FETE DE LA BIERE – Internet – Plainte fondée

Avis publié le 29 novembre 2021
FETE DE LA BIERE – 791/21
Plainte fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le plaignant,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 octobre 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société destinée à promouvoir la fête de la bière, organisée par la Ville de Béziers.

Le visuel publicitaire en cause, diffusé sur les réseaux sociaux, présente deux femmes, comme immergées dans une boisson mousseuse, en tenues folkloriques bavaroises. L’une est blonde, l’autre est brune. Elles tiennent une chope de bière à la main et sourient face à l’objectif.

Cette image est accompagnée des textes « Plutôt brune ou blonde ? », « Fête de la bière – Arènes de Béziers » suivis des informations pratiques de l’évènement.

2. Les arguments échangés

Le plaignant relève que cette publicité utilise des constructions structurelles de la femme (sexy, belle) réifiant des stéréotypes. De plus, la femme est traitée comme un objet de consommation, par comparaison avec la bière.

Il analyse, en premier lieu, le slogan équivoque, qui compare les deux mannequins à différentes catégories de bière : en utilisant les homonymes « brune » et « blonde », il met en parallèle les caractéristiques physiques des femmes (leur chevelure) avec différentes catégories de bière. Ce qui peut être considéré comme de l’humour par certains, a pour résultat de réduire les mannequins à leur seul corps. Ce ne sont plus des êtres humains, mais des cheveux qu’il est possible de confondre avec une boisson alcoolisée. Il relève que le philosophe Kant a d’ailleurs été un des premiers à mettre en garde contre ce type de traitement « aussitôt qu’une personne devient un objet d’appétit pour autrui, tous les liens moraux se dissolvent, et la personne ainsi considérée n’est plus qu’une chose dont on use et se sert » (Kant, 1775-1780). Ces êtres humains résumés à un bien de consommation, ne possèdent plus de dignité, plus de valeur absolue, mais seulement une valeur relative et instrumentale. Au-delà de la réduction que l’affiche induit donc, elle promeut aussi l’image des femmes comme d’un objet sexuel et disponible : elles n’ont pour seul but que d’assouvir le besoin de consommation des utilisateurs. Leur consentement quant aux commentaires et comportements à leur égard peut être négligé, étant donné que ce ne sont que des objets.

Ensuite, le plaignant critique la représentation des mannequins : deux jeunes femmes, jolies et séduisantes (épaules dénudées, décolleté sublimé pour mettre en avant la poitrine, mise en valeur de la bouche rouge, couleur de la passion, cambrure peu naturelle). Il s’interroge sur le sens du message envoyé.

Il relève que l’image est le symbole d’une injonction à la beauté et la séduction, extrêmement normée et sans rapport avec l’objet ou le service promu par la publicité.

Le plaignant souligne que la banalisation des représentations des femmes en tant qu’objets disponibles contribue à en faire des biens consommables et utiles seulement dans le cas de l’assouvissement de désirs sexuels.

Il conclut que cette affiche pose problème dans ce qu’elle propose comme réification des stéréotypes féminins de la société. Elle relève que le rôle des femmes dans la création de cette boisson et les symboles qui y sont associés aurait pu être utilement exposé.

Lors de la séance, le plaignant a repris cette argumentation.

La Ville de Béziers a été informée, par courriel avec accusé de réception du 19 octobre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle soutient en premier lieu qu’il n’appartient qu’aux juridictions, et non au Jury, de connaître des actions tendant à réprimer le non-respect des règles de droit, et que le Jury n’est pas compétent pour se prononcer sur une publication présentant un caractère politique.

Elle estime en deuxième lieu que la plainte est irrecevable faute de mentionner expressément et précisément les raisons pour lesquelles la publicité en litige constituerait un manquement aux règles déontologiques en vigueur. En effet, le plaignant se borne à indiquer que cette
« affiche utilise des constructions structurelles de la femme (sexy et belle) réifiant les stéréotypes ». Elle relève à cet égard l’incohérence de la plainte. D’une part, selon le plaignant, une femme belle et sexy serait nécessairement un stéréotype. D’autre part, cet argument n’explicite pas en quoi cette affiche constitue un manquement aux règles déontologiques en vigueur. De plus, il ajoute que « la femme est traitée comme un objet de consommation, au travers de la comparaison avec la bière, cela permet de développer des commentaires tels que: « les femmes comme la bière je les préfère blondes », « elles sont jolies ces donzelles », « la bière comme les filles ça donne envie d’aller à Béziers ». Il conviendra dès lors d’invoquer l’impertinence de ces réflexions, notamment la corrélation entre « la femme belle et sexy, la bière, et l’envie de se rendre à Béziers ». En tout état de cause, l’argumentation qui est soumise au JDP ne permet pas d’identifier clairement les règles déontologiques que le plaignant a entendu invoquer et les griefs adressés à la publicité litigieuse.

Elle considère en troisième lieu que le Jury ne peut être regardé comme impartial dès lors que le dossier fait l’objet d’une procédure simplifiée, applicable en cas de manquement manifeste aux règles déontologiques. En d’autres termes, l’affiche litigieuse est d’ores et déjà considérée comme relevant d’un tel manquement. Or, la plainte est manifestement dépourvue de précisions quant à un quelconque manquement aux règles déontologiques.

Enfin, selon la ville de Béziers, cette affiche n’est en rien contraire aux règles déontologiques.

L’affiche litigieuse rappelle l’univers cinématographique des années 50, représente deux femmes, une brune et une blonde. Elle porte le slogan « Plutôt brune ou blonde ? » et la mention « Fête de la bière – Arènes de Béziers Vendredi 5 novembre – de 18h à 1h, samedi 6 novembre – de 11h à 1h – Restauration sur place. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération ».

Contrairement à ce que soutient le plaignant et sans qu’il soit besoin de se référer aux intentions de l’autorité municipale, il ne ressort pas de cette affiche qu’elle porterait un message sous-jacent à connotation sexiste et qu’elle utiliserait des « constructions structurelles de la femme (sexy et belle) réifiant des stéréotypes en traitant la femme comme un objet de consommation, au travers de la comparaison avec la bière ». Du reste, la notion de « construction » n’est pas explicitée et n’est pas intelligible.

Le fait que le plaignant considère les femmes représentées sur les affiches comme sexy et belles n’est pas constitutif d’un préjudice envers la femme ni d’une atteinte à sa dignité. Cette affiche n’est pas une caractérisation symbolique et schématique de la femme reposant sur des attentes et des jugements de routine. La ville pose ainsi la question : une femme « belle et sexy » serait-elle nécessairement un stéréotype ?

Par ailleurs, cette affiche n’a absolument pas été inspirée par des motifs traduisant une volonté de discriminer ou réduire à la fonction d’objet les femmes. Elle ne véhicule pas de stéréotypes sexistes, dégradants, attentatoires à la dignité de la personne humaine et ne s’assimile en aucun cas à une propagande sexiste à l’encontre des femmes.

De plus, le plaignant allègue que ces deux femmes seraient sexy, toutefois, cette affiche ne dévoile pas d’élément anatomique de ces dernières, ni un quelconque aspect de nudité. En effet, la tenue vestimentaire des deux femmes sur les affiches n’est pas indécente et dépourvue de toute idée de soumission, d’humiliation ou de dévalorisation des femmes en général.

Enfin, cette publicité ne réduit pas la femme à la fonction d’objet. Elle se borne seulement à mettre en exergue la coloration de cheveux de ces deux femmes dans un cadre humoristique.

Ainsi, la publicité en cause est dépourvue de caractère sexiste en ce qu’elle n’exploite pas une image dégradée, ou dégradante, de la femme en utilisant les stéréotypes sexuels, dans le but de vendre un produit.

Au demeurant elle n’est pas constitutive d’une atteinte à la dignité humaine.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle qu’en vertu de l’article 2.2 de son règlement intérieur, il n’est compétent que pour connaître des questions relatives au non-respect des règles de déontologie publicitaire, et statue exclusivement sur la conformité ou la non-conformité des messages publicitaires contestés avec les règles professionnelles publiées par l’ARPP, les principes généraux contenus dans le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, ainsi que les engagements publiés, pris par l’interprofession à l’égard des pouvoirs publics et dont l’ARPP est cosignataire.

Il en résulte, en premier lieu, que, hors le cas où une règle déontologique y renvoie expressément, le Jury n’a pas, en principe, à examiner la conformité des publicités dont il est saisi aux dispositions législatives et réglementaires. Un tel examen relève, ainsi que le souligne la ville de Béziers, de la seule compétence des juridictions, auxquelles il ne saurait se substituer, ses décisions ne présentant d’ailleurs elles-mêmes aucun caractère juridictionnel. Toutefois, la présente plainte n’invoque pas la contrariété de l’affiche publicitaire en cause à des dispositions législatives ou réglementaires. Par suite, l’argumentation de la ville de Béziers sur ce point est sans incidence sur l’examen de la plainte.

En second lieu, cette affiche, qui fait la promotion d’un évènement à caractère festif et touristique de la ville de Béziers, est dépourvue de caractère politique.

Il suit de là que le Jury est pleinement compétent pour apprécier le respect, par le visuel publicitaire en cause et le texte qui y est associé, lesquels constituent une campagne publicitaire pour la fête de la bière, des règles de la déontologie publicitaire.

3.2. Sur la recevabilité de la plainte

Il résulte du 5° de l’article 11.1 du règlement intérieur du Jury qu’une plainte n’est recevable que si elle est clairement motivée, c’est-à-dire indique de façon précise en quoi la publicité mise en cause soulèverait un problème déontologique. Toutefois, le plaignant n’est pas tenu d’invoquer formellement l’une des règles déontologiques mentionnées à l’article 2.2 du même règlement.

Eu égard à l’argumentation du plaignant rappelée au point 2, qui soutient notamment que cette affiche réduit la femme à la fonction d’objet, la plainte est recevable. Le Jury note d’ailleurs que la ville de Béziers apporte une réponse précise à ces griefs.

3.3. Sur la régularité de la procédure

La ville de Béziers estime que la mise en œuvre de la procédure simplifiée traduirait un manquement à l’exigence d’impartialité qui s’impose au Jury. Toutefois, cette procédure a été examinée dans le cadre de la procédure normale, qui comporte l’organisation d’une séance à laquelle la ville n’a d’ailleurs pas participé.

3.4 Sur le respect des règles déontologiques invoquées

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose :

  • En son point 1.1., que « la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité ou de choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence;
  • En son point 2.1, que : « La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet ».
  • Et en son point 4.1 que « La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes».

Le Jury relève que la publicité litigieuse représente deux femmes, comme immergées dans une boisson mousseuse, en tenues folkloriques bavaroises. L’une est brune et tient à la main une chope de bière brune, l’autre est blonde et tient à la main une chope de bière blonde. Les deux sourient face à l’objectif. En gros caractères au-dessus de la photographie figure la mention « Plutôt brune ou blonde ? »

Le Jury considère que la présentation folklorique des deux personnes, en tenue traditionnelle de provinces d’Allemagne, lieu de production de bière mondialement connu, est en lien avec le message de promotion d’une fête de la bière. Même si l’une des femmes montre ses épaules dénudées, le Jury relève que ni les vêtements ni les postures ne peuvent être considérées comme indécentes ou comme induisant une idée de soumission ou de dépendance. Ce visuel ne méconnaît donc pas les points 1.1. et 4.1 de la Recommandation précitée.

Le Jury estime en revanche que le texte « Plutôt brune ou blonde ? » associe manifestement le choix d’une nature de bière à celle de la serveuse correspondante, ce qui renvoie à l’idée dévalorisante d’une femme objet de consommation, sinon d’objet sexuel.

Le fait que de telles représentations aient été fréquemment utilisées en publicité ne permet pas de les considérer comme acceptables au regard des principes déontologiques précédemment rappelés. C’est, au contraire, dans l’objectif qu’il ne soit plus recouru à de telles images de femmes présentées comme des objets sexuels, représentations à la fois dégradantes et dépassées par l’évolution de la société, que la profession publicitaire a décidé d’adopter la Recommandation précitée et s’est engagée à la respecter. Le Jury considère donc que la publicité renvoie à des stéréotypes sexistes encore ancrés dans beaucoup d’esprits quant à la place des femmes dans la société, et contribue à les perpétuer.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît uniquement le point 2.1 de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Avis adopté le 5 novembre 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, et Mme Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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