Avis JDP n°458/17 – PRODUITS D’EQUIPEMENT DE DEUX ROUES – Plaintes fondées

Avis publié le 9 juin 2017
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 mars 2017, d’une plainte émanant d’un particulier, puis le 23 mars 2017, d’une plainte émanant de l’association Les Chiennes de Garde, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur  d’une publicité pour la promotion de produits d’équipement de moto, diffusée en dernière page de couverture du magazine La Vie de la Moto.

Cette publicité présente une femme assise à cheval sur une moto à l’arrêt, vêtue d’un bustier, d’une culotte, de chaussettes recouvrant ses genoux et de bottines, l’ensemble de couleur kaki, couleur correspondant à celle de la moto et du décor.

Elle se tient face à l’objectif, les jambes écartées de part et d’autre de la moto.

Le texte accompagnant cette image est « Certaines choses dans la vie ne sont pas si difficiles à obtenir. »

2. Les arguments échangés

Le particulier plaignant considère que cette publicité est sexiste et dégradante en ce que la représentation de la femme n’a rien a voir avec le produit et la présente de façon stéréotypée comme un  objet sexuel.

Il ajoute que cette publicité est choquante car elle est indécente et très explicite mais encore qu’elle est dégradante notamment à travers l’attitude, la position et le regard clairement aguicheur du jeune mannequin.

Il exprime ses doutes quant au fait que les femmes, adeptes de la moto, soient vêtues de la sorte et  se tiennent dans de telles positions lorsqu’elles utilisent ce moyen de transport. Cette publicité ne s’adresse donc pas à elles et favorise ainsi indirectement une situation d’exclusion et de sexisme.

Par ailleurs, selon ce plaignant, le texte qui accompagne l’annonce  « Certaines choses dans la vie ne sont pas si difficiles à obtenir » est provocant ; il associe clairement la femme à un objet dont il serait facile, en définitive, « d’obtenir » voire d’utiliser certaines « pièces détachées ».

Enfin, il n’y a aucune relation entre la photo, le texte et l’objet de l’annonceur, si ce n’est celle de réunir sur l’image dégradée d’une femme, le sentiment d’appartenance à un groupe, en l’espèce celui des motards.

L’association Les Chiennes de Garde ajoute qu’il s’agit d’un stéréotype et que le texte est ambigu car on ne sait pas si c’est de la moto ou de la femme dont il s’agit.

La société a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 3 avril 2017, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

L’annonceur n’a pas adressé d’observations.

La société qui a conçu cette campagne, fait valoir que, contrairement à ce qui est reproché à la publicité, son objectif est d’aller à l’encontre de l’image de la « femme objet » passive, en montrant l’image d’une femme active, volontaire et épanouie dans son corps, qui s’assume pleinement.

Sa représentante explique que l’idée était de détourner les codes des images des pin-up qui sont souvent dépeintes comme des demoiselles maladroites ou en détresse (qui ont besoin d’un homme pour les sauver), pour en faire ici, au travers de cette campagne, des femmes actives qui conduisent leur propres motos, qui savent les réparer elles-mêmes et qui parcourent le monde avec leur équipement – cette publicité fait partie d’une série d’aventurières parcourant différents endroits du monde : la jungle, le désert, la montagne, le pôle nord… Ce ne sont pas des objets sexuels décoratifs, mais des exploratrices, qui ont tout à fait leur place dans cette campagne publicitaire, ce qui par ailleurs, a été très apprécié des mannequins elles-mêmes lors des séances photos ainsi que de la photographe.

Elle ajoute que, étant elle-même une femme, lassée des images dégradantes de la femme, elle a voulu donner à ces personnages un vrai rôle où elles sont maîtresses de leur actions et de leur corps. Le concept de cette campagne consiste à mettre la femme au cœur de l’action. Elle est le héros de cette histoire, en charge de son propre destin, des ses actions, de sa féminité et de son corps qu’elle assume pleinement.

Cette femme n’est pas une potiche assise passivement sur une moto qu’elle ne sait pas conduire. La photo montre clairement au travers de détails comme le stylisme des habits, les choix des couleurs …etc., que c’est un tout et que cette moto (un modèle rare – une Honda montra de 1982) lui appartient. La femme dans cette publicité est donc en rapport avec les produits de CMS et sa moto.

La représentante de la société XXX  précise à ce sujet que la société XXX vend des pièces de motos rares pour des modèles de motos souvent anciennes et donc très difficiles à trouver. D’ou le slogan qui accompagne cette campagne : « Certaines choses dans la vie ne sont pas si difficiles à obtenir ». Il est fait référence ici à ces pièces de motos rares pour motos anciennes ou de collection.  En aucun cas, il n’est fait allusion à l’aventurière sur sa propre moto. Cette campagne de publicité est publiée dans un certain contexte : des magazines de moto, s’adressant à des connaisseurs, des collectionneurs, des passionnés de moto, souvent en  mesure de reconnaître que les modèles de motos et les pièces de motos sont rares, difficiles à se procurer… sauf chez XXX , d’ou le slogan qui accompagne cette image.

Elle ajoute qu’il doit être possible d’avoir la liberté de choisir en tant que femme quand et comment on exprime sa sexualité. Elle a volontairement pris le parti de faire de cette motarde aventurière une femme qui assume pleinement sa féminité et sa sexualité. Pourquoi blâmer ce choix ? Elle estime qu’il doit y avoir un espace où les femmes peuvent être « sexy » et féminines quand elles choisissent de l’être, que c’est une forme de féminisme moderne que de promouvoir une femme aventurière qui (re)prend le contrôle de sa féminité et de son corps, tout en étant indépendante, débrouillarde, bricoleuse et épanouie, ces critères n’étant pas exclusifs les uns des autres.

Enfin, elle indique avoir voulu, au travers de cette campagne détourner les stéréotypes des standards de beauté.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne »  de l’ARPP dispose que :

« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

 2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

 2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que la publicité en cause montre une jeune femme en bustier et culotte kaki, chaussettes hautes et bottines, assise sur une moto, jambes écartées de part et d’autre de la moto, l’un de ses pieds reposant sur l’avant de la moto et l’autre au sol. L’image est accompagnée du slogan « Certaines choses dans la vie ne sont pas si difficiles à obtenir ».

L’annonceur utilise ainsi le corps de la femme pour rendre « sexy » et attractif le produit présenté (pièces détachées pour motos) qui est dénué de rapport avec le corps, en jouant sur l’ambiguïté du slogan, qui peut se rapporter tout aussi bien aux pièces détachées vendues par l’annonceur qu’à la femme présentée dans une attitude invitante. Si l’habillement et l’attitude du modèle peuvent être vus comme la présentation d’une jeune femme libérée adoptant un comportement généralement imparti aux hommes, ce n’est toutefois pas le caractère aventurier de la motarde qui ressort de l’ensemble composé de la photo et du slogan, mais l’utilisation sexualisée de son corps, comme argument de vente d’un produit.

Cette instrumentalisation de l’image de la femme la réduit ainsi à la fonction d’objet sexuel et porte atteinte à sa dignité sans qu’importe le contexte éditorial de diffusion de cette publicité.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas le point 2.1 de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 28 avril 2017 par Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mme Drecq et MM. Benhaïm, et Lacan.