Décision publiée le 18.09.2013
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– et, après en avoir délibéré,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 12 juin 2013 d’une plainte d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’une gamme de montres, diffusée à la télévision.
Le film publicitaire en cause met en scène, sur une musique lente et sans qu’aucune parole soit prononcée, deux hommes et une femme sur un bateau de plaisance. L’un des deux hommes est assis à l’arrière du bateau, l’autre manœuvre les cordages et se blesse. Il montre sa main blessée qui saigne à la femme, tandis que le premier homme plonge à la mer. S’ensuivent les plans successifs de l’homme et la femme échangeant un regard complice, d’un filet de sang s’écoulant dans la mer, puis de l’apparition d’un requin dans les flots.
Le slogan final est « L’heure du changement ».
2.Les arguments des parties
Le plaignant, qui est un particulier, considère que cette publicité est violente et choquante en ce qu’elle induit l’idée de « meurtre parfait ».
Il fait observer que, récemment, plusieurs personnes ont trouvé la mort à la suite d’attaques de requins au large de l’île de la Réunion, sur laquelle il réside.
L’annonceur fait valoir qu’avec cette campagne, elle se fait “le porte parole du changement et de la vie pleine d’aventures, de rebondissements”.
Elle explique que le spot raconte l’histoire d’une femme qui s’ennuie dans sa relation de couple et décide d’y mettre fin en utilisant la manière la plus inattendue et extrême car elle essaye de causer la mort de son partenaire. Le scenario conduit le téléspectateur à ne comprendre ce qui se passe qu’au dénouement final, c’est à dire quand le requin arrive. A ce moment, le spectateur ne ressent pas d’angoisse ou de stress, mais au contraire ne peut que sourire en comprenant qu’il ne faut jamais sous estimer la détermination d’une femme.
La société ajoute que beaucoup de marques jouent autour du thème de la mort, avec des éléments liés tels que le sang et la violence et que le traitement de ce thème avec humour et ironie, rend la publicité reconnaissable, mémorable et pleine d’impact.
L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité explique que, comme toute publicité destinée à être diffusée en télévision, elle a examiné le spot pour avis avant diffusion sur les chaines, en l’absence de toute demande de conseil préalable.
Lors de l’examen du film finalisé, celui-ci n’est pas apparu à l’ARPP contraire aux dispositions déontologiques en vigueur et en particulier à la Recommandation «Image de la personne humaine» dans sa partie relative à la violence.
Pour l’Autorité, le recours à une mise en scène très esthétisante et à un traité visuel cinématographique permettent une lecture distanciée de la situation.
Dans ce contexte précis, si le scénario utilisant une femme et deux hommes (l’un pouvant être le mari, l’autre plus jeune pouvant correspondre à l’amant) peut induire une ambiguïté dans la scène finale constitué de visuels de sang dans l’eau et d’images d’un requin dans la mer, rien ne permet pour autant de préjuger de manière certaine un quelconque geste intentionnel des personnages ni induire que l’homme à la mer ne sortira pas indemne d’une éventuelle attaque.
Dès lors, ce message, qui vise principalement un public adulte et ne présente pas de situation de violence explicite, laisse le téléspectateur libre de sa propre interprétation des images et lui est apparu dès lors acceptable, au regard des règles en vigueur.
L’Autorité a donc validé cette publicité sans restriction.
3.Les motifs de la décision du Jury
La Recommandation « Image de la personne humaine» de l’ARPP dispose en ses articles 3/3 et 3/4 que :
La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.
(…) La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence
La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence.
La société annonceur assume pleinement dans ses explications que le spot télévisé en cause présente sous une forme sophistiquée et esthétisante la façon dont une femme décide d’assassiner son partenaire dont elle est lassée en attirant un requin, au moment où celui-ci se trouve dans la mer.
Si, comme le soutient l’ARPP, la mise en scène peut laisser au spectateur une part d’interprétation moins funeste, tel n’est visiblement pas le propos de l’annonceur qui revendique l’interprétation selon laquelle le sang est versé consciemment par la femme dans l’intention de se débarrasser de l’homme.
Ce spot publicitaire donne ainsi à voir ce qui n’est rien moins qu’un assassinat pour illustrer auprès des consommateurs l’idée du changement et pour promouvoir les montres qu’elle distribue.
L’humour que trouve la société à la scène présentée, ou les références cinématographiques auxquelles ce spot renvoie ne sauraient justifier la présentation ainsi faite d’une violence suggérée sans ambiguïté, qui est, de surcroît, banalisée par sa présentation esthétisante.
Enfin, il importe peu que des annonceurs aient, par le passé et dans d’autres pays, utilisé des représentations morbides ou violentes comme argument publicitaire.
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la publicité télévisée en cause ne respecte pas les dispositions de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP.
4.La décision du Jury
– La plainte est fondée ;
– La publicité contrevient aux dispositions des articles 3/3 et 3/4 de la Recommandation « Image de la personne humaine» ;
– Il est demandé au directeur général de l’ARPP de prendre les mesures nécessaires au non renouvellement de ce message publicitaire ;
– La présente décision sera communiquée au plaignant et à l’annonceur ;
– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.
Délibéré le vendredi 6 septembre 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M Lallet, Vice-Président, Mme Moggio, MM Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.