Avis JDP n°113/11 – DISTRIBUTION / MAGASINS D’USINE – Plainte fondée

Décision publiée le 04.05.2011
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu le représentant de la société annonceur et le photographe, auteur des photos utilisées pour la publicité en cause,

– Le plaignant, averti par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 mars 2011, n’ayant pas souhaité assister à la séance,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

– Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 13 mars 2011, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une image animée constituant la page d’accueil du site Internet d’une société de revente de vêtements dégriffés.

Cette publicité représente sous forme d’animation et sur fond noir, un corps nu, de dos, les bras croisés derrière le dos, une corde de pendu autour du cou.

Les images qui se succèdent montrent tantôt une femme aux cheveux blonds, tantôt un homme dont la tête est recouverte d’un sac en plastique à l’emblème du mouton à cinq pattes.

Le texte accompagnant ces visuels est libellé en ces termes : « Depuis 1960, dans le couloir de la mode ».

2.Les arguments des parties

– Le plaignant énonce que cette publicité est profondément offensante par sa violence et son manque de respect de la dignité humaine.

– L’annonceur fait valoir, par l’intermédiaire de son Conseil, que la Recommandation Image de la personne humaine établie par l’ARPP pose des principes déontologiques applicables exclusivement à la publicité issue du Code de la Chambre de Commerce Internationale, lequel précise que le terme « publicité » concerne uniquement des messages dont le caractère publicitaire en faveur de biens ou de services apparaît nettement.

Or, le caractère publicitaire se définit par sa finalité commerciale, ainsi que le précise la directive communautaire du 10 juillet 1984, qui précise que « la publicité se définit par toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens ou de services ».

Elle rappelle que la Cour de cassation a défini la publicité comme étant « tout document commercial dont les indications et la présentation permettent aux clients potentiels auprès desquels il est diffusé de se former une opinion sur les résultats du bien ou du service proposé ».

Or, le site Internet de l’annonceur ne possède aucun caractère commercial mais a une visée purement informationnelle, puisqu’il ne propose pas de vente en ligne de vêtements, mais se borne à informer le public sur l’histoire de la boutique, offre des citations de sites internet français ou étrangers afin de le renseigner sur le type de vêtements vendus et énumère les adresses des magasins à Paris. Le but de ce site professionnel est donc de délivrer des informations nécessaires et purement objectives.

Il ajoute que ce site doit être distingué des messages publicitaires existant sur Internet tels que les bandeaux publicitaires, espace d’une page Internet dédiée à la publicité, qui apparaissent sur une page sans que l’internaute ne les ait recherchés, dans le but d’attirer son attention. Au contraire, le site de l’annonceur n’est accessible qu’en écrivant le nom du domaine par l’internaute qui recherche spécifiquement le site en question. Ainsi, le site n’entrerait pas dans la définition établie par le Code de la CCI puisqu’il ne comporte aucun message publicitaire qui soit clairement identifiable.

Par ailleurs, l’annonceur estime qu’il convient de préciser que la réclamation se heurte aux règles sur la liberté de la presse et de la communication audiovisuelle et doit par conséquent être rejetée. En effet, la Loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication audiovisuelle dispose en son article 1er que la communication audiovisuelle est libre.

Il soutient que les photos en cause ne portent nullement atteinte à la dignité humaine. Il souligne que la photographie litigieuse n’est accessible qu’en tapant sur Internet le nom du domaine que l’internaute doit par conséquent connaître et précise à cet égard que la recherche sur un moteur de recherche, à partir du nom de l’annonceur ne présente pas l’image litigieuse et qu’il est dès lors, très probable que l’internaute ne tombe jamais sur cette image.

Enfin, l’annonceur précise qu’il exploite une boutique moderne dont la clientèle est principalement jeune et offre des vêtements parfois provocateurs, cette image provocatrice et contemporaine faisant son succès depuis 50 ans.

Aussi, loin de toute intention de nuire à la sensibilité du public, le site Internet en cause n’a pour autre objectif que de promouvoir sa marque en adéquation avec sa réputation.

Lors de la séance, le représentant de la société a expliqué que cette publicité avait repris le travail d’un artiste photographe et qu’il souhaitait, par le caractère choquant des images, appeler l’attention des femmes sur l’aliénation que pouvait engendrer une trop grande soumission aux phénomènes de modes.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP dispose que :

– La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

– Lorsque la publicité utilise la nudité, il convient de veiller à ce que sa représentation ne puisse être considérée comme avilissante et aliénante.

 – D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine.

 – La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes.

 – Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue.

 – La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.

 – La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence

 – La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence.

Il considère à titre liminaire que les images diffusées constituent bien une publicité. En effet, ainsi que le précise l’annonceur lui-même dans ses observations, elles ont pour but de promouvoir sa marque en adéquation avec sa réputation. Elles permettent ainsi aux clients potentiels de l’enseigne de se former une opinion sur l’originalité des vêtements que l’on peut trouver dans ses magasins.

Le fait que l’internaute ne puisse directement aboutir par un moteur de recherche sur ces images est par ailleurs inexact, puisqu’une recherche effectuée par le moteur Google permet de constater que l’accès à l’image est tout à fait possible, certes pas dans les tous premiers résultats de la recherche, mais néanmoins dans les suivants.

Sur le respect des dispositions déontologiques, le Jury précise que sa compétence et sa décision ne concernent nullement le travail de l’artiste photographe dont l’expression est libre. En revanche, l’utilisation de ce travail dans une publicité doit être faite dans le respect des règles de déontologie que s’est donnée la profession.

Il rappelle que les photos représentent des corps nus de femme et d’homme, présentés de dos, et portant une corde de pendu autour du cou. Sur l’une des deux images, la tête du personnage est enfoncée dans un sac en plastique portant le logo de l’enseigne.

Ces images utilisées dans le cadre publicitaire, présentent des scènes qui peuvent être qualifiées de violentes. Elles présentent en outre, directement, mais aussi indirectement pour les réalités qu’elles évoquent, une image dégradante de la personne humaine et constituent des atteintes à la dignité humaine.

Par conséquent, la publicité en cause ne respecte pas les dispositions Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– la publicité de la société Le Mouton à cinq pattes ne respecte pas les dispositions Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre les mesures permettant de faire cesser cette publicité ;

– La présente décision sera communiquée au plaignant et à la société annonceur;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 8 avril 2011 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, MM. Benhaïm, Lacan, Leers et Raffin.