Décision publiée le 16.07.2012
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu les représentants de l’Association Les Chiennes de garde, de l’annonceur, de l’agence de communication, et de la radio publique;
– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, d’une part, les 14, 16, 18, 19, 21 et 23 avril 2012, de plusieurs plaintes de particuliers et d’autre part, le 25 avril 2012 d’une plainte émanant de l’Association Les Chiennes de Garde, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire diffusée à la radio, en faveur d’un comité départemental du tourisme A.
La campagne comporte deux spots dont le texte, prononcé par une voix féminine au ton langoureux, est :
Pour l’un : « Viens me retrouver, je suis le A! Mes rivières sont généreuses, mes courbes engageantes, mon vignoble gourmand. Viens randonner sur moi et rejoins-moi sur A-tourisme.com. Je t’attends ! »
Pour l’autre : «Tu veux des rencontres, vivre une aventure, gouter à mes spécialités gourmandes, alors viens chez moi ! Hum… Rejoins-moi sur A-tourisme.com. Je t’attends ! »
2.Les arguments des parties
L’association Les Chiennes de garde dénonce l’absence de rapport entre la femme présentée par la publicité et le département A ou le tourisme.
Elle précise que cette campagne utilise les méthodes publicitaires courantes des sites de rencontres (voix de femmes chuchotantes…) et qu’il diffuse et banalise, malgré son statut institutionnel, des fantasmes sexuels pour vanter une région et utilise donc le corps des femmes hors de propos. Elle indique avoir demandé au comité départemental du tourisme A le retrait de ces spots publicitaires sexistes et ringards. Elle ajoute que la Résolution 1751 du Conseil de l’Europe, prise en 2010, invite les Etats membres à « Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias ».
Les plaignants particuliers, dans leur ensemble, font valoir que cette publicité utilisant la voix langoureuse et sensuelle d’une femme pour aguicher et vanter les mérites du Jura est sexiste et dégradante car elle présente la femme comme un objet sexuel.
L’annonceur fait valoir qu’il est chargé d’assurer la promotion de son territoire et est donc très attaché à véhiculer une image positive et attractive de la destination. Constatant un déficit de notoriété, confirmé par plusieurs études, il a l’ambition de mieux faire connaître le département A. C’est ainsi qu’il a décidé de porter un plan média national sur une radio à forte crédibilité.
Il a fait le choix, pour se démarquer dans un paysage médiatique saturé, d’un message sur un ton simplement décalé par rapport aux communications publicitaires souvent trop neutres et insignifiantes, habituellement utilisées pour ce type de campagne. Le choix de ce spot publicitaire a été réalisé au sein d’un collectif composé d’hommes et de femmes, qui ont chacun apporté leur sensibilité dans l’examen et la validation finale de ce spot.
Il affirme qu’il n’a en rien pensé à une provocation sexiste.
Il fait observer que sur le plan sémantique, la publicité ne fait pas d’allusion sexiste, aucun mot, aucune expression ne sont à ressortir du contexte des caractéristiques du territoire, décrit sous une forme originale. Décrire un vignoble gourmand, des courbes engageantes (le département A est une montagne faite de combes, de vals, de vallées, de synclinaux, résumées par le terme « courbes engageantes ») n’a rien de vulgaire ou provoquant. Il s’agit d’une réalité géologique.
Selon lui, cette publicité respecte donc les principes et règles déontologiques, à savoir : dignité et décence. Il n’est fait allusion à aucune représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite. Les qualificatifs employés jouent sur le registre de l’humour bien éloigné de toute attitude, de postures, de gestes ostentatoires, susceptibles de porter atteinte à la dignité humaine. Il n’a été employé aucun stéréotype sexuel, social ou racial.
Il ajoute que le dispositif de communication a fait l’objet d’une étude d’impact afin de disposer d’indicateurs de résultats. Les personnes exposées à la campagne ont déclaré à 80 % que la publicité correspondait à l’idée qu’ils se faisaient du département, tout en renforçant l’identitaire territorial sur les notions de terroir, nature, randonnée et vignoble.
Le message a donc été compris massivement et mémorisé par plus de 10 millions de français.
La société de radio publique qui a diffusé ces messages fait valoir que les collectivités locales et territoriales et leurs émanations sont des annonceurs autorisés sur les antennes du service public de la radio.
Le contenu des messages, validé par le comité d’agrément de la publicité de la radio de service public était conforme sur le fond à son cahier des missions et des charges.
Elle n’a donc pas considéré que la forme, de la responsabilité de l’annonceur, pouvait choquer les auditeurs de la radio. En effet, la voix féminine est celle d’une femme actrice qui joue sur des mots et des intonations. A aucun moment elle ne semble soumise, ni subir de pression.
Elle ajoute que cette campagne n’est plus à l’antenne depuis le mardi 24 avril.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :
Dans le point 2-1 du paragraphe relatif aux « stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».
Il relève que la publicité en cause décline, par son texte et par le ton de la voix qui le prononce, les codes adoptés, il y a quelques années, par certains clubs de rencontres ou autres messageries à contenu érotique.
Elle utilise ainsi une ambiguïté entre le prescripteur (le comité départemental du tourisme du département A), le produit (la région géographique) et le contenu du texte faisant référence au corps de la femme, aux rencontres, et aux aventures, prononcé par une voix féminine et langoureuse. Ce procédé induit l’idée que le charme, la rencontre, la séduction ne peuvent être que le fait d’une femme et d’un jeu d’allusions à connotation érotique et sexuelle.
Ce message, dont l’objet est le développement du tourisme, réduit, par ce jeu d’allusions et d’ambiguïtés, les femmes à des objets sexuels.
Il contrevient de ce fait à la disposition précitée de la Recommandation « Image de la personne humaine ».
Le Jury observe que ni le fait que le choix de ce spot publicitaire ait été réalisé au sein d’un collectif composé d’hommes et de femmes, ni le constat que la publicité aurait été comprise comme vantant les mérites du Jura et mémorisée par un grand nombre d’auditeurs, ne sont de nature à justifier ou à tempérer la portée de ce manquement.
4.La décision du Jury
– Les plaintes sont fondées;
– La publicité relative au comité département du tourisme de la région A contrevient aux dispositions du point 2-1 de la Recommandation « Image de la personne humaine» de l’ARPP ;
– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de prendre toute mesure pour que cette publicité qui a cessé ne soit pas renouvelée ;
– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’association Les Chiennes de garde, à l’annonceur, à l’agence de communication et à la société de radio ;
– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.
Délibéré le 6 juillet 2012, par Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente, suppléant la Présidente empêchée, Mmes Drecq et Moggio et MM Benhaim, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.