Avis JDP n°92/11 – BOISSONS / SODAS – Plaintes fondées

Décision publiée le 23.02.2011
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu l’un des plaignants et des représentants de la société annonceur,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 23, 29 novembre 2010 et le 22 décembre 2010, de plusieurs plaintes émanant de particuliers afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un film publicitaire diffusé dans les salles de cinéma en faveur d’un soda aromatisé.

Le film se présente sous forme d’un sketch inspiré des « Petites annonces » d’Elie Semoun qui en est l’un des acteurs. Elie Semoun incarne le professeur CASSOS. A côté de lui se tient un adolescent présenté comme « Puceau ». L’adulte accompagne le jeune homme derrière un paravent après lui avoir confié une canette de Fanta. Puis, les deux personnages apparaissent en présentant à deux jeunes filles, leur pantalon déformé par la canette placé en guise de sexe en érection. Elie Semoun conclut en déclarant que lui, n’a pas de canette dans son pantalon.

La signature publicitaire est « Plus c’est  X, moins c’est sérieux ! »

2.Les arguments des parties

– Les plaignants considèrent que cette mise en scène est dégradante et avilissante, celle-ci étant susceptible d’évoquer une situation de pédophilie.

L’un des plaignants soulève également les conditions de diffusion de ce film lors de séances de films destinés aux enfants. Il ajoute que cette scène est attentatoire à la dignité humaine et à la décence tant en ce qui concerne l’image donnée de l’adolescent que celle des filles sensibles au geste mis en valeur et qu’elle porte également atteinte à la dignité de l’enfant, compte tenu de l’âge supposé de l’acteur.

– L’annonceur, la société annonceur reconnaît qu’une telle publicité mélangeant le style particulier volontiers potache de l’humoriste Elie Semoun et l’univers des adolescents de la marque Fanta a pu déplaire à certaines personnes et comprend leurs réactions en présence d’un trop jeune public.

Il observe néanmoins que ce sont aussi les conditions de diffusion du spot, au cinéma dans un environnement de films pour enfants à la période des fêtes, qui ont motivé les plaintes et reconnaît ne pas être parvenu totalement à éviter la diffusion d’un jeune public.

La société explique que la marque s’adresse aux adolescents et qu’afin de rester compétitive et à la mode, cette marque doit correspondre parfaitement et constamment aux besoins, à l’état d’esprit et à la personnalité des adolescents qui apprécient de plaisanter de leur look, de leurs goûts et de leurs habitudes.

Ce style d’humour décalé est, même s’il n’est pas toujours perçu comme de très bon goût, quotidiennement pratiqué par les adolescents. Les marques, afin de rester attractives, doivent souvent s’inspirer de ce style décalé sous peine d’être jugées « hors du coup » par ces mêmes adolescents, très exigeants et versatiles.

La marque a, de plus, pris le parti de s’associer à un humoriste très apprécié des jeunes dont l’humour correspond bien à leur état d‘esprit, pour développer une campagne publicitaire mélangeant des sketches populaires au style bien établi (les « petites annonces d’Elie Semoun ») à un message de marque. Faisant donc le choix de s’associer à un artiste souhaitant conserver son style ainsi qu’une certaine liberté de ton et de parole, la société explique avoir du lui laisser le champ libre tant sur le choix de la forme du spot que dans l’écriture des textes ou l’invention et le jeu des personnages, en n’intervenant qu’à la marge.

De par son format particulier – très similaire à la fameuse « petite annonce » -, la société pense que ce film a pu être perçu par une partie du public davantage comme un sketch que comme une publicité traditionnelle pour la marque.

L’annonceur fait valoir qu’il a programmé la diffusion de ce spot sur des supports fréquentés par des adolescents à savoir Internet et au cinéma, lesquels ont été annoncés au moyen de bannières publicitaires sur les sites fréquentés par les adolescents et à la télévision dans un « tag » à la fin de la publicité Fanta du moment.

Ayant anticipé que ce spot pourrait heurter la sensibilité du jeune public dans une période de fin d’année propice à la diffusion de films pour enfants, l’annonceur affirme avoir alerté les régies publicitaires par l’intermédiaire de son agence, recommandations qui n’ont malheureusement pas été suivies pour toutes les séances de cinéma.

La société ajoute que, de par le langage et les codes employés, les personnages, le thème et les situations choisies, le ciblage « adolescent » de ce spot transparaît clairement.

Sur l’infraction potentielle à la recommandation Image de la personne humaine, l’annonceur fait valoir que même si ce film met en scène une catégorie particulière de personnes, les adolescents, et tourne en dérision le mal être et le manque d’assurance qu’ils peuvent parfois ressentir, il n’est pas possible d’affirmer que cette vidéo exploite des stéréotypes sexuels, sociaux ou raciaux, introduise des idées de soumission ou de dépendance ou fait état de violence ou  même porte atteinte à la dignité : en effet, son ton humoristique et décalé ainsi que l’exagération des traits des personnages principaux empêchent toute prise au sérieux des situations décrites, cela même par un public adolescent.

La société admet toutefois que les termes parfois employés ainsi que les situations comiques tournant autour de la sexualité puissent heurter la sensibilité d’un jeune public et provoquer la réaction de certains parents. Il faut selon l’annonceur tenir compte néanmoins du fait que chaque individu a sa propre perception de la décence et que les propos et images ne sont pas outranciers ou pornographiques et font partie du langage et du quotidien des adolescents d’aujourd’hui.

Sur l’infraction potentielle à la recommandation Enfant, la société fait valoir que ce film ne s’adresse clairement pas aux enfants mais aux adolescents, sur un ton humoristique et au travers de situations grossièrement exagérées, empêchant toute prise au sérieux de ce message.

Elle souhaite enfin faire valoir ses efforts constants réalisés dans le domaine de la communication responsable et trouve particulièrement dommageable que cet incident puisse laisser croire qu’elle ne prête pas attention à la sensibilité des consommateurs.

– La régie cinéma précise que cette campagne a été diffusée du 3 novembre au 28 décembre 2010 dans le cadre d’un produit recouvrant 1900 salles de cinéma partout en France.

Elle ajoute que, consciente du risque que le spot puisse choquer le jeune public, compte tenu de son caractère osé et décalé, elle a pris des précautions particulières dans la commercialisation du produit en écartant la diffusion du spot dans les salles de suivis de films 3D enfants. Les suivis de films étant des produits consistant à vendre la diffusion d’un spot publicitaire non pas dans les salles de cinéma indifféremment de sa programmation mais en accompagnement d’un long métrage.

Le spot a été ainsi écarté des salles de suivis de films Raiponce, Narnia, Megamind et Guardian’s qui étaient programmés durant la période de diffusion du spot : il n’a pas été monté sur les bandes publicitaires 35 mm transmises aux salles entrant dans le suivi de film 3D enfants ni adressé dans les salles similaires équipées en numérique.

Par ailleurs, pour les salles n’entrant pas dans le suivi de films 3D enfants, une circulaire d’information « Public restreint » a été transmise aux exploitants afin de les alerter sur la nature du spot publicitaire pour qu’ils puissent, dans les salles diffusant en 35mm, le démonter des bandes 35mm fournies par la régie en cas de diffusion devant un film pour jeune public.

Dans les salles diffusant un film en numérique, une notification a été faite sur la liste de programmation (Playlist) transmise aux exploitants par la régie avec les contenus numériques pour les inviter à retirer le Digital Cinema Program (DGP) correspondant au spot en cause devant les films pour jeune public.

La régie cinéma fait valoir qu’elle a ainsi pris, comme toujours en pareille situation, toutes les mesures en son pouvoir pour écarter la diffusion de ce spot lors de la projection de films pour jeune public et ne peut que regretter que certains exploitants n’aient pas suivi ses recommandations.

3.Les motifs de la décision du Jury

L’article 2 du Code CCI consolidé sur les pratiques de publicité et de communication marketing, repris par la Recommandation de l’ARPP sur l’Image de la personne humaine précise que «  la publicité doit proscrire toute déclaration ou présentation visuelle contraire aux convenances selon les normes couramment admises » et précise que «  le respect de ce principe doit s’apprécier selon le public exposé à la publicité  ».

La Recommandation Image de  la personne humaine précise quant à elle à son point 1/1 que :

«  La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à la décence »

La société annonceur fait elle-même valoir dans sa défense que cette publicité ciblait uniquement une population d’adolescents et qu’elle était consciente qu’elle « ne s’adressait clairement pas aux enfants » et admet qu’elle ait pu choquer des personnes se rendant au cinéma pendant la période des fêtes de fin d’année accompagnées de jeunes enfants ; elle explique qu’elle a tenté de prendre des précautions pour éviter sa diffusion  auprès d’un jeune public en écartant toute diffusion  dans les salles proposant des films en 3D, à savoir Raiponce, Narnia, Megamind et Guardian’s,  et pour toutes les autres salles, en alertant les régies publicitaires par l’intermédiaire de son agence.

Elle déplore que ses recommandations n’aient pas été suivies.

Néanmoins, ainsi que la société le reconnaît elle-même, les régies publicitaires n’ont aucun moyen de garantir que les recommandations qu’elles font aux exploitants de salles quant à la diffusion des publicités dans les salles dites « enfants », alors que le démontage d’un spot d’une bande publicitaire est une opération complexe, seront suivies d’effet .

Le Jury considère  que, dans ces conditions, les règles déontologiques énumérées ci-dessus ont été méconnues.

Il note néanmoins l’engagement de la société de ne pas réutiliser ce spot à l’avenir.

4.La décision du Jury

– Les plaintes  sont fondées ;

– La publicité en cause méconnaît l’article 2 du code de la CCI et le point 1/1 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP ;

– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de veiller à ce que ce message ne fasse l’objet d’aucune nouvelle diffusion ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à la société annonceur et à la régie cinéma ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 4 février  2011 par Mmes Hagelsteen, présidente, Michel-Amsellem, vice-présidente, Mme Drecq et  MM Benhaim, Carlo, Lacan, Leers et Raffin.