Avis JDP n°189/12 – MAGAZINE D’ORIENTATION EN LIGNE – Plaintes rejetées

Décision publiée le 28.03.2012
Plaintes rejetées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu, d’une part, la représentante  de l’Association Les Chiennes de garde, et, d’autre part, les représentants du groupe de presse qui exploite les activités du magazine en cause ainsi que le représentant de l’ARPP,

– et après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 5 et 15 février 2012, de deux plaintes dont l’une émanant de l’Association Les Chiennes de garde et l’autre d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire en faveur du site internet d’un magazine spécialisé dans l’information sur la formation et l’orientation des jeunes, diffusée par voie de presse et d’affichage.

Cette campagne se présente sous la forme de dessins crayonnés et se compose de quatre visuels représentant :

Pour le premier, un portrait de femme ainsi  que  différentes scènes de massage d’un homme par une femme, accompagné du texte « Plus tard, je voudrais être kiné pour manipuler les hommes » ;

Pour le deuxième, un portrait d’homme à côté duquel se trouvent des images de footballeurs et d’une femme amoureuse, accompagné du texte « Je voudrais être footballeur pour avoir une femme de footballeur » ;

Pour le troisième, un portrait de femme entouré de différents accessoires féminins, accompagné du texte « je voudre être écrivin pck j’adore écrire c une vré pasion » ;

Enfin, pour le dernier, un portrait d’un homme ainsi que différentes images de présidents de la République, un drapeau tricolore et l’image d’une femme, accompagné du texte « plus tard je serai président de la république pour avoir une femme mannequin ».

Les affiches sont signées : « Etes-vous sûr du métier que vous allez choisir ? », « XXX.fr         – les jeunes ont de l’avenir».

2.Les arguments des parties 

 Les plaignants exposent que la campagne en cause véhicule des clichés sexistes.

L’association Les Chiennes de garde ajoute que l’annonceur joue avec les clichés, au risque de les propager et mélange travail et sexualité.

Au lieu d’interpeller les étudiants au sujet de leur orientation, cette campagne joue avec les représentations sexistes : des filles forcément nunuches et des garçons considérant les femmes comme des objets sexuels. Les femmes sont d’ailleurs davantage stéréotypées que les hommes dans cette campagne: elles apparaissent, l’une manipulatrice, l’autre s’intéressant uniquement à l’apparence. Le seul défaut stéréotypique des hommes, en revanche, est d’aimer des femmes stéréotypées. Sous couvert d’humour, ce sont toujours les mêmes clichés ringards!

Les Chiennes de garde indiquent avoir demandé, par voie de communiqué, au magazine d’abandonner cette campagne publicitaire.

L’Association invoque principalement la Résolution 1751 (2010) du Conseil de l’Europe « Combattre les stéréotypes sexistes dans les médias » qui dispose que « La représentation des stéréotypes sexistes varie de l’humour aux clichés dans les médias traditionnels, jusqu’à l’incitation à la haine et à la violence fondées sur le genre sur Internet. Les stéréotypes sexistes sont trop souvent banalisés et tolérés, au nom de la liberté d’expression. De plus, ces stéréotypes sont souvent subtilement véhiculés par les médias, qui reproduisent des attitudes et des opinions perçues comme la norme par des sociétés où l’égalité des sexes est loin d’être une réalité. De ce fait, trop souvent, les stéréotypes sexistes ne peuvent pas être attaqués en justice ou sanctionnés par les instances de régulation ou d’autorégulation, à l’exception des cas de violation de la dignité humaine les plus graves. »

L’annonceur, le Groupe de presse propriétaire du magazine, fait valoir que les publicités incriminées ont été soumises à l’ARPP qui n’a pas vu, dans cette campagne, d’atteinte à l’image de la personne humaine.

Par ailleurs, les lecteurs de la publication de presse sont des adolescents en études secondaires qui ont choisi leur orientation en fonction d’une carrière professionnelle qu’ils envisagent mais dont ils n’ont souvent qu’une connaissance théorique qui peut être fondée sur des présupposés, voire des préjugés. Il convient à ce titre, qu’ils s’assurent de l’adéquation de leurs souhaits à leurs potentialités mais également à la réalité des fonctions auxquelles ils aspirent. C’est sur ce thème qu’est construite la campagne publicitaire qui utilise volontairement un ton ironique pour capter l’attention d’une population adolescente.

La campagne invite à s’interroger sur les fondements de sa vocation :

  • sur le visuel langage texto : peut-on être écrivain si on ne maîtrise pas l’orthographe de sa langue et que l’on ne voit dans ce métier qu’une notoriété médiatique ?
  • sur le visuel footballeur : la passion du football se limite-t-elle à l’image médiatique d’être entouré de jolies filles ?
  • sur le visuel président : la fonction présidentielle ne se limite pas aux opportunités matrimoniales
  • sur le visuel kiné : il invite précisément à s’interroger sur les double sens et à décrypter les éléments de représentation.

Concernant le respect des dispositions de la résolution 1751 du Conseil de l’Europe, le magazine répond, par cette campagne, au souci pédagogique de décryptage voulu par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

Concernant le respect de la Recommandation Image de la personne humaine, cette campagne n’est pas contraire à la dignité ou à la décence, elle ne comporte aucune représentation dégradante ou humiliante, elle ne réduit en aucun cas la femme à la fonction d’objet, elle ne prétend pas à une infériorité de la femme car elle stigmatise également les clichés masculins, elle n’induit pas une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes, elle ne comporte pas de situation de soumission, de dépendance, de domination ou d’exploitation.

L’annonceur indique que la nouvelle campagne ne met plus en scène de jeunes filles et qu’elle n’est pas plus valorisante pour l’ingénuité des jeunes hommes, ce qui illustre bien l’absence de volonté de stigmatisation du genre ;

L’agence de communication, contactée par le secrétariat l’a informé de ce qu’elle n’est pas en charge de cette campagne.

La société d’affichage a fait valoir, par courrier, que les affiches en cause ont fait l’objet d’un avis préalable de l’ARPP qui a estimé les visuels « écrivain » et «kiné » acceptables sans observations particulières.

Quant au visuel « footballeur », il n’a été accepté par la société qu’après que l’annonceur ait opéré les modifications préconisées par l’ARPP.

Le visuel « Président de la République » a lui été refusé et n’a donc pas fait l’objet d’un affichage dans le métro parisien.

L’ARPP indique que cette campagne a fait l’objet de demandes de conseils préalables auprès de ses services, de la part de la société d’affichage.

L’Autorité explique que sa réponse a porté essentiellement sur la non identification de personnalités existantes.

Pour le reste, elle a validé les projets transmis, lui paraissant acceptables au regard des règles en vigueur et en particulier au regard des dispositions de la Recommandation Image de la personne humaine.

Elle a pris en compte en particulier l’objet même de la campagne destinée à promouvoir un salon de l’orientation à l’attention de jeunes en situation de choix crucial d’orientation scolaire et professionnelle, à attirer l’attention sur le décalage pouvant exister entre leurs aspirations professionnelles, parfois guidées par une part de rêve et leurs réelles compétences et à montrer la nécessité de bien s’informer avant de faire un choix d’orientation.

L’axe de communication choisi, qui utilise la dérision et la caricature, permet, selon l’ARPP, d’avoir une lecture distanciée des illustrations et textes utilisés.

La représentation humoristique des personnages et notamment des femmes dans ces messages, lui est apparue ainsi comme illustrant des situations individuelles caricaturales et non comme la mise en évidence de stéréotypes dégradant pour l’image de la personne humaine.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Il résulte des dispositions déontologiques, notamment celles contenues dans la Recommandation «Image de la Personne Humaine » que :

1/3 : « De façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine » ;

2/1. « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

2/3 : « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la Recommandation ». 

 Le Jury relève que la campagne publicitaire en cause a pour objet de promouvoir un salon de l’orientation destiné à des lycéens qui doivent choisir leur orientation professionnelle et qu’elle est destinée à mettre en évidence la nécessité de  bien s’informer avant de faire un choix aussi important.

Les visuels retenus ont pour objet de faire prendre conscience aux jeunes de l’importance  de ce choix qui ne saurait être guidé par des « a priori » ou des stéréotypes rapides.

Elle est traitée au moyen de visuels représentant des cahiers scolaires sur lesquels figurent  différents dessins au crayon  illustrant le type d’appréciations rapides auxquelles un jeune ne doit pas se laisser aller pour exercer son choix.

Si ces visuels utilisent manifestement certains stéréotypes, c’est sur le ton de l’humour et pour précisément mettre en garde contre eux.

En l’absence de toute représentation  dégradante ou indécente de la personne humaine, ils ne peuvent être considérés comme méconnaissant les Recommandations précitées.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées;

– Les affiches publicitaires critiquées ne méconnaissent pas les dispositions 1/3, 2/1 et 2/3 de la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP ;

– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, au Groupe de presse, à l’agence de communication et à la société d’affichage ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 9 mars 2012 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Drecq, et MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.