CUISINELLA – Affichage – Plainte fondée

Avis publié le 31 mars 2021
CUISINELLA – 715/21
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu la plaignante et le conseil de la société Schmidt lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 26 décembre 2020, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un affichage sur la devanture d’un magasin Cuisinella situé à Lannion, exploité par la société Schmidt.

Cet affichage représente deux silhouettes de femme en grand format. La plus grande est vêtue d’une mini-jupe et de chaussures à talons hauts, les mains sur les hanches ; la plus petite soulève le couvercle d’une marmite.

La devanture comporte par ailleurs le nom de l’enseigne, les catégories de produits commercialisés, la mention « Ouverture en continu » ainsi que, à la date d’introduction de la plainte, une bâche rouge fixée comportant le texte : « Cuisine équipée à partir de 2990€ ».

2. Les arguments échangés

La plaignante reproche la présence exclusive d’une femme, et non d’une famille ou d’un homme, pour vanter les cuisines. Elle relève que cette femme a une « taille de guêpe », est en mini-jupe et chaussée de talons hauts, ce qui n’est pas, selon elle, une tenue appropriée pour cuisiner. Elle considère que cette publicité véhicule un stéréotype sexiste, celui de la femme qui doit cuisiner tout en restant sexy.

La société Schmidt a été informée, par courriel avec accusé de réception du 9 février 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir que les visuels mis en cause sont des représentations de « Laura », personnage fictif créé en 2002 pour personnifier la marque Cuisinella auprès du public. Cette égérie fictive a pris les traits d’une jeune femme, sous forme de dessins, dont la tenue vestimentaire est inspirée de la tendance « Spice Girls », très en vogue au début des années 2000.

La silhouette du personnage de « Laura » a été utilisée sur les façades des magasins Cuisinella, sous la forme de vitrophanies ou de panneaux composites d’aluminium. Par la suite, au fil de nouvelles évolutions marketing, la société Schmidt a peu à peu fait disparaître le personnage de ses supports de communication.

Depuis 2020, la silhouette de « Laura » n’apparaît plus sur la devanture des nouveaux magasins Cuisinella ; pour des raisons financières, il n’a pour l’instant pas été demandé aux magasins de supprimer ces visuels s’ils les avaient encore. Cette décision de modifier l’axe de communication des magasins n’est en aucun cas lié à une remise en cause de la conformité du personnage de « Laura » à la déontologie publicitaire à laquelle la société Schmidt a toujours été très attachée. Depuis sa création en 2002, l’habillage des magasins, et plus généralement, le personnage de « Laura », n’a d’ailleurs jamais suscité la moindre plainte.

La société estime que le personnage de « Laura » et son utilisation en l’espèce ne méconnaissent pas la Recommandation « Image et respect de la personne ». En particulier, ils ne réduisent pas la femme à la fonction d’objet. D’une part, les deux silhouettes féminines sont une référence à l’égérie fictive de la marque, et n’ont pas pour objectif de vendre un produit déterminé. Il ne saurait être imposé aux annonceurs de choisir systématiquement une égérie masculine, ou deux égéries de sexe différent. D’autre part, les silhouettes n’adoptent pas de posture aguicheuse ou séductrice. Dans un cas, la silhouette est debout, les deux mains sur les hanches, traduisant une attitude confiante et assurée ; dans l’autre, elle y est représentée maniant un ustensile de cuisine – ce qui ne peut raisonnablement surprendre s’agissant de la façade d’un magasin spécialisée dans la fabrication de cuisines équipées. Ici encore, le simple fait qu’un personnage féminin soit représenté sur une devanture ne saurait être perçu comme étant en soi dévalorisant ou sexiste.

Cela est d’ailleurs rappelé par le Conseil Paritaire de la Publicité (CPP) qui, dans son avis de 2014 relatif aux stéréotypes sexuels, sexistes et sexués, précise que « la présentation d’une femme dans une publicité […] ne signifie pas d’emblée qu’il s’agit d’un domaine réservé au sexe féminin et ne peut être perçue d’emblée comme préjudiciable alors qu’aucun élément de la publicité ne suggère que seule la femme peut s’atteler à cette tâche ».

En l’occurrence, rien dans les visuels mis en cause ne suggère l’idée que les femmes seraient davantage cantonnées à la cuisine que les hommes. Une telle conception ne peut décemment être induite du simple fait que la façade du magasin comprend deux silhouettes féminines, alors même que ces deux visuels font simplement référence au personnage de « Laura », égérie fictive de la marque.

Une telle critique peut d’autant moins être formulée à l’encontre de la société Schmidt que celle-ci est très attentive aux stéréotypes de genre et veille à respecter une représentation égalitaire dans les rôles tenus par l’homme et la femme, comme le montrent une publicité télévisée datant de 2019 et différents supports de communication qu’elle produit.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2.2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme.»

Le Jury relève que l’affichage en cause représente deux silhouettes de femme en grand format. La plus grande est vêtue d’une mini-jupe et de chaussures à talons hauts, les mains sur les hanches ; la plus petite soulève le couvercle d’une marmite.

Le Jury rappelle que les dispositions précitées n’interdisent nullement de représenter une femme plutôt qu’un homme ou un groupe de personnes pour promouvoir un magasin spécialisé dans la fabrication de cuisines équipées. En l’espèce, il relève au surplus que la femme représentée est l’ancienne égérie de la marque Cuisinella, « Laura ».

Toutefois, dans la mesure où, selon les principes généraux du code ICC de la chambre de commerce internationale sur la publicité et le marketing, « toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale », et compte tenu de la persistance de graves inégalités dans la répartition des tâches ménagères, notamment la cuisine, entre les femmes et les hommes, le Jury estime que les professionnels de la publicité doivent faire preuve d’une certaine vigilance dans la représentation des femmes se livrant à de telles activités, afin de ne pas laisser accroire que ces dernières leur seraient naturellement dévolues ou de valoriser, même indirectement, des sentiments de sexisme en assignant à la femme le rôle stéréotypé et dévalorisant de la « ménagère sexy ».

En l’espèce, le Jury estime que les silhouettes représentées, considérées conjointement, associent, pour l’ensemble du public fréquentant les abords du magasin Cuisinella, l’image d’une femme faisant la cuisine à celle d’une représentation féminine sexualisée, illustrée par une mini-jupe, une taille ultra fine, de longues jambes, et des talons hauts. La représentation stylisée de la femme accentue la généralité du propos. Même s’il comprend que telle n’a pas été l’intention de l’annonceur, le Jury considère que cette publicité doit être regardée comme valorisant, fût-ce indirectement, le sentiment sexiste de la figure féminine assignée à la cuisine et à la séduction.

Dans ces conditions, tout en prenant acte que les silhouettes de « Laura » n’apparaissent plus sur la devanture des nouveaux magasins Cuisinella, au fur et à mesure de leur rénovation, il est d’avis que cette publicité méconnaît les dispositions de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 5 mars 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Leers, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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