Avis JDP n°419/16 – ALIMENTATION – Plaintes fondées

Avis publié le 01 août 2016
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,
  • après avoir entendu les représentantes des Associations « Osez le féminisme ! » et « les Chiennes de garde »,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 4 et le 19 juin 2016, de plaintes émanant, d’une part, des associations de défense de l’image de la femme « les Chiennes de garde » et « Osez le féminisme ! », d’autre part, d’un grand nombre de particuliers (plus de 400), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sous forme d’affiche sur les lieux de vente, pour une société proposant la vente de bagels.

Cette publicité présente un téléphone portable dont l’écran est allumé sur ce qui pourrait être un échange de plusieurs messages de type SMS entre une personne identifiée comme un homme politique récemment mis en cause pour harcèlement sexuel et un représentant de l’enseigne.

L’échange est ainsi construit :

L’homme : «il est chaud votre trou ? »

Réponse : « Evidemment Monsieur »

L’homme : « Je peux passer quand ? »

Réponse : « Quand vous voulez entre 8h et 21h »

L’homme : « Quel âge ? »

Réponse : « Comment ça quel âge ? maximum quelle heure ? Nos bagels sont frais du matin »

L’homme: « Vos bagels ? »

Réponse : « Ben oui Monsieur (…) on vend des bagels nous !!! »

L’homme : « Désolé, c’est une erreur… je compte sur votre discrétion, merci. »

2. Les arguments échangés

– Les plaintes des associations, dont le contenu est repris par celles de très nombreux plaignants particuliers, énoncent  qu’il est évident que le “trou” dont parle fictivement l’homme politique dans cette affiche ne fait pas référence à la forme des bagels, mais à l’anatomie féminine, le “trou” étant le vagin.

Elles exposent qu’alors que 83000 femmes sont victimes de viols/tentatives de viol par an en France, que le harcèlement sexuel est très répandu tant dans le monde du travail que dans le monde politique, il est inadmissible qu’une marque surfe sur cette affaire récente pour vendre. Cette publicité constitue une insulte envers les femmes victimes de harcèlement sexuel, et l’emploi du terme “trou” est dégradant et humiliant.

Elles estiment que sous couvert d’humour douteux, l’annonceur « entretient la culture du viol et minimise le caractère extrêmement grave et massif des violences faites aux femmes en France ».

– La société qui exploite l’enseigne concernée a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 10 juin 2016 des plaintes dont copies lui ont été transmise, et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle explique qu’elle exploite son activité dans une ambiance décalée en s’inspirant de l’humour et du sens de la dérision de personnalités connues pour leur humour grinçant et jouant sur l’absurde. Sa communication est construite sur un ton irrévérencieux et non consensuel et pour cela elle appose sur divers supports en boutiques, ou sur ses sacs à emporter, des blagues ou des citations.

Ses représentants indiquent qu’en aucune manière leur intention n’a été de choquer ou de prôner une idée sexiste ou dégradante pour l’image de la femme ou d’êtres humains en général, mais au contraire de dénoncer des comportements qu’ils jugent eux-mêmes intolérables. Ils contestent que les messages échangés puissent être interprétés comme une apologie du viol. La société annonceur ajoute que plusieurs commentaires sur le site de l’association « Osez le féminisme » ont exprimé que l’interprétation de cette association était erronée et manquait d’humour. Elle indique qu’elle a immédiatement retiré tous les supports en cause et qu’en conséquence, certains d‘entre eux n’ont été exposés qu’une journée. Dans ces conditions la société estime que le Jury n’a plus vocation à se prononcer puisque les plaintes n’ont plus d’objet. La société précise enfin avoir diffusé un communiqué de presse dans lequel elle a reconnu son erreur et présenté des excuses aux personnes qui ont pu se sentir froissées par sa publicité.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose en son point 1/1 que  « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence » et au point 2/1 que : « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet. ».

Le Jury rappelle qu’en application de l’article 3 de son règlement intérieur, il examine les plaintes portant sur des publicités effectivement diffusées, au cours des deux mois précédant la réception de la plainte, sur le territoire français. Il est sans effet que ces plaintes lui aient été adressées après le retrait de la publicité en cause et que cette dernière ait fait ensuite l’objet d’un écho des réseaux sociaux qui n’était pas souhaité par la société annonceur.

Les plaintes ont en conséquence valablement été adressées au Jury et ne sont pas devenues sans objet, puisque la publicité en cause a bien été diffusée, fût-ce pendant une seule journée pour certaines boutiques.

S’agissant du message en cause, le Jury relève que la publicité pour l’enseigne en cause se réfère à une actualité de dénonciation de comportements de harcèlement sexuel dans le milieu politique pour, sous couvert d’humour, en faire un argument de promotion de ses boutiques.

En utilisant cet évènement comme un sujet de plaisanterie, ce procédé banalise les pratiques de harcèlement et les traite comme étant dépourvus de gravité, ce qui ne peut qu’avoir pour effet de porter atteinte à l’image des victimes de tels agissements, mais aussi des femmes et à leur dignité. De même l’utilisation du mot « trou » pour désigner le vagin, outre qu’il est insultant pour elles, les réduit à la fonction d’objet sexuel.

La société annonceur ne peut légitimement prétendre qu’elle aurait entendu combattre les faits d’actualité en cause, alors qu’aucun élément de sa publicité ne permet de déceler que telle aurait été son intention et que, comme il a déjà été relevé, elle les utilise comme un élément de promotion.

Enfin, il est sans portée que ses dirigeants n’aient pas eu l’intention de choquer ou de porter atteinte à l’image des femmes.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas les dispositions précitées de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 1er juillet 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-Présidente, Mme Moggio, MM. Carlo, Depincé et Leers.