Avis JDP n°383/15 – SALLE DE SPORT – Plaintes fondées

Avis publié le 14 octobre 2015
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentantes de la société annonceur et de la société d’affichage,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 28 août 2015, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en affichage, par une salle de sport, de Nice.

L’affiche en cause montre une jeune femme souriante portant un tee-shirt rose, sur fond de décor de salle de sport.

Cette image est accompagnée de diverses mentions relatives aux offres tarifaires et aux horaires d’ouverture de la salle ainsi que du texte « Vous êtes grosses, vous êtes moches, payez 19€90 et soyez seulement moches ! ».

2. Les arguments échangés

– Les plaignants considèrent que cette publicité est dégradante pour la femme et heurte la morale, car elle porte des jugements inappropriés sur le physique et peut mettre certaines femmes mal à l’aise.

L’un des plaignants ajoute que le slogan l’a choqué par son aspect discriminatoire, sexiste et « grossophobe ». Il indique que la femme est dès l’enfance, l’objet féministe du dictat de la société stéréotypée. Malheureusement, avec un physique qui ne serait pas dit « normal », on peut être la risée dès l’enfance, dans les cours de récréation. Il faut donc le plus possible pour ne pas être mis à l’écart, rester dans les normes de la société. Il peut être très difficile pour certaines femmes d’assumer le regard des autres et de se sentir bien.

Le plaignant énonce que les mots « grosse et moche » sont utilisés à mauvais escient. Une femme n’est ni grosse ni moche, la beauté étant toute relative.

De plus, cette publicité ne s’adresse qu’aux femmes et par conséquent, est sexiste.

– La société annonceur a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 9 septembre 2015 des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a fait valoir, lors de la séance, qu’elle était désolée que des femmes aient pu être blessées par sa publicité, que devant l’ampleur des réactions elle a assuré une permanence téléphonique pour expliquer qu’elle n’avait pas voulu être désobligeante. Elle a précisé, d’une part, qu’elle avait eu des retours contradictoires puisque certaines personnes ont compris qu’elle avait adopté un ton humoristique au second degré, d’autre part, que le visuel était aussi décliné au masculin et devait faire l’objet d’une seconde vague. Elle a enfin indiqué que la campagne était terminée depuis un mois.

– La société d’affichage qui a diffusé cette publicité indique être profondément navrée de constater que ces dispositifs ont pu être le support d’une campagne ayant heurté la sensibilité de certains publics.

Elle précise que cette campagne n’est plus diffusée.

En l’espèce, il lui a semblé que l’annonceur se plaçait sur le terrain de l’humour décalé de manière à permettre au consommateur de se souvenir de la marque, ce qui a été le cas.

Elle admet que le second degré n’a pas été perçu par tout le monde. Toutefois, elle a pu observer que beaucoup ont apprécié ce type d’humour, y compris parmi les femmes, au travers de leurs commentaires publiés sur Twitter.

Elle fait valoir qu’un magazine faisait également le constat que « Loin d’être unanimement décriée, la publicité a fait rire de nombreux internautes … ».

La société d’affichage fait remarquer que les avis sont donc partagés et qu’aucune raison ne permet de faire prévaloir le sentiment des uns sur celui des autres. Beaucoup ont relevé que l’accroche « Vous êtes grosses, vous êtes moches, payez 19€90 et soyez seulement moches ! » doit être prise au second degré, sur le ton de l’humour et ce, sans finalité discriminatoire, d’autant plus que la jeune femme figurant sur le visuel afin d’illustrer ce message a un visage agréable.

La société d’affichage fait aussi valoir que condamner cette publicité, c’est sans doute se résigner à n’accepter l’humour « bien-pensant », sans second degré et au final, un humour aseptisé qui certes ne choquera plus personne mais à terme ne fera peut-être plus rire personne.

L’humour, notamment quand il est au second degré, engendre toujours le risque de déplaire ou de ne pas être compris par certains et à l’inverse plaire à d’autres. Le fait qu’il ne plaise pas à certains doit-il pour autant le rendre immédiatement condamnable ?

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose dans son préambule que :

« La publicité ne doit cautionner aucune forme de discrimination, y compris celle fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge, ni porter en aucune façon atteinte à la dignité humaine”. Art 4 du Code de la C.C.I ».

Elle dispose également au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine » et au point 2-4 que « La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance  ou de racisme ».

Le Jury relève que la publicité mise en cause, sur un ton qui se veut humoristique, associe puis dissocie les qualificatifs « grosses » et « moches », cette association sous tend l’idée que les femmes grosses seraient moches ainsi que celle qu’il ne serait pas admissible dans la société actuelle d’être grosse. De ce fait, le slogan critiqué est d’une part humiliant pour les personnes en surpoids, mais aussi banalise et cautionne les discriminations dont elles sont victimes. Il est à cet égard sans effet que l’annonceur ait préparé une version masculine de la publicité.

S’agissant de l’humour, ressort fondamental en publicité, le Jury observe qu’il peut parfaitement être utilisé sans humilier une catégorie de personnes et sans pour autant être aseptisé.

Le Jury est donc d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme aux points précités de la Recommandation.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 2 octobre 2015 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.