Avis JDP n°100/11 – BOISSONS ÉNERGISANTES – Plainte fondée

Décision publiée le 24.03.2011
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

–  Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu l’un des plaignant, les représentants de l’annonceur et de l’agence, ainsi que les représentants des services de télévision concernés et de l’ARPP,

–  et après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 9 janvier 2011, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’un film publicitaire intitulé « Les rois mages », diffusé en télévision, en faveur d’une boisson énergisante.

Ce spot présente, sous forme de dessin animé, quatre rois mages arrivant à la crèche de la Nativité afin de leur offrir leurs présents pour célébrer la naissance de l’Enfant. Marie s’étonne de la présence de quatre rois alors que le Nouveau Testament, n’en mentionne que trois. Le quatrième roi dévoile son cadeau composé de canettes de la boisson.

Le texte de ce message est le suivant :

– 1er roi mage – « Je vous salue Marie et Joseph…. Nous sommes les quatre rois mages venus d’Orient pour présenter nos hommages à l’Enfant » ;

– Marie : « Vous êtes quatre ? Mais dans le Nouveau Testament, vous n’êtes que trois ! » ;

– Roi mage : « Nous sommes 4 à présent. Voici l’or, l’encens, la myrrhe et le (produit X) » ;

Marie : « X,  Un taureau ? Mais j’ai déjà un bœuf ! » ;

– Roi mage : « Allons Marie! X, c’est la boisson énergisante qui donne des ailes ! Sinon, d’où viendraient ces cohortes d’anges ? Alleluia !!!» .

 La scène se termine sur l’image de nombreux angelots, voletant au dessus de la crèche en tenant une canette à la main.

2.Les arguments des parties :

 – Les plaignants considèrent que ce film est de nature à choquer les convictions religieuses des chrétiens, s’agissant d’un détournement d’une scène sacrée. Selon eux, cette publicité constitue une atteinte grave à la religion catholique qu’elle stigmatise.

L’un des plaignants, présent en séance, ajoute que les symboles religieux importants de la religion catholique, notamment, la Nativité, la Vierge Marie et Jésus Christ, ainsi que des rituels tels la prière du  « Je vous salue Marie… » et l’exclamation « Alleluia » sont détournés à des fins commerciales et portent atteinte aux croyances catholiques.

– L’annonceur fait valoir que cette campagne publicitaire touche en effet au domaine de la religion catholique pour mettre en avant avec bienveillance et humour une scène très connue et ce, de façon irréelle sous forme de dessins.

Il précise qu’il n’a pas eu la volonté d’offenser ni de blesser quiconque, ayant un profond respect pour toutes les religions.

Il indique que le spot met en exergue une des facettes de la marque, volontairement non conventionnelle, anticonformiste et misant sur l’autodérision. C’est pourquoi les publicités télévisées de la marque usent du même style et du même ton pour communiquer des valeurs qui sont propres à la marque.

L’annonceur explique que la reproduction de l’épiphanie dans le spot n’a rien de délibérément choquant. Cette scène catholique est traitée au second degré avec une pointe d’humour, l’une des valeurs de la marque.

La société annonceur a ainsi souhaité montrer de façon humoristique une scène dite sacrée sans pour autant stigmatiser la religion catholique. Par ailleurs, ce choix n’a pas été fait à des fins mercantiles, l’utilisation de la religion ne permettant pas, en effet, d’inciter à l’acte d’achat des consommateurs.

L’annonceur indique enfin que la campagne télévisée a pris fin le 9 janvier 2011.

– Le représentant de la chaîne de télévision publique fait valoir que la revendication de l’annonceur (« la boisson énergisante qui donne des ailes ») ne s’attaque en réalité à aucun des  principes religieux fondamentaux de la chrétienté. Si elle traite effectivement de la scène de la Nativité, elle ne remet pas, par exemple, en cause pour autant le caractère sacré du Christ et de sa naissance.

Elle se borne à mettre en scène les rois mages et à donner une explication évidemment humoristique de l’origine des ailes dont sont seraient dotés les anges. Elle précise en outre que la représentation coutumière des « 3 rois » mages est totalement dépourvue de consistance biblique : il suffit de se reporter au seul texte qui en fait mention, les versets 1 à 12 du Chapitre 2 de l’Evangile de Matthieu, selon lequel « des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem… ;  ils virent l’enfant avec Marie sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ….. ils leur offrirent en présents de l’or, de l’encens et de la myrrhe. ».  Aucune indication quant à leur nombre, à leurs noms, et à leur qualité royale ne ressort de ce texte, qui ne détaille que les cadeaux. En ajoutant un quatrième roi mage, en lui faisant également offrir un présent, l’annonceur ne dénature donc en rien cet épisode biblique. Il se contente d’y ajouter son présent, certes anachronique. Encore convient-il de signaler que ce dernier est destiné, non pas au Christ, ce qui aurait peut-être pu – à l’extrême limite – être ressenti comme une atteinte à son caractère sacré, mais aux anges, anges, dont la présence sur place est attestée par l’Evangile de Luc (Chapitre 2, versets 9 à 15) : « Tout à coup se joignit à l’ange une troupe de la milice céleste, louant Dieu et disant: ” Gloire, dans les hauteurs, à Dieu! Et, sur terre, paix chez les hommes de bonne volonté ! “, ce que l’annonceur traduit par « Sinon, d’où viendraient ces cohortes d’anges ? Aleluia !!!».

Il ajoute que l’universalité des anges parmi les religions monothéistes est telle que les plaignants ne sauraient être habilités à en revendiquer au nom de la chrétienté et bien évidement encore moins au nom du catholicisme romain, une atteinte aux textes bibliques.

Il précise que la Recommandation de l’ARPP Races, religions, Ethnies vise d’une façon générale à éviter toute discrimination fondée sur la religion, quelqu’elle soit, ce qui n’est pas le cas dans la publicité en cause qui ne formule pas d’appel, même indirect, au sectarisme, ne formule pas d’allusion, même humoristique, à une idée péjorative ou d’infériorité liée à une religion, fait preuve de prudence dans l’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe religieux  et n’utilise pas de rituels ou de textes de nature à ridiculiser ou à choquer les adeptes d’une religion.

– L’ARPP indique que, comme toute publicité télévisée, elle a examiné ce spot pour avis avant diffusion sur les chaines, un projet lui ayant été préalablement soumis, pour conseil préalable, par l’agence de communication, son adhérent, en novembre 2010.

 

Elle fait valoir que depuis longtemps, la religion n’est plus un sujet tabou en publicité, le recours au thème de la religion étant, en effet, fréquent dans les messages publicitaires, mais qu’elle est régulièrement amenée à conseiller la prudence aux professionnels sur ces questions, sur la base de sa Recommandation. Il y a en effet toujours un risque de choquer certains par le simple fait d’exploiter les croyances à des fins mercantiles.

L’Autorité s’attache au respect des dispositions de sa Recommandation Races, Religions, Ethnies et veille à ce que la publicité ne constitue pas une représentation de nature à suggérer une discrimination, une infériorité, un racisme ou un stéréotype dégradant ou ridiculisant.

Elle s’appuie également sur l’Avis du Conseil de l’Ethique Publicitaire, son instance associée, sur la Religion et les croyances en publicité (2007) qui précise qu’« il ne saurait être question de demander aux professionnels de s’interdire toute représentation de personnages, de signes ou de symboles puisés dans le domaine des religions, tant que  le respect des croyances, du sacré et des rites est sauvegardé ».

Enfin, l’ARPP prend en compte, de façon générale, la Jurisprudence dans ce domaine, qui admet la référence religieuse dès lors qu’elle ne constitue pas une injure aux sentiments religieux et à la Foi.

En ce qui concerne plus précisément le spot « Les Rois mages », l’ARPP explique que ce message s’inscrit dans le cadre d’une campagne comprenant plusieurs films et utilisant des codes habituellement associés à la marque: une saynette sous forme de dessin animé stylisé qui, par sa forme, introduit nécessairement une distance dans l’appréciation du message, un ton humoristique lié à l’absurde, la référence aux «ailes », à l’expression « donne des ailes » montrant des personnages ou animaux ailés.

Si ce message joue avec des symboles de la religion catholique, la présentation du Christ aux rois mages, il ne porte pas atteinte aux sacrements de la religion catholique: en effet l’humour ne vise que le nombre des rois mages et la présence d’un taureau (celui de la marque) alors que les animaux de la crèche comprennent déjà un bœuf. Aucun argument ne concerne la naissance du Christ, ni son baptême ni la présentation à son peuple.  Il n’est en outre pas construit de façon à délivrer une image péjorative des éléments sacrés de cette religion, ni à stigmatiser ses pratiquants.

La présentation générale, respectant l’avis du CEP (le respect des croyances, du sacré et des rites  sauvegardés) a ainsi permis à l’ARPP de considérer qu’il y avait, pour le télespectateur, une distance suffisante avec les symboles religieux évoqués et que le spot était dès lors acceptable. L’Autorité l’a donc validé sans réserve.

3.Les motifs de la décision du Jury

 La Recommandation Races, Religions, Ethnies de l’ARPP dispose, notamment, que :

“La publicité ne doit cautionner aucune forme de discrimination, y compris celle fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge, ni porter en aucune façon atteinte à la dignité humaine (…)” Article 4 du Code de la C.C.I.

 4- En ce qui concerne la religion proprement dite, il convient de proscrire toute utilisation du rituel ou des textes qui serait de nature à ridiculiser ou à choquer ses adeptes. »

 En outre, l’avis rendu par le Conseil de l’éthique publicitaire, instance associée à l’ARPP, a précisé depuis 2007 que la publicité qui utilise la religion doit «  se limiter plus que le simple respect de la loi ne le supposerait, et s’imposer une stricte observance des règles déontologiques existantes. Il est de la responsabilité de la publicité de ne pas heurter inutilement les croyances », que « Toute utilisation du rituel ou des textes qui seraient de nature à ridiculiser ou choquer ses adeptes doit être proscrite » et enfin, qu’« Il est de la responsabilité de la publicité de ne pas heurter inutilement les croyances religieuses du public ».

Le Jury relève que le film débute par la citation des premiers mots de la prière « Je vous salue Marie (…) » et qu’il présente le personnage de la Vierge Marie d’une façon pouvant être ressentie, tant dans la voix que dans le discours, comme étant stupide et ridicule.

Il détourne ainsi à des fins mercantiles des rites et symboles particulièrement importants pour les croyants de la religion catholique et il est, de ce fait, de nature à les choquer, même dans une représentation qui se veut humoristique.

En conséquence, la publicité en cause ne respecte pas les dispositions du point 4 de la Recommandation « Races, Religions, Ethnies » de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– Le message publicitaire en cause ne respecte pas les dispositions du point 4 de la Recommandation Races, Religions, Ethnies de l’ARPP ;

– Le Jury prend acte de ce que la publicité a cessé et de ce que les représentants de la société annonceur ont indiqué lors de la séance, qu’elle ne serait pas reprise;

– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur et à l’agence, ainsi qu’aux chaînes de télévision et à l’ARPP;

– elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 4 mars 2011, par Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente suppléant la Présidente empêchée, Mmes Drecq et Moggio, ainsi que MM. Benhaïm, Lacan et Raffin.