Avis JDP n°385/15 – MODE CHAUSSURES – Plaintes fondées

Avis publié le 14 octobre 2015
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire, 

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 25 août et 3 septembre 2015, de deux plaintes émanant pour l’une d’un particulier, pour l’autre du Collectif Enjeux e-médias afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée en affichage, en faveur de la marque annonceur.

Cette campagne comporte plusieurs visuels qui montrent :

– pour trois d’entre eux, le portrait d’un joueur de foot célèbre accompagné de l’image d’une chaussure de football de la marque de l’annonceur, associés respectivement aux accroches publicitaires « Impose tes règles », « Sème le désordre » et  « Gagne tout » ;

– pour le quatrième, une chaussure ou une paire de chaussures de football, sur laquelle est apposé le texte « Crée le chaos »

– pour le dernier, une paire de chaussures de football, sur laquelle est apposé le texte « Impose tes règles ».

Ces différents visuels mentionnent le hashtag « Bethedifference » et l’adresse du site internet de l’annonceur.

2. Les arguments échangés

– Le plaignant particulier énonce que le slogan utilisé dans cette campagne « Impose tes règles » incite à la soumission d’autrui par la force brutale pouvant aller jusqu’à la destruction pour ce qui est du slogan « Crée le chaos ». Il ajoute que ces slogans lui semblent aux antipodes de ce que l’on présente comme l’éthique sportive, à savoir, le respect des règles, le respect de l’adversaire et la recherche d’une victoire sur soi-même.

Il estime que le slogan « Crée le chaos » est contraire aux points 3/3 et 3/4 de la Recommandation « Image de la personne humaine » en ce qu’il incite à la violence. De même, le slogan « Impose tes règles » lui paraît non conforme à ces mêmes points en ce qu’il incite à des comportements de domination.

Il souligne que ces publicités s’adressent à des adolescents sinon à des enfants, ce qui les rend contraires aux points 2/1, 2/2  et 4/3 de la Recommandation « Enfant ». L’incitation à la création du chaos, celle à l’imposition de ses propres règles correspondent, selon le plaignant, à  des injonctions antisociales et délictueuses, à la reproduction de comportements agressifs et violents.

Enfin, il souligne que ces affiches ne vantent pas la qualité des produits présentés ou leurs caractéristiques techniques et se contentent de diffuser des injonctions de comportements agressifs.

Le Collectif Enjeux e-médias explique qu’il est un collectif d’associations regroupant des associations d’éducation populaire, engagées dans des actions pour une éducation aux médias et à l’information, critique et citoyenne, pour une qualité et une déontologie de l’information. Enjeux e-médias est également interlocuteur du Forum RSE Médias créé en avril 2011, qui rassemble des entreprises de médias français engagées dans une démarche de Responsabilité Sociétale des Entreprises.

Il indique que l’école se bat au quotidien contre l’incivisme, contre les égoïsmes au sein d’une société française et européenne qui doit faire face à de multiples crises, celles du lien social, du chômage et du climat, celle résultant de l’émigration de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui fuient les guerres, celle du modèle républicain et la tentation des radicalités, la montée des discours discriminatoires, et les violences terroristes.

Face à cette situation chargée de risques, l’école et tous les lieux éducatifs perçoivent la nécessité de se mobiliser. L’école demande aux enseignants de restaurer les valeurs de la civilité, de la solidarité, de l’égalité, du respect des différences, de l’amour de la démocratie, en inscrivant à cette rentrée,  dans les programmes, un enseignement moral et civique. Peut-elle se battre seule, quand d’autres acteurs sociaux éminents appellent publiquement au « désordre », à la réussite cynique et à l’imposition de règles individuelles ?

Le Collectif s’interroge sur le fait qu’une entreprise d’équipements de sport comme l’annonceur puisse impunément placarder sur les murs de la plus grande gare d’Europe les slogans « sème le désordre », « gagne tout », « impose tes règles ».

Ce plaignant souligne la grande influence des marques de sport sur les jeunes, les chaussures de sport faisant partie des objets les plus photographiés et les plus échangés par les jeunes, qui sont de surcroît particulièrement attentifs aux marques de sport.

Il fait part de son étonnement sur le fait qu’une grande entreprise puisse ainsi flatter les pulsions individualistes les plus primaires et vanter la loi de la jungle, alors qu’elle devrait porter les valeurs du sport, du collectif, que nous avons à transmettre à la jeunesse.

– La société annonceur a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 9 septembre 2015 des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir que ces publicités s’inscrivent dans le cadre d’une campagne internationale, qu’elle est destinée à promouvoir les chaussures portées par des footballeurs qui ont validé la campagne. Les sportifs sont associés à des chaussures de football pour que l’on sache bien qu’il s’agit du milieu du football adulte.

L’annonceur précise que cette campagne a été ainsi conçue parce que ce sport évolue, les règles changent, non pas les règles du jeu, mais il s’agit de comprendre comment des individus réécrivent la façon dont LE match se joue à travers le génie créatif de certains joueurs ; une nouvelle façon de jouer au football est en train de créer son empreinte, une philosophie née dans la rue, où la victoire ne se mesure pas qu’à travers les buts et au cours des matchs, mais fait parler et devient le centre de l’attention. Ces créateurs qui sont prêts à se démarquer des autres, à repousser les règles et à le faire pour changer le football, jouent avec leurs propres règles et jouent avec des règles nouvelles.

La société annonceur explique qu’elle s’inscrit dans ce mouvement, en accompagnant ce nouveau football et que sa stratégie de dénomination de ses produits découle de cette approche. Elle expose qu’au regard de ce qui précède, elle ne s’adresse en aucune manière aux enfants car son message aurait été différent et qu’elle elle aurait choisi des lieux d’affichage différents comme les écoles.

Elle ajoute que cette campagne de publicité a été validée par les régies d’affichage sollicitées qui n’ont rien trouvé à redire sur le contenu des messages diffusés.

– La société d’affichage indique que les slogans en cause figurent sur une déclinaison d’affiches composant une campagne de l’annonceur affichée dans les gares et métro parisiens, ainsi que dans certaines gares de province durant les mois d’août et septembre 2015. Elle précise que cette campagne, composée de visuels représentant les chaussures de football et des personnages, accompagnés des slogans « Sème le désordre », « Crée le chaos », « Impose tes règles » et « Deviens le maître du jeu » n’a suscité que deux réclamations, l’une du collectif Enjeux e-médias adressée par écrit à la Présidente de la RATP et une autre adressée par courrier électronique au Directeur Général de Métrobus et gérant de Médiagare.

Elle explique que compte tenu de la sensibilité des accroches, Métrobus a consulté l’ARPP sur les maquettes présentées par l’annonceur pour validation en juillet, qui a considéré que les trois visuels « Sème le désordre », « Joue pour gagner » et « Impose tes règles » étaient conformes aux dispositions déontologiques et juridiques en vigueur.

De même, l’ARPP n’a pas émis d’autre réserve sur les 3 projets de campagne en langue anglaise soumis que celle relative à la traduction des slogans « cause chaos », « Wineverything » et « Rule the game ».

La société d’affichage, expose que les visuels et le message qu’ils véhiculent doivent être appréciés dans leur ensemble en fonction des dispositifs de pose. Ainsi, les slogans ne peuvent être ainsi détachés des images qui y sont associées et ne peuvent dès lors être interprétés comme une incitation à commettre un délit ou un acte antisocial ni à favoriser des comportements d’incivilité, chaque slogan se rattachant à une chaussure de football qui est centrale dans la campagne.

La portée de ces slogans reste ainsi limitée à la promotion d’une gamme de chaussures de sport et à un discours centré sur la performance sportive.

– L’Autorité de Régulation professionnelle de la Publicité (ARPP) indique avoir été sollicitée dans le cadre de la procédure de conseil préalable le 13 juillet 2015, concernant les visuels montrant les portraits de footballeurs célèbres, utilisant les textes « Sème le désordre », « Joue pour gagner » et « Impose tes règles », ainsi que sur des projets de publicités rédigés en anglais utilisant les accroches « Cause chaos », « Wineverthing », « Rule the game ».

L’ARPP est particulièrement attentive, au quotidien, à ce que la publicité ne véhicule pas de présentation d’actes ou de situations violentes, qui plus est lorsqu’il s’agit de messages s’adressant plus particulièrement aux jeunes. Il lui est apparu que bien que les projets transmis emploient des termes tels que « chaos », « désordre » … rien dans les visuels qui les accompagnent n’incite à adopter un comportement violent.

De plus, des formules telles que « Joue pour gagner » ou « Impose tes règles » sont en lien direct avec le produit objet de la campagne, à savoir, une chaussure de sport de la marque concernée, ou avec l’image de stars du football, à laquelle semblent être dirigées ces injonctions.

Les accroches ne peuvent donc être dissociées des visuels et ne peuvent dans ce contexte être comprises comme une incitation à l’égard des enfants, à adopter des comportements violents ou délictueux.

Pour toutes ces raisons, l’Autorité a estimé que ces différents visuels étaient conformes aux dispositions déontologiques en vigueur et les projets ont fait l’objet d’une validation, sans réserve.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose en son point 3 que :

3.3 « La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique. »

3.4 « Elle ne doit en aucun cas, par ses messages ou sa présentation, banaliser la violence ou la maltraitance, ni donner l’impression que ces comportements sont acceptables. »

Par ailleurs, la Recommandation « Enfant » dispose, en son point 2 « Responsabilité sociale », que :

« La publicité doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale :

2.1 « La publicité ne doit pas présenter favorablement des actes antisociaux ou délictueux, ni inciter les enfants à commettre de tels actes.

2.2 Elle ne doit pas légitimer des comportements qui seraient contraires aux principes de citoyenneté, aux règles du savoir-vivre, d’hygiène de vie, de protection de l’environnement ou de respect des autres.

2.3 La publicité ne doit pas dévaloriser l’autorité, la responsabilité ou le jugement des parents et des éducateurs.»

Et dans son point 4 « Violence », que :

4.1 « La publicité doit éviter toute scène de violence ou de maltraitance, directe ou suggérée, que celle-ci soit morale ou physique. »

4.2 « Elle ne doit en aucun cas, par ses messages ou sa présentation, banaliser la violence ou la maltraitance, ni donner l’impression que ces comportements sont acceptables. »

4.3 « Elle ne doit pas inciter les enfants à reproduire des comportements agressifs ou violents. »

Le Jury relève que la publicité mise en cause est constituée de plusieurs visuels dont deux associent une photo de deux joueurs de football célèbres sous lesquelles figurent une photo de chaussures de football et un slogan, soit « Sème le désordre », soit « Impose tes règles ». Si les deux joueurs sont très réputés pour leur talent, l’un l’est aussi pour avoir à plusieurs reprises été sanctionné pour des gestes brutaux ou agressifs sur les terrains. Les photos les mettent en scène tous deux le visage fermé, l’air agressif, et, l’un tirant son tee shirt par le col, l’autre main tendue vers l’avant, mimant une situation d’affrontement physique.

Un autre visuel représente une chaussure de football, prenant toute l’affiche, avec le slogan « Crée le chaos ».

Le dernier visuel est constitué sur le même mode que les deux premiers. La photo est accompagnée du slogan « Gagne tout ».

Il est de notoriété publique que les chaussures de sport constituent un accessoire d’habillement auquel les jeunes qui se trouvent dans la période pré-adolescente et adolescente, ou les jeunes adultes, sont particulièrement attachés et sensibles, cet attrait étant encore renforcé lorsqu’ils s’intéressent au football, ce qui constitue une majorité d’entre eux. Ainsi, même si la cible que l’annonceur indique souhaiter atteindre est seulement celle des adultes, une campagne pour des chaussures de football, incarnée par les joueurs les plus admirés par les jeunes, attire une population bien plus large.

Dans ce contexte, les slogans « Sème le désordre », « Impose tes règles » ou « Crée le chaos » qui valorisent des actes individualistes, violents ou autoritaires et contraires aux règles citoyennes de respect d’autrui et de savoir vivre ensemble, ne peuvent qu’avoir une résonance négative envers des personnalités en construction et pour lesquels l’affrontement physique constitue souvent un mode d’expression. Il est à cet égard sans portée que les photos ne mettent pas directement en scène des actes violents. Par ailleurs, toute prescription lancée par un fabriquant de chaussures de sport reconnu et réputé, qui peut être interprétée comme étant un message délivré par ces joueurs célèbres, dont l’annonceur souligne le « génie créatif », a une portée d’injonction dirigée vers une catégorie de population particulièrement sensible et influençable.

En conséquence, le Jury est d’avis que ces trois slogans, ainsi que leurs associations avec les deux photos de joueurs ci-dessus mentionnés, qui, à tout le moins, banalisent des comportements agressifs, présentent favorablement des actes antisociaux et légitiment des comportements qui seraient contraires aux principes de citoyenneté, ainsi qu’aux règles du savoir-vivre ensemble, ne respectent pas le point 3.4 de la Recommandation « Image de la personne humaine », ainsi que les points 2.1, 2.2 et 4.2 de la Recommandation « Enfant ».

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 2 octobre 2015 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.