Avis JDP n°249/13 – CONSOLES, LOGICIELS ET ACCESSOIRES JEUX VIDÉOS – Plaintes fondées

Décision publiée le 23.05.2013
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu le conseil de l’agence de communication,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 16 et 19 mars 2013, de deux plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité d’un fabricant de jeux et consoles vidéos pour sa nouvelle console de jeu portable.

La publicité en cause, diffusée sur le plan des pistes du domaine skiable des stations de ski Val d’Isère et Morzine, montre un buste de femme, jusqu’au menton, aux épaules nues et portant un vêtement bustier noir. Elle est affublée de seins à l’avant du buste mais également dans son dos.

Cette image est accompagnée du texte suivant « Doublement tactile, Doublement excitant ».

2.Les arguments des parties

 Les plaignants font valoir que cette publicité est sexiste. Elle instrumentalise la femme, son corps étant montré comme un jeu à l’usage « d’utilisateurs ». L’un des plaignants ajoute que cette publicité a également pour effet de renforcer dans l’esprit des enfants et des adolescents, une image dégradante de la femme.

L’agence auteur de la campagne présente des observations en son nom et au nom et pour le compte de son client.

Elle relève tout d’abord que la plainte datée du 16 mars 2013 ne comporte aucune motivation et qu’elle est, par suite, irrecevable en vertu de l’article 11 du règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire.

Elle précise ensuite que cette annonce n’a fait l’objet que d’une diffusion sur les plans des pistes distribués pendant la période d’ouverture de chacune des 5 stations de sport d’hiver de Val d’Isère, L’Alpe d’Huez, Tignes, Les Arcs et La Plagne, au cours de l’hiver 2013.

La diffusion de cette campagne, qui est à ce jour terminée et ne sera pas renouvelée, a donc été restreinte tant en termes de support, que de volume, de durée et de public destinataire (adultes et jeunes adultes, y compris des femmes).

La société indique que l’objectif n’était nullement de choquer ou de porter atteinte à l’image des femmes. Rien dans la posture, dans l’attitude de la femme ni dans encore sa tenue n’est suggestif ou provoquant. La femme représentée est belle, élégante et se tient de façon gracieuse. Le visuel évoque une photo de mode. Si le visage du modèle n’est pas visible, c’est précisément pour éviter de conférer au visuel toute connotation sexuelle.

La « double paire de poitrine » est un effet de trompe-l’œil. Elle n’est d’ailleurs pas remarquée dans un premier temps, et fait référence, dans une double logique humoristique et artistique, à plusieurs courants artistiques, notamment le surréalisme, et à des œuvres de fiction connues des trentenaires comme le film « Total Recall » ou la série télévisée « How I met Your Mother ».

Selon l’agence, seul le terme « excitant» pourrait être de nature à conférer une connotation sexuelle à l’annonce. Toutefois, une telle connotation n’est pas en soi interdite par la déontologie publicitaire dès lors qu’elle ne comporte pas d’atteinte à la dignité de la personne. Cette expression est, en outre, en lien direct avec les sensations procurées au joueur.

La société exploitant la station de montagne de Tignes, et qui a été saisie dans le cadre d’une plainte portant sur un autre visuel apposé sur les plans des pistes de la station, fait quant à elle valoir que cette image a été utilisée par la marque sur de nombreux autres supports ces derniers mois : sites web, magazines, journaux, affichage public.

Elle explique que d’anciens dépliants promotionnels de la station utilisaient déjà ce ressort « humoristique sexy », sans jamais susciter de plaintes.

3.Les motifs de la décision du Jury

Sur l’exception d’irrecevabilité opposée par l’agence

En vertu de l’article 11 du règlement intérieur du Jury de déontologie publicitaire : « Une plainte, pour être prise en compte, doit (…) être clairement motivée ».

Le Jury constate que la plainte que l’agence estime irrecevable indique que la publicité a « écoeuré » le plaignant en raison de son « archaïsme machiste », ajoutant que : « il est temps de passer à une autre conception de la femme, et par conséquent de l’homme, même skieurs ». Cette motivation fait clairement référence aux règles déontologiques issues de la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) qui proscrivent les stéréotypes dégradants ou humiliants envers les femmes ou qui réduisent ces dernières à la fonction d’objet.

Par suite, cette plainte, clairement motivée, est recevable.

Sur le fond

Le Jury rappelle qu’aux termes du point 1.3 de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP :

« D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Le point 2.1 de la même Recommandation prévoit que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

Le Jury constate que le visuel représente une femme vêtue dotée de deux poitrines, dont l’une dans son dos, qui est comparée à une console de jeux dotée de deux faces tactiles.

Il estime que cette représentation de la femme, d’ailleurs déformée, n’entretient qu’un lointain rapport avec le produit qu’entend promouvoir la publicité. Le corps de la femme, dont le visage n’est de surcroît pas visible, est clairement réduit à une fonction d’objet, et plus précisément d’objet sexuel, ce qui ressort clairement des termes « tactile » et « excitant » utilisés par la publicité.

Elle véhicule ainsi un stéréotype dégradant pour les femmes.

En conséquence, le Jury considère que cette publicité méconnaît les règles déontologiques précitées.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– La publicité en cause méconnaît les points 1.3 et 2.1 de la Recommandation « Image de la Personne Humaine » ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non-renouvellement de cette publicité ;

– La décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence de communication et  à la société exploitant la station de montagne de Tignes ;

– Elle sera publiée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 3 mai 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M Lallet, Vice-Président, et MM. Benhaïm, Depincé et Leers.