Décision publiée le 17.02.2010
Plaintes rejetées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu successivement les représentants du service public en charge de la prévention routière, de l’agence de communication, du syndicat représentant les chaînes de télévision et de l’ARPP ;
– et après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi de plusieurs plaintes de particuliers les 17, 27, 29 et 30 décembre 2009 portant sur la conformité, aux règles déontologiques en vigueur, d’un spot publicitaire, diffusé en télévision, par le service public en charge de la prévention routière qui vise à sensibiliser le public sur les dangers de l’alcool au volant.
Ce film publicitaire présente la mise en scène inversée de ce que permet d’éviter l’acte d’inciter une personne en état d’alcoolémie à ne pas conduire. Il débute sur l’image d’un homme couché sur un lit d’hôpital, cet homme est intubé, amputé d’une jambe, le visage tuméfié avec de nombreux points de suture. Une personne se tient à ses côtés tentant de le convaincre qu’il ne faut pas qu’il prenne le volant car il a trop bu ; au fur et à mesure du propos, les blessures de l’homme disparaissent, il ouvre les yeux et fini par se lever en donnant raison à son ami. Le spectateur comprend alors que l’homme est sain et sauf car il n’a pas pris sa voiture pour rentrer chez lui, mais est resté dormir sur place.
2.Les arguments des parties
– Les plaignants considèrent que ce film est choquant, en raison de l’image présentant de façon très réaliste une personne accidentée et ensanglantée. Ils soulignent que ce message, diffusé à des heures de grande écoute, est de nature à heurter la sensibilité des très jeunes enfants.
– Les représentants du service public en charge de la prévention routière explique que, depuis 2002, les campagnes publicitaires de la prévention routière s’inscrivent dans une équation consistant à faire la pédagogie de la règle, rappeler la dangerosité de la route et donner des solutions pour que chacun puisse adapter son comportement et agir de manière responsable pour atténuer l’insécurité routière.
Chaque campagne raconte ainsi une histoire « vraie » qui se déroule tous les jours et dont nous sommes victimes ou témoins. Les accidents sont montrés de manière réaliste sans ambiguïté. Le but n’étant ni de choquer ni de heurter le public, mais de lui rappeler la réalité des faits avec le seul objectif de sauver des vies.
Elle fait observer, en se référant aux « post tests » de ses campagnes antérieures, que les français adhèrent à cette approche puisque 63% d’entre eux jugent les campagnes de la Sécurité routière efficaces contre 43 % en 2002 et que plus des deux tiers déclarent avoir adopté un nouveau comportement grâce aux campagnes de prévention..
Les représentants du service public admettent que le réalisme des images puisse être de nature à choquer les publics les plus vulnérables notamment les jeunes enfants qui ne constituent pas la cible de ses campagnes de sécurité routière, mais elle objecte que ce procédé est malheureusement le plus efficace pour combattre le fléau que constituent les comportements de conduite en état d’alcoolémie qui perdurent en France en dépit de tous les messages répétés de prévention.
Elle précise avoir modifié les images les plus impressionnantes à la suite des indications données par l’ARPP lors du contrôle a priori et pris soin d’adopter un plan média de campagne évitant des diffusions dans le cadre ou autour d’émissions consacrées à la jeunesse.
– L’agence de communication, qui a réalisé cette publicité, expose qu’elle s’est rapprochée de l’ARPP dès l’amont de la production afin de lui soumettre son projet sous forme de story-board, puis de maquettes de films non finalisées.
Elle explique que, souhaitant montrer à un large public l’incompatibilité entre l’alcool et la conduite et le caractère irréversible des dommages encourus, elle a choisi de mettre en situation un accidenté au plus près de la réalité quotidienne des victimes de la route, avec l’appui scientifique et technique d’équipes médicales. L’agence ajoute que, consciente des enjeux déontologiques en cause, elle s’est aussi attachée à concevoir un message positif, offrant une solution au problème abordé et apportant le soulagement au spectateur en montrant la rémission de l’accidenté. Ainsi, la violence n’est pas montrée gratuitement mais associée à une solution permettant de l’éviter.
Elle précise qu’afin de ménager les très jeunes téléspectateurs, et en totale concertation avec l’ARPP, elle a modifié les plans les plus à même de heurter leur sensibilité, par exemple en décadrant le plan du visage et en utilisant avec modération les traces de sang.
– Le syndicat représentant les chaînes de télévision rappelle que le film en cause a reçu l’avis favorable de l’ARPP sans préconisation d’horaires de diffusion. Il précise qu’aucune chaîne de télévision consacrée à la jeunesse, membre du Syndicat, n’a programmé cette campagne et que les autres chaînes ont veillé à ne pas la diffuser dans un contexte d’émissions destinées à la jeunesse.
– Dans des observations écrites, la chaîne de télévision publique a fait valoir que le service public doit participer à la diffusion d’une telle campagne en faveur d’une cause d’intérêt général, qui pour être efficace, requiert, d’une part, une forme de communication suffisamment suggestive des dommages irréversibles qu’elle entend dénoncer, d’autre part, des horaires de diffusion qui permettent de toucher un public le plus large possible.
Elle fait remarquer que ni le CSA ni l’ARPP n’ont objecté que ce spot pourrait effrayer de jeunes enfants.
– L’ARPP rappelle qu’elle a eu à examiner cette publicité télévisée avant sa diffusion et lui a délivré un avis favorable après que le projet soumis ait été modifié pour supprimer les images les plus réalistes afin de préserver les personnes les plus sensibles, notamment les enfants. L’autorité indique ne pas avoir préconisé d’horaire particulier de diffusion en raison du propos du message, de son émetteur et du fait qu’il s’inscrit dans un historique de communication de la Sécurité routière faisant au fil du temps une part accrue au réalisme et aux images choquantes pour mieux toucher le public concerné.
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle qu’il résulte des dispositions déontologiques et notamment de la recommandation Image de la personne humaine dans son paragraphe Dignité-décence que, « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou même de provoquer une partie du public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité ou à la décence ». Plus généralement, il existe un principe déontologique selon lequel la publicité ne doit pas choquer.
Il observe que la publicité en cause, qui émane d’un organisme public dont le but est non marchand, s’inscrit dans le cadre d’une campagne de santé et de sécurité publiques qui vise à sensibiliser le public sur les dangers de l’alcool au volant, le caractère irréversible des dommages occasionnés et les moyens simples qui peuvent permettre de les éviter.
Le Jury constate que les images de début du film peuvent effectivement être choquantes et impressionnantes pour un public sensible, notamment les très jeunes enfants.
Il observe toutefois que cet inconvénient est atténué, d’une part, par le fait, démontré par le plan média, que cette publicité n’a pas été diffusée sur des chaines ou dans des contextes d’émissions destinées à la jeunesse que les enfants peuvent regarder seuls, d’autre part, par le constat que la diffusion à des heures de grande écoute permet aux parents d’expliquer le sens de ces images, ainsi que l’objectif poursuivi par le message.
Par ailleurs, le Jury relève que la violence des images du début de film est apaisée par la suite du message qui apporte une solution au problème posé et qui s’achève sur un sentiment de soulagement du risque évité.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le film critiqué par les plaintes ne repose pas sur la démonstration d’une violence gratuite et complaisante et trouve la légitimation de son réalisme dans l’objectif poursuivi tel qu’il est expliqué par le service public en charge de la prévention routière. Il réussit à concilier, autant qu’il est possible, l’efficacité de la communication pour une importante cause d’intérêt général avec la protection de la sensibilité du public, notamment des jeunes téléspectateurs.
En conséquence, le Jury estime que la publicité visée par les plaintes demeure dans la limite de ce qui est acceptable compte tenu de l’objectif poursuivi dans l’intérêt général du corps social.
4.La décision du Jury
– Les plaintes sont rejetées.
– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, aux représentants du service public en charge de la prévention routière ; au syndicat représentant les chaînes de télévision, à la chaîne de télévision publique, à l’agence de communication; elle sera diffusée sur le site internet du JDP.
Délibéré le vendredi 5 février 2010 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, Mme Moggio, et MM. Lacan, Benhaïm, Leers et Raffin.