CHANEL – Affichage – Plainte non fondée 

Avis publié le 10 mars 2022
CHANEL – 826/22
Plainte non fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte, dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur du Jury,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société Chanel, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 février 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée en affichage, en faveur de la société Chanel, pour promouvoir ses articles de mode et maroquinerie.

La publicité en cause montre une femme se tenant debout, une main appuyée sur la rambarde d’un balcon. Elle est vêtue d’un haut de type « body » noir et blanc, à manches courtes. Ses jambes filiformes sont nues. Elle porte également un sac sur une épaule, un autre dans la main, des lunettes de soleil et plusieurs accessoires autour du cou, des bras et de la taille.

2. La procédure

La société Chanel ainsi que la société d’affichage JC Decaux ont été informées, par courriel avec accusé de réception du 25 février 2022, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elles ont été également informées que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur du Jury, lors de la séance du Jury du 4 mars 2022.

3. Les arguments échangés

Le plaignant considère que le modèle utilisé pour cette publicité présente des signes d’anorexie. Il est dangereux pour les adolescents de faire de ces modèles des exemples.

Le plaignant demande l’arrêt urgent de cette publicité visible par les usagers des transports.

La société Chanel fait valoir, à titre liminaire, son engagement pour la protection des mannequins et plus généralement pour la protection des femmes et des jeunes filles y compris s’agissant de la représentation des corps dans la publicité, ainsi que sa vigilance quant au respect des règles de l’ARPP.

Elle indique que cet engagement s’est manifesté :

  • En 2008, par la signature de la Charte d’engagement volontaire sur l’image du corps ;
  • En 2019, par la signature de l’Accord de partenariat pour promouvoir le respect dans les relations de travail entre les agences et les mannequins, sous l’égide du Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. La société Chanel indique s’être ainsi engagée, par son action, à contribuer à l’information des femmes sur leurs droits, au renforcement de la prévention contre le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles notamment en étant attentive au traitement des mannequins par les agences auxquelles elle fait appel, à l’engagement des professionnels dans la poursuite de ces objectifs.

La société ajoute qu’elle respecte la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 pour la modernisation de la santé et en particulier l’article L. 7123-2-1 du code de la santé publique conditionnant l’exercice de la profession de mannequin à la délivrance d’un certificat médical ainsi que le décret d’application n°2017-738 du 4 mai 2017 relatif aux photographies à usage commercial de mannequins dont l’apparence corporelle a été modifiée.

Elle indique que la mannequin représentée dans le visuel objet de la plainte, Vivienne Rohner, a présenté un certificat daté du 1er octobre 2021, soit une semaine avant le « shooting » de la campagne Printemps-Eté 2022 dont fait partie le visuel objet de la plainte. Elle souligne que ce certificat atteste de la bonne santé du modèle, notamment au regard de son IMC, et permet d’exclure toute hypothèse d’anorexie mentale ou de maigreur de la mannequin.

Elle atteste formellement que la silhouette de Vivienne Rohner n’a pas été retouchée, y compris dans le but de l’affiner et précise que Chanel impose une telle garantie dans ses contrats avec les photographes en manifestant systématiquement sa volonté de ne réaliser aucune retouche modifiant l’apparence de la silhouette des mannequins.

La société Chanel considère que la mannequin représentée dans la campagne présente une allure saine et que sa silhouette est mince et longiligne en raison de sa morphologie. La forme échancrée du maillot allonge les jambes visuellement.

Selon la société, la mannequin ne présente aucun signe d’anorexie ou de boulimie. Elle ne présente pas non plus de maigreur excessive, notamment au niveau des membres, du buste et de son visage. Ses os ne sont pas particulièrement saillants et rien dans son attitude ne laisse penser que Chanel cautionnerait ou inciterait à des comportements alimentaires pathologiques.

Elle en déduit qu’aucun élément sur le visuel critiqué ne met en évidence une pathologie de la mannequin qui apparaît mince sans pour autant être maigre.

En conclusion, elle considère que l’allégation du plaignant selon laquelle la mannequin est anorexique n’est pas fondée et que sa minceur ne peut être confondue avec une maigreur certaine qui motive plusieurs décisions du Jury (voir en ce sens l’avis JDP N°116/11, l’avis JDP N°455/17 du 28 mars 2017).

Enfin, elle rappelle que le visuel critiqué s’inscrit dans le cadre d’une campagne publicitaire pour la collection prêt-à-porter Printemps Eté 2022 constituée d’une dizaine de visuels qui présentent la collection dans une ambiance estivale évoquant le sud de la France. L’examen de l’ensemble de la campagne confirme qu’il n’y a aucune incitation à adopter un comportement anorexique ou encore de valorisation de la maigreur.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la société Chanel estime que la plainte n’est pas fondée.

La société JC Decaux a également reçu copie de la plainte. Elle n’a pas présenté d’observations.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que les dispositions relatives aux enfants et adolescents contenues dans le Code ICC « Publicité et Marketing » et reprises dans la Recommandation « Enfant » de l’ARPP prévoient que : « La communication commerciale ne doit comporter aucune déclaration ou aucun traitement visuel qui risquerait de causer aux enfants ou aux adolescents un dommage sur le plan mental, moral ou physique » (Art. 18.3 Prévention des dommages du Code ICC sur la publicité et les communications commerciales).

Par ailleurs, d’une part, la Recommandation « Situations et comportements dangereux » de l’ARPP prévoit que « Sauf justification pour des motifs éducatifs ou sociaux, la communication commerciale ne doit comporter aucune représentation ni aucune description de pratiques potentiellement dangereuses ou de situations où la santé et la sécurité ne sont pas respectées, selon les définitions des normes nationales locales. »

D’autre part, la Recommandation « Comportements alimentaires » de l’ARPP, dans son point relatif aux valeurs sociétales, dispose que « b/ Diversité – La publicité doit éviter toute forme de stigmatisation des personnes en raison de leur taille, de leur corpulence, de leur maigreur ou de leurs choix alimentaires pour autant que ceux-ci soient conformes aux principes de cette recommandation.

Le Jury rappelle qu’il résulte de ces dispositions que la publicité ne peut pas cautionner ou encourager, délibérément ou non, des comportements alimentaires susceptibles de mettre en danger la santé physique et/ou psychologique des personnes, en particulier des enfants et des adolescents, notamment par la mise en scène valorisante d’une personne dont l’extrême maigreur laisse sérieusement suspecter une anorexie. La circonstance que la publicité représente un modèle qui ne souffre pas, en réalité, d’un tel trouble du comportement alimentaire et dont l’indice de masse corporelle (IMC) ne traduit aucun risque pour sa santé, n’est qu’un élément d’appréciation très secondaire à cet égard. La question déterminante est celle de la perception par le public, laquelle est susceptible d’être influencée aussi bien par des retouches que la photographie a subies que par des effets d’optique liés à l’angle de vue, au cadrage ou encore à l’exposition et à la mise en scène.

Le Jury relève que l’affiche en cause met en scène, pour promouvoir des accessoires de mode luxueux, la photographie d’une jeune femme sur un balcon, portant de nombreux bijoux, des lunettes et deux sacs de la marque et dont le maillot de bain à manches courtes et échancré laisse apparaître les longues jambes nues.

Le Jury rappelle qu’il n’est pas compétent pour apprécier le respect par l’annonceur des dispositions de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé qui a, notamment, introduit dans le code du travail des dispositions prévoyant une évaluation de l’état de santé des mannequins, fondé en partie sur l’indice de masse corporelle, ni de celles du décret n°2017-738 qui a introduit l’obligation d’apposer la mention “photographie retouchée” dès lors que la silhouette des mannequins a été affinée ou épaissie par un logiciel de traitement dans les photographies à usage commercial qui en sont faites. En tout état de cause, ces règles sont sans incidence sur l’appréciation qu’il appartient au Jury de porter sur le respect des règles déontologiques rappelées aux paragraphes précédents.

En l’espèce, si l’annonceur indique que le modèle représenté sur la publicité critiquée ne présentait pas un IMC problématique à la date du cliché, lequel n’a pas été retouché, les cuisses de la jeune femme, en particulier sa cuisse gauche, paraissent particulièrement fines et longues, cette impression étant accentuée par l’échancrure du maillot de bain que l’annonceur a entendu mettre en valeur. Toutefois, les autres parties du corps, notamment les clavicules et les côtes qui sont les plus apparentes en cas de maigreur extrême, ne sont pas visibles sur la photographie. Les bras du modèle sont fins, sans excès. Le visuel ne comporte aucun signe de souffrance, de faiblesse ou de mauvaise santé. La corpulence générale du modèle et les choix de conception de la photographie renvoient l’image d’un personnage filiforme. Au total, si le visuel peut légitimement éveiller un doute à cet égard, le Jury estime qu’il n’est pas suffisant pour considérer que cette publicité cautionnerait ou encouragerait l’anorexie.

En conséquence de ce qui précède, et tout en invitant la société Chanel à faire preuve de la plus grande vigilance dans la représentation des modèles à cet égard, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les dispositions précitées des Recommandation « Situations et comportements dangereux » et « Comportements alimentaires », ni l’article 18.3 du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale.

Avis adopté le 4 mars 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain et MM. Le Gouvello et Thomelin.

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