents graphiques des chartes de parc national et sur les plans des chartes de parc naturel régional, pour des motifs de préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel. Ces orientations ou ces mesures ne s’appliquent pas aux voies et chemins soumis à une interdiction de circulation en application du premier alinéa du présent article ».

Or dans le cas présent, la route empruntée par le véhicule appartient bien au domaine public routier des Etats de l’Utah et de l’Arizona ainsi que cela ressort de l’ensemble des éléments produits et ce que confirme le Navajo National Park en charge de la préservation du parc. Le véhicule circule bien sur une voie ouverte à la circulation publique identifiée et ne circule en aucune façon sur des rochers, des étendues de sables et/ou de terre et/ou d’herbe et/ou d’eau et/ou de plages fermés à la circulation.

D’autre part, les modèles de voitures objets de l’arrêt rendu le 11 septembre 2013 étaient des véhicules tous terrains de type 4×4, ce qui rend possible leur passage dans des zones peu accessibles telles que des roches et des étendues de sable, ce qui n’est pas le cas du véhicule en cause, qui est une voiture citadine.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit dans son point 9 « Impacts éco-citoyens » que :

« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant compte notamment de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité.

9/1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

a/ La publicité doit bannir toute évocation ou représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles (gaspillage ou dégradation des ressources naturelles, endommagement de la biodiversité, pollution de l’air, de l’eau ou des sols, changement climatique, etc…), sauf dans le cas où il s’agit de le dénoncer.

b/ La publicité ne saurait inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessive ou au gaspillage d’énergies et ressources naturelles. Elle ne saurait suggérer ou cautionner des agissements manifestement inconséquents ou irresponsables (…)

e/ La représentation, sous quelque forme que ce soit, de véhicules à moteur en milieu naturel devra clairement les positionner sur des voies ouvertes à la circulation. »

À titre liminaire, le Jury rappelle qu’il n’est pas une juridiction et que la mission qui lui a été confiée par les représentants des professions de la publicité réunies au sein de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (l’ARPP) est de donner son avis sur le respect, dans les publicités diffusées depuis moins de deux mois, des recommandations déontologiques inspirées de celles de la Chambre de commerce international, que ces professions se donnent à elles-mêmes et s’engagent à respecter. Ces recommandations peuvent être plus exigeantes que ce qu’impose le respect de la loi.

Le Jury relève que le véhicule, présenté dans la publicité objet de la plainte, est positionné, à l’arrêt, dans un espace naturel, en haut d’une falaise qui s’ouvre sur un paysage du parc naturel de Monument Valley, aux Etats-Unis.

Si ce parc naturel est ouvert à la circulation automobile, et comporte une route de terre accessible aux véhicules motorisés, il n’est cependant pas nécessairement connu comme tel par toutes les personnes susceptibles de voir cette publicité.

De plus, la voiture figurant sur le visuel en cause apparaît dans un espace qui, même si le sol est parfaitement plat sous le véhicule, ne s’apparente pas à une route, fût-elle en terre. Le cadrage de la photographie est tel que, contrairement à ce qu’indique la société annonceur, aucun virage à l’arrière du véhicule, ni de prolongement de route vers l’avant ne sont décelables

Ce visuel donne à voir un véhicule garé en haut d’une falaise située dans un espace naturel grandiose, sans qu’aucun élément permettre d’identifier clairement qu’il se trouverait sur une voie ouverte à la circulation.

Le fait qu’il s’agisse d’un véhicule citadin et non d’un 4×4 est sur ce point sans incidence.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que ce visuel figurant sur le site de l’annonceur, montrant un véhicule à moteur stationné en milieu naturel, qui n’est pas positionné clairement sur une voie ouverte à la circulation, n’est pas conforme aux dispositions de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, et particulièrement celles du e/ du point 9/1.

Avis adopté le 7 juillet 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.