Avis publié le 4 novembre 2019
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu les représentants de l’établissement hôtelier,
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 13 août 2019, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité en faveur d’une chaîne d’hôtels pour la promotion de ses plats « faits maison », diffusé par voie de courrier électronique, portant l’objet « Eat Mama ».
Cette publicité présente une femme, portant un débardeur échancré, en train de cuisiner, une poêle et une cuillère en bois à la main.
Le texte accompagnant cette image est rédigé intégralement en langue anglaise : « Homemade dishes made with love », « Mama knows how to make you come ! », « Taste mama’s delicious dishes », « Eat Mama ».
2. Les arguments échangés
– Le particulier relève que la femme présentée dans la publicité est légèrement vêtue et dans une attitude sexuelle/sexy. Le texte « Mama knows how to make you come » signifie en anglais « Maman sait comment vous faire jouir » vu que le mot « Come » en anglais est à double sens : « Venir » et « Jouir ».
De plus, le titre de l’email « Eat Mama » est aussi à double sens, et peut être compris, en anglais, comme invitant à un acte sexuel oral.
La plaignante se dit choquée, en tant que femme, de l’objectification et la sexualisation de la femme et du lien fait entre un repas maison et le corps de la femme, la jouissance sexuelle.
– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 18 septembre 2019, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle estime que le visuel promotionnel ne manifeste aucune contrariété aux règles déontologiques applicables et notamment à la Recommandation ARPP « Image et respect de la personne ».
L’annonceur fait valoir que, en 2008, il a lancé à Paris un concept d’hôtellerie urbain avec restaurant, décliné depuis dans 11 autres grandes villes, en France et à l’étranger. Ce concept est connu du public français sous le nom commercial qui fait par ailleurs l’objet de l’enregistrement d’une marque française et constitue le dénominateur commun d’une famille de marques, désignant toutes, en classe 43, des services de restauration et d’hébergement.
Depuis plus de 10 ans donc, il exploite publiquement et intensivement l’enseigne pour identifier les services de restauration et d’hébergement qu’elle propose au sein de ses établissements.
L’annonceur a conçu une communication originale qu’elle diffuse très largement notamment sur son site Internet et sur ses pages et comptes de réseaux sociaux tels que Facebook et Instagram. Les caractéristiques de cette communication sont les suivantes :
– l’ensemble de la communication est assuré par un personnage féminin central – « la Mama » – qui promeut à la troisième personne du singulier les services de restauration et d’hébergement offerts à la clientèle sous son nom commercial;
– ce terme d’origine italienne, est associé de façon inhabituelle à des termes anglais dans des phrases courtes, au contenu simple et percutant, souvent conjuguées au mode impératif.
L’utilisation de l’image d’une femme cuisinant est en rapport direct et étroit avec l’objet de la publicité, à savoir la promotion de services de restauration.
Le terme « Mama » est immédiatement compris par le public comme faisant référence à la cuisinière italienne, réputée pour ses qualités culinaires et au lieu de « Mama » dans lequel sont offerts les services de restauration promus.
Le visuel en cause ne transmet, contrairement à ce qu’énonce la plainte, aucun message à caractère érotique ou sexuel. Aucun référence tacite, suggérée ou explicite à la sexualité n’est perceptible, la femme apparaissant en buste, habillée dans une tenue qui reste parfaitement décente (débardeur jaune).
L’annonceur ajoute qu’il emploie régulièrement l’injonction « Come to Mama » pour inviter ses clients et prospects à venir déguster un repas dans l’un de ses restaurants ou résider dans l’une de ses résidences de tourisme.
L’annonceur a noté le reproche fait à la publicité par la plainte concernant le double sens du verbe « come ». Or ce verbe signifie, dans son sens premier « venir », à savoir, se rendre dans un lieu, en l’occurrence, les résidences de tourisme et restaurants de la marque.
Il souligne que de nombreux annonceurs utilisent ce vocabulaire dans le cadre de slogans promotionnels.
S’il ne fait pas de doute que la grande majorité du public français connaît parfaitement le sens premier de ce verbe, il est tout aussi évident que la plupart ignore qu’il peut également signifier « jouir ». Cette autre signification, dérivée de l’argot anglais, ne figure même pas dans la définition du verbe « come » donnée par le dictionnaire Cambridge. Par ailleurs, les dictionnaires bilingues, lorsqu’ils le font apparaître, font état de ce possible sens en tout dernier lieu.
C’est donc bien dans son sens usuel (« venir ») que le verbe anglais « come » a été employé et compris par les clients dans le visuel en cause.
Par ailleurs, l’association du verbe « Eat » à « Mama » désigne purement et simplement la possibilité de venir se restaurer chez l’annonceur. Cette expression s’insère dans un groupe d’expressions du même type désignant toutes les activités offertes par la société : « Work Mama » (mise à disposition d’espaces de co-working), « Eat Mama » (espace de restauration), « Enjoy Mama » (patio), « Sleep Mama » (chambres) et « Discover Mama » (spots touristiques aux alentours).
Le public français ne saurait d’autant moins voir une quelconque allusion de nature sexuelle à l’expression « Eat Mama » que d’autres annonceurs présents sur le territoire français, associent leur marque au verbe anglais « Eat » (« Uber Eats », « Just Eats »…)
La société réfute catégoriquement que les taglines « Mama knows how to make you come ! » et « Eat Mama » puissent être considérées comme se référant à « la jouissance sexuelle » et à un « acte sexuel oral » et, plus généralement, que ce visuel puisse être interprété comme de « l’objectification et de la sexualisation de la femme ».
La société considère donc que le visuel promotionnel litigieux reste directement en lien avec le service de restauration proposé et ne peut être considéré comme réduisant les femmes à la fonction d’objet.
Lors de l’audience, les représentantes de l’annonceur ajoutent notamment que l’accroche principale de cette publicité est la phrase « Homemade dishes made with love », inscrite en très gros caractères sur fond rouge ; que la jeune femme représentée n’est pas indécente mais est en tenue décontractée dans sa cuisine ; que cette publicité figurait dans une newsletter envoyée à des personnes déjà clientes; qu’elle s’adresse à une clientèle uniquement française qui n’est pas familière du double sens de l’expression « to come » en anglais ; que la publicité a été réalisée au mois d’août par un stagiaire et n’a pas fait l’objet d’une validation particulière car elle était destinée à la seule newsletter.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.
2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.
2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».
Le Jury observe que la publicité en cause montre une jeune femme maquillée, en débardeur échancré, en train de cuisiner, une poêle et une cuillère en bois à la main. Cette image est accompagnée de plusieurs phrases en anglais : « Homemade dishes made with love », « Mama knows how to make you come ! », « Taste Mama’s delicious dishes », « Eat Mama ».
Le Jury relève que l’expression « Mama knows how to make you come ! », joue sur la polysémie du verbe « to come » en anglais, puisque l’expression ne signifie pas seulement « Mama sait comment te faire venir ! » mais également « Mama sait comment te faire jouir ! ».
Le Jury estime que le public est d’autant plus incité à comprendre cette phrase comme une référence directe à la sexualité que ce texte est associé, d’une part, à l’image d’une jeune femme très maquillée, à la bouche brillante entrouverte, et portant, sans soutien-gorge, un débardeur échancré, et d’autre part, aux termes « made with love » et « eat mama », qui, s’ils ne sont pas par eux même ambigus, renforcent ici la connotation sexuelle de l’ensemble du visuel.
Enfin le Jury souligne que l’argument de l’ignorance supposée du public français de la langue anglaise a d’autant moins d’incidence que cette publicité est parue dans une newsletter destinée aux clients de la marque – laquelle vise généralement une clientèle jeune et branchée, parfaitement en mesure de saisir immédiatement la portée sexuelle de l’expression « Mama knows how to make you come ! ». Il relève d’ailleurs que l’absence de tout renvoi à une traduction en français, pourtant exigée par la loi, ne permet pas de détromper le consommateur.
Dans ces conditions, cette publicité qui utilise la femme comme objet sexuel pour promouvoir des services de restauration porte atteinte à la dignité de la femme.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît le point 2 de la Recommandation précitée.
Avis adopté le 4 octobre 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Drecq, MM. Leers et Lucas-Boursier.