Décision publiée le 17.10.2012
Plaintes non fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu les représentants de l’enseigne de prêt à porter et de l’agence de communication,
– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 3 et 10 septembre 2012, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité, aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité pour la marque de vêtements de l’annonceur, diffusée par voie de presse et d’affichage.
Cette affiche, extraite d’une campagne comprenant trois visuels, présente une jeune femme portant des vêtements de la marque et pieds nus, mangeant un yaourt, accroupie devant un réfrigérateur dont la porte est entre-ouverte, dans un intérieur à dominante rouge et plongé dans une certaine pénombre.
Le texte accompagnant cette image est « HUNGRY BUT CHIC », sous-titré en français « Affamée, mais chic ».
2.Les arguments des parties
Les plaignants considèrent que cette publicité, qui présente l’acte de manger comme dévalorisant voire honteux, constitue une forme d’incitation à l’anorexie et porte ainsi atteinte à l’image des femmes, et en particulier des jeunes filles, et à la santé publique.
Ils soutiennent que, même s’il n’y a pas de lien scientifiquement prouvé entre régimes, publicité et anorexie, cet axe de communication choisi par la marque est amoral et irresponsable, dans un contexte de forte progression de cette pathologie dans les pays occidentaux.
La société de prêt à porter, l’agence de communication ainsi que l’éditeur, qui édite le magazine A dans lequel cette publicité a notamment été reproduite, font valoir que cette dernière fait partie d’une série d’affiches qui s’inscrivent dans le concept d’une campagne de communication intitulé « Cool but chic ».
Son but est de promouvoir l’élégance dont les femmes portant les vêtements de la marque ne se départissent en aucune circonstance, y compris lorsqu’elles doivent réparer un pneumatique d’automobile crevé (« Single but Chic » – « Seule au monde, mais chic »), qu’elles fouillent dans leur sac à main en désordre (« Messy but Chic » – « Bordélique, mais chic ») ou qu’elles s’alimentent en dehors des repas (« Hungry but Chic » – « Affamée, mais chic »).
L’annonceur ajoute que son objectif est de jouer sur les contradictions de la marque et de ses clientes et de mettre en scène l’impératif d’élégance des femmes « affranchies » dans un univers décalé voire ironique, comme en témoigne la traduction non littérale de « hungry » par « affamée ». Il indique que la personne représentée n’est pas une adolescente, n’est pas particulièrement maigre et qu’elle prend du plaisir à manger.
Il se défend d’encourager les jeunes filles à l’anorexie et a publié sur son site internet et sa page Facebook une note en ce sens, clarifiant ses intentions.
Il indique que, pour lever toute ambiguïté, la traduction a été remplacée dans les supports internet et mobile par « Gourmande mais chic » et que cette affiche sera remplacée dans les supports à paraître par le visuel « Messy but chic ».
3.Les motifs de la décision du Jury
Le Jury rappelle qu’en vertu de l’article 18 du Code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la Responsabilité sociale :
« La communication de marketing ne doit comporter aucune déclaration ou aucun traitement visuel qui risquerait de causer aux enfants ou aux adolescents un dommage sur le plan mental, moral ou physique ».
Il résulte en outre du point 2-2 de la Recommandation Enfant de l’ARPP que :
« La publicité … ne doit pas légitimer des comportements qui seraient contraires aux principes (…) d’hygiène de vie »
et du point 5-2 de la même Recommandation que :
« La publicité ne doit pas donner l’impression qu’un comportement dangereux ou imprudent est acceptable ».
En outre, les dispositions du a/ point 1-6 de la Recommandation Comportements alimentaires, dans sa partie valeurs sociales, qui s’inspirent de la charte sur l’image du corps du 9 avril 2008 signée par les professionnels des médias et de la communication sous l’égide du ministère de la santé, de la jeunesse et des sports, prévoient que :
« La publicité doit éviter toute forme de stigmatisation des personnes en raison de leur taille, de leur corpulence ou de leur maigreur ».
Le Jury relève que la campagne de communication dans laquelle s’inscrit la publicité litigieuse vise à mettre en valeur la distinction vestimentaire dont sont réputées faire preuve les clientes de la marque, même lorsqu’elles se trouvent dans des situations peu avantageuses, notamment lorsqu’elles cèdent à une envie de s’alimenter en-dehors des repas. L’objectif promu est donc d’être élégante, et non d’être affamée ou de perdre du poids par tout moyen.
Le Jury observe que si cette marque s’adresse plus particulièrement aux jeunes et aux adolescentes, qui sont les principales victimes de l’anorexie, la personne représentée sur l’affiche est visiblement une femme adulte, à laquelle les adolescentes s’identifient moins aisément. Ni sa corpulence – mince sans être particulièrement amaigrie -, ni les traits et l’expression de son visage ne révèlent de symptômes manifestes de cette affection ni, plus largement, un état de santé dégradé ou affaibli. Si son comportement peut évoquer celui de certaines personnes anorexiques, notamment par le sentiment de culpabilité qui semble se dégager de sa position et de son regard, il n’est nullement propre à cette pathologie et peut au contraire être le fait de nombreuses personnes qui « grignotent » en dehors des repas en dépit des prescriptions diététiques usuelles.
Le contenu fourni du réfrigérateur entrouvert ne permet pas de penser que l’intéressée se priverait habituellement de nourriture, et aucun autre élément visuel n’accrédite l’idée qu’elle cèderait à un accès de boulimie, affection souvent associée à l’anorexie.
Il est vrai que le slogan utilisé, qui occupe une grande partie de l’affiche, n’est pas dépourvu d’ambiguïté et d’une certaine connotation péjorative par l’emploi du terme « affamé ». L’objectif humoristique allégué n’apparaît pas avec évidence, en particulier lorsqu’on rapproche ce slogan de l’image choisie. Pour autant, en l’absence d’adjectif qualificatif permettant de traduire fidèlement en langue française le terme anglais neutre « hungry », il ne peut être regardé comme une traduction tendancieuse ou volontairement suggestive.
Si la prévention et la lutte contre les troubles du comportement alimentaire, et en particulier l’anorexie, appellent une vigilance collective renforcée, notamment des professionnels de la publicité, cette publicité n’apparaît pas, dans ces conditions, de nature à inciter les consommateurs, en particulier les adolescentes, à se livrer à de telles pratiques, ni à stigmatiser les personnes souffrants de cette affection.
Il résulte de ce qui précède que la publicité pour la marque de vêtements ne méconnaît pas les dispositions de l’article 18 du code CCI et des points 2-2 et 5-2 de la Recommandation Enfant de l’ARPP, non plus que celle du point 1-6 de la Recommandation Comportements alimentaires.
4.La décision du Jury
Les plaintes sont rejetées ;
La publicité de l’enseigne de prêt à porter ne contrevient pas à l’article 18 du Code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la Responsabilité sociale, ni aux points 2-2 et 5-2 de la Recommandation Enfant de l’ARPP, non plus qu’au point 1-6 de la Recommandation Comportements alimentaires ;
La décision sera communiquée aux plaignants, ainsi qu’à l’annonceur, l’agence de communication et la société éditrice du magazine.
Délibéré le vendredi 5 octobre 2012, par Mme Michel-Amsellem, présidente, M. Lallet, vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, ainsi que MM. Benhaïm, Carlo, Lacan, et Leers.