Avis JDP n°141/11 – INFORMATION MEDIA/SITE INTERNET – Plainte fondée

Décision publiée le 29.09.2011
Plainte fondée

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu, d’une part, la partie plaignante constituée du Collectif « Non à Guerlain ! Non à la négrophobie » et de la Fédération « Total Respect » ainsi que des associations Allegro Fortissimo, Le Poids des mots, Collectifdom et Omeave, et plusieurs personnes physiques et, d’autre part, les représentants du groupe qui exploite les activités du site internet en cause et de son agence de communication,

– et après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 juillet 2011, d’une plainte émanant du Collectif « Non à Guerlain ! Non à la négrophobie » et de la Fédération « Total Respect » ainsi que des associations Allegro Fortissimo, Le Poids des mots, Collectifdom et Omeave, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité en faveur d’un site internet destiné à informer les étudiants, diffusée par affichage.

Cette publicité s’intègre dans une campagne composée de trois affiches différentes.

Celle mise en cause représente le casque d’un pompier de dos, en bas d’une échelle déployée le long d’un immeuble de plusieurs étages, dont le dernier est en flammes, et sur le balcon duquel se tient un homme noir et de forte corpulence accompagné d’un chien que l’on peut identifier comme étant de race pitbull. Cette image est accompagnée du slogan : « Etes-vous vraiment fait pour le métier que vous risquez de choisir ? », « les jeunes ont de l’avenir – X.fr ».

2.La procédure

La Présidente du Jury de Déontologie publicitaire a, par lettre du 8 juin, indiqué au collectif plaignant que telle qu’elle était présentée par le document adressé, lequel ne permettait pas de distinguer nettement l’homme représenté, la publicité n’apparaissait pas enfreindre de dispositions de la Recommandation Image de la personne humaine et qu’en conséquence, en application de l’article 12 du Règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire, la plainte ne serait pas soumise, pour délibération en séance, aux membres du Jury.

Dans un document intitulé « demande de révision », le collectif, auquel se sont jointes les autres personnes morales et physiques précitées, a étayé son argumentation et demandé que la publicité en cause soit présentée au Jury en séance.

3.Les arguments des parties 

 Les plaignants exposent que le visuel en cause qui donne à voir un pompier hésitant à escalader la grande échelle car la victime à sauver des flammes est une personne noire et obèse avec un chien ressemblant à un pitbull, fait partie d’une campagne composée de trois volets successifs : le premier montre le postérieur d’un cheval à l’arrière duquel le mur, couvert de ses excréments, comporte en négatif, la trace d’un homme dont l’on devine qu’il a été projeté sur le mur par la violence de l’expulsion desdits excréments, le deuxième montre un spationaute dont l’intérieur de la visière du casque est couvert de vomi.

Ils considèrent que cette publicité diffuse l’idée selon laquelle il « n’est pas souhaitable de devenir pompier puisque l’on risque d’y secourir des nègres et que les nègres, c’est bien connu, sont des truands à pitbull ! ». Par ailleurs, eu égard aux autres visuels de la campagne, les plaignants estiment que cette publicité assimile les noirs et les obèses à « des excréments et du vomi ». Ils ajoutent que cette publicité constitue une « insulte à la mémoire des victimes des incendies des hôtels parisiens de l’Opéra et du boulevard Vincent-Auriol à Paris qui, en 2005, avaient fait 52 morts dont 33 enfants et pour l’essentiel des personnes migrantes originaires d’Afrique ».

Ils font valoir que la décision du 8 juin est entachée de vice de forme et de procédure car il est malaisé de déterminer la nature de celle-ci. S’agit-il d’une simple information sur la procédure ouverte par la plainte du 2 mars ou au contraire d’une véritable décision « de jugement » de cette plainte au sens du règlement intérieur du JDP. Cette décision vise l’article 12 du règlement intérieur mais ce visa est inopérant pour ne pas mentionner l’alinéa visé au sein de cet article, lequel définit au moins deux situations exclusives l’une de l’autre : la plainte recevable (alinéas 3 et s.) et la plainte irrecevable (alinéa 2).

Ils indiquent, par ailleurs, que la décision du 8 juin ne répond pas à plusieurs des moyens explicitement soulevés par la plainte du 2 mars et par les éléments complémentaires déposés les 2 et 14 mars. Elle ignore ainsi l’argument de la discrimination envers les personnes obèses, celui de la continuité « burlesque » entre les trois volets de la campagne litigieuse, qui accroît l’insulte faite aux personnes noires et obèses en les assimilant à des excréments ou à du vomi, enfin celui de l’insulte à la mémoire des victimes des incendies des hôtels parisiens en 2005.

Par ailleurs, les plaignants soutiennent qu’il convient de tirer les conséquences de l’appartenance de l’affiche à une campagne en comportant plusieurs et avoir une vision globale de la campagne publicitaire concernée, un parallèle devant être opéré entre les trois photos.

Ils insistent sur la violence morale de l’affiche qui ne s’arrête pas à l’« illustration » des difficultés du métier de pompier, mais propose bel et bien à la vue une situation où un pompier hésite à sauver une personne  noire et obèse, mettant ainsi d’emblée en danger la vie de ce dernier. Le slogan et son point d’interrogation (« Êtes-vous vraiment fait pour le métier que vous risquez de choisir ?») ne font qu’accentuer la violence de cette situation, notamment auprès du jeune public afro-caribéen: s’interroger, en pareille situation, c’est déjà mettre en danger la vie de la personne à secourir.

Lors de la séance ils ont indiqués que la publicité en cause figurait toujours sur internet.

L’association Allegro Fortissimo a fait valoir, par oral, que les auteurs de cette publicité ne se rendent pas compte de l’impact qu’elle peut produire tant en ce qui concerne les idées reçues sur les personnes à forte corpulence souvent regardées comme étant repoussantes, qu’en ce qui concerne ces personnes elles-mêmes, souvent en situation d’exclusion et de solitude. Elle ajoute que les préjugés concernant l’obésité sont nombreux et fortement ancrés, accrus par les campagnes anti-obésité et que la banalisation de la moquerie ne peut qu’amplifier ces préjugés.

L’annonceur fait valoir qu’à la suite d’un communiqué de presse des plaignants en date du 2 mars 2011, il a immédiatement pris contact avec le Président de la fédération Total respect pour lui expliquer que son but n’avait jamais été de choquer une quelconque communauté. Il a, dès le lendemain, adressé ses excuses par courrier et s’est engagé à recouvrir tous les visuels dans les plus brefs délais, ce qui a été fait dans les trois jours, la publicité mise en cause ayant aussi été supprimée sur internet.

Il expose qu’il s’agissait d’une publicité dont l’intention était exclusivement humoristique et en aucun cas une provocation à la haine raciale.

L’agence créatrice de la publicité, oppose qu’un règlement amiable est intervenu dans cette affaire, puisque l’annonceur s’est expliqué avec certains des plaignants, s’est engagé à retirer le visuel concerné et à ne plus l’utiliser, ce qui a été fait dans les jours qui ont suivi.

Sur le fond, l’agence rappelle que le Jury a estimé, le 8 juin 2011, que le visuel concerné ne lui apparaissait pas contraire aux règles en vigueur. Elle ajoute que l’analyse des plaignants, selon lesquels la succession des trois affiches de la campagne établirait un parallèle entre les excréments, du vomi et une personne noire et obèse, est excessive et erronée.

Concernant l’argument selon lequel le pompier hésiterait à sauver une personne noire obèse et que sa seule présence mettrait en cause la couleur de la peau de la personne à secourir, l’agence oppose que l’annonceur et son agence s’adressent à des personnes de toutes origines et n’ont pas pour volonté ni pour objectif ou intérêt de stigmatiser une partie de la population.

Elle explique que les plaignants omettent de prendre en considération l’ensemble du personnage représenté qui fait référence à un rappeur avec son pitbull, à la façon d’un Notorious BIG ou d’un RICK ROSS. La représentation d’un personnage ne signifie pas que l’on considère toute une frange de la population comme identique à ce personnage.

La société afficheur, a fait valoir, par courrier, que les affiches n’avaient pas été exposées côte à côte, qu’il n’est pas sérieux de prétendre que les trois visuels établissent le parallèle dénoncé par les plaignants.

Elle ajoute que chaque visuel met en scène des situations ou des personnages d’une façon différente et humoristique, quand bien même cet humour serait de mauvais goût, le slogan de la campagne, chacun étant détaché des autres et pouvant se suffire à lui-même pour la compréhension du slogan.

Elle précise que l’affiche du pompier n’est que l’illustration de la situation délicate devant laquelle se trouve le pompier censé aller secourir une personne de forte corpulence accompagnée d’un chien au faciès peu engageant et évoquant une race de chiens connue pour son agressivité et sa dangerosité. Pour l’afficheur, la personne à secourir est difficile à distinguer et elle n’a vu dans sa représentation aucune stigmatisation d’une quelconque race ou ethnie, aucune dévalorisation de sa personne, ni représentation dégradante ou humiliante, aucune allusion à une idée péjorative ou d’infériorité la concernant.

4.Les motifs de la décision du Jury

 En ce qui concerne la première réponse faite par la présidence du Jury aux plaignants :

 Les dispositions de l’alinéa 3 de l’article 12 du règlement intérieur du JDP prévoient qu’à la suite d’un examen prima faciae, l’un des Présidents du Jury, qui estime que la publicité en cause ne présente pas de difficulté au regard des Recommandations déontologiques, peut décider qu’elle ne sera pas soumise à l’examen du Jury. Ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une plainte non admise lors de ce premier examen, soit portée devant le Jury réuni en formation collégiale, dès lors que la demande en est faite par le plaignant en désaccord avec la première analyse faite sur la base de sa seule plainte par le secrétariat et l’un des Présidents du Jury.

L’examen auquel procède le Jury dans ces circonstances ne constitue pas une « Révision », ainsi que le demandent les plaignants, mais un premier examen de sa part.

En ce qui concerne le bien fondé de la plainte

Il résulte des dispositions déontologiques, notamment celles contenues dans la Recommandation «Image de la Personne Humaine » que :

2/4 : « La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance ou de racisme ».

Par ailleurs, la Recommandation « Races, religions, ethnies » dispose notamment que :

1 : « La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, au sectarisme ou au racisme » ;

2 : « Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie ».

Enfin, la Recommandation « Comportements alimentaires », dans sa partie valeurs sociales, directement inspirées de la Charte sur l’image du corps signée par l’ensemble des professionnels à l’initiative du Ministère de la santé, dispose que : « 1/6- a. La publicité doit éviter toute forme de stigmatisation des personnes en raison de leur taille, de leur corpulence ou de leur maigreur ».

 Le Jury relève que l’image de la publicité en cause montre un homme noir, obèse, accompagné d’un chien que l’on peut identifier comme étant de race pitbull, se tenant sur le balcon du dernier étage d’un immeuble en feu. Au pied de cet immeuble se trouve un pompier de dos. Le slogan accompagnant l’image est : « Etes-vous vraiment fait pour le métier que vous risquez de choisir ? ».

L’intention manifeste de cette image accompagnée de son slogan est d’inviter à réfléchir sur la dangerosité du métier de pompier exposé à monter au dernier étage d’un immeuble en feu pour sauver une personne accompagnée d’un chien connu pour être particulièrement agressif.

Cette publicité, qui s’inscrit dans le cadre d’une campagne destinée à appeler les jeunes à se renseigner avant de choisir une profession et comprenant deux autres visuels décrits ci-dessus, se distingue de ces derniers en ce qu’ils ne reposent pas sur le même ressort de réflexion. En effet, le visuel représentant le métier de vétérinaire, et le deuxième qui concerne un astronaute, montrent des images répugnantes et repoussantes. Tel n’est pas le cas du visuel de la plainte qui repose sur une mise en scène de danger. Il ne peut donc être considéré que l’affiche en cause doive être analysée et décryptée de façon globale avec les autres et que la campagne assimilerait, ne serait-ce que de façon indirecte, les personnes noires et de forte corpulences à des personnes repoussantes.

Par ailleurs, l’affiche représentant une image par nature inerte, ni le slogan, ni aucun autre élément, ne permet de considérer que le pompier qui y est représenté hésite à remplir son devoir. Enfin, le seul fait que la personne attendant le pompier soit de couleur noire ne permet pas raisonnablement de voir dans cette affiche une allusion au drame vécu par les habitants des hôtels parisiens de l’Opéra et du boulevard Vincent-Auriol à Paris, victimes d’un incendie en 2005, toute personne, quelle que soit sa couleur, et s’étant trouvée dans la situation mise en scène pouvant se sentir concernée par le visuel.

Cependant, l’image décrite ci-dessus réunit plusieurs éléments (la couleur de peau, la corpulence, l’agressivité de l’individu, induite par la présence du chien d’une race connue pour son caractère combatif) qui peuvent implicitement produire, dans certains esprits, un amalgame conduisant à désigner une personne noire et grosse comme constituant une difficulté sociale particulière. Cet amalgame susceptible, à la fois, de provoquer un sentiment de discrimination ou de légitimer un tel stéréotype, sans qu’importe l’intention de l’annonceur ou de son agence, caractérise un défaut de respect des dispositions précitées.

Le Jury donne néanmoins acte à l’annonceur de ce qu’il a immédiatement retiré la publicité en cause lorsqu’il a reçu les plaintes qu’elle suscitait. Une vérification du site internet en cause ayant permis de constater que la publicité incriminée n’y figurait pas.

Enfin, le Jury précise qu’il n’a pas compétence pour ordonner des réparations, sous quelques modalités que ce soit.

Il estime que la publication d’un communiqué de presse, qui est une mesure exceptionnelle, ne se justifie pas.

5.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– L’affiche publicitaire représentant une scène d’incendie ne respecte pas les dispositions des Recommandations Image de la Personne Humaine, Races, religions, ethnies  et Comportements alimentaires de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général le l’ARPP de prendre toute mesure pour qu’elle ne soit pas renouvelée ;

– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence et à l’afficheur;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 9 septembre 2011 par Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente, Mme Drecq, MM. Benhaïm, Carlo, Lacan, Leers, et Raffin.