Avis JDP n°310/14 – LIBRAIRIE-PAPETERIE – Plainte fondée

Décision publiée le 30.04.2014
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– et, après en avoir délibéré dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 18 janvier 2014, d’une plainte du Collectif Midi-Pyrénées des Droits des femmes, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité d’une librairie papeterie de Toulouse, pour ses articles vendus d’occasion.

La publicité en cause, diffusée en affichage, montre une femme de dos, torse nu, portant sous forme de tatouages sur son corps et son bras gauche, les inscriptions « BD », « Comics », « Vinyls, CD, DVD », « Manga » et « Librairie papèterie ». Elle est entourée d’un ruban virtuel sur lequel sont apposés les textes « Dès la rentrée » et « Sautez sur l’occasion ».

Au bas de l’affiche, sont mentionnées les coordonnées de la librairie ainsi que la formule « Pour votre année scolaire universitaire, démarquez vous avec X ».

2.Les arguments des parties

Le Collectif Midi-Pyrénées des Droits des femmes considère que la présence dans l’espace public d’une femme, à moitié nue, est choquante. Son corps est utilisé comme support publicitaire et sert à présenter des produits à vendre. Il déplore que cette image de femme soit vue torse nu et emballée d’un ruban comme un cadeau, qui est habituellement un objet que l’on offre et il ajoute que le jeu de mot « sautez sur l’occasion » peut faire penser à d’autres associations du mot occasion, notamment,  à « sautez (sur) cette femme« , « cette femme est une bonne occasion ».

Selon le collectif plaignant, l’association du corps nu et des objets à vendre, dans ce contexte, peut inciter à l’utilisation de la prostitution et il fait observer que la multiplication de visuels de femmes nues, totalement ou partiellement, pour vendre un produit, banalise aux yeux de tous l’image de la femme-objet.

Il ajoute que les publicités sexistes imprègnent inconsciemment les mentalités, ce qui a pour conséquences les violences faites aux femmes, le manque de crédibilité dans le monde du travail qui leur vaut les plus bas salaires, des postes moins qualifiés et de moindres responsabilités.

En conclusion le collectif Midi-Pyrénées des Droits des femmes, soutient que ce visuel contrevient à la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).

La société annonceur a été informée par courrier recommandé avec accusé de réception du 14 mars 2014 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée. Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Elle précise que sa campagne est composée de deux visuels, diffusés à parts égales, celui visé par la plainte et son équivalent masculin.

Elle fait observer qu’aucune marque ne figure sur les tatouages apposés sur le modèle. Le corps n’est donc pas associé à une marchandise.

Le but de cette publicité était au contraire de rappeler que la culture n’est pas que le produit marchand auquel on voudrait la réduire mais qu’elle fait partie intégrante de nous et qu’elle est un vecteur essentiel de nos vies, à l’opposé de toute intention de présenter des hommes ou  femmes « objet », idée que vient renforcer le mouvement du ruban qui tournoie autour du modèle pour exprimer que la culture est ce qui nous entoure. Selon elle, si les livres, BD et comics font partie d’une industrie, ils restent avant tout du domaine de l’art et non de la marchandise.

Afin de faire passer ce message, que l’on pourrait résumer par « la culture dans la peau », l’agence a eu l’idée des tatouages. Pour que ces tatouages soient visibles, il apparaissait indispensable d’avoir un minimum de peau disponible. Non pour montrer de la nudité mais pour mettre les tatouages en avant. Il est à noter qu’aucun des modèles utilisés ne se trouve dans une position compromettant sa dignité : seuls le bras et le dos sont visibles, recouverts de tatouages. Aucun attribut physique n’est mis en avant. Le corps est au contraire neutre et ne peut « provoquer un désir sexuel » comme énoncé dans la plainte. Le corps est mis en situation dans un mouvement de marche : il n’est donc ni offert ni soumis, n’affiche aucun attribut sexuel et ne pourrait être accusé « d’incitation au viol ».

Quant au slogan, l’annonceur admet qu’il s’agit effectivement d’un jeu de mot qui fait simplement référence à la spécificité que sont ses livres d’occasion. Il n’y a jamais eu de sa part l’intention d’associer le verbe « sauter » avec ce qui est énoncé dans la plainte.

La société explique avoir l’habitude d’utiliser ce genre de jeu de mot : profiter de l’occasion, l’occasion de … etc, pour ses campagnes publicitaires et s’engage à être désormais plus vigilante à cet égard.

Elle indique que cette campagne n’est plus diffusée, qu’elle a été commandée à une agence de communication au sein de laquelle elle a été imaginée, créée et réalisée par une femme.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

Le Jury relève que la publicité en cause présente le buste dénudé de dos d’une jeune femme sur lequel figurent cinq tatouages présentant les produits vendus par l’enseigne, « vinyles, CD, DVD », « Manga » « Librairie Papeterie » « BD » et « comics ».

Quelle qu’en ait été l’intention, ce procédé utilise le corps comme un support de communication et comme un faire-valoir. De surcroît, le buste du modèle associé au slogan « sautez sur l’occasion », lequel comporte un double sens tant en ce qui concerne le verbe sauter que le complément d’objet « l’occasion », induit un sous-entendu réducteur de la femme à une fonction d’objet, notamment d’objet sexuel. Il importe peu que la publicité en cause ait eu une version présentant un homme, sur laquelle ne porte pas la plainte et qui pourrait en tout état de cause tout autant constituer une violation de la Recommandation de l’ARPP sur l’image de la personne humaine.

En conséquence, la publicité en cause ne respecte pas l’article 2.1 de la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– La publicité en cause contrevient au point 2.1 de la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de la diffusion de cette publicité ;

– La décision sera communiquée au plaignant et à l’annonceur ;

– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 11 avril 2014, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq, et MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.