Avis JDP n°221/12 – FOIE GRAS – Plainte rejetée

Décision publiée le 21.11.2012
Plainte rejetée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants des associations Animavie et l’annonceur,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties ;

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi d’une plainte en date du 17 juillet 2012, émanant de l’Association Animavie, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, en particulier les principes de loyauté et de véracité, d’une publicité en faveur des produits d’appellation « Canard à foie gras du Sud-Ouest – GERS – origine certifiée », diffusée principalement en affichage lors de foires et de salons.

La publicité en cause montre des canards photographiés sur un fond champêtre, avec le logo « Origine certifiée – Canards à foie gras du Sud-Ouest – GERS ». Le texte accompagnant cette image rappelle la nature des produits concernés (foie gras, magrets et confits) avant d’indiquer en gros caractères : « Proverbe gersois – Canard heureux, canard savoureux ».

Au bas de la publicité figure une autre référence aux « canards à foie gras » du Gers.

2.Les arguments des parties

 L’association plaignante Animavie met exclusivement en cause le qualificatif d’« heureux » employé dans le slogan, qui ne reflète pas la réalité compte tenu du traitement infligé par le gavage des canards en vue de la production de foie gras.

Elle produit plusieurs études scientifiques qui font état du caractère intrinsèquement pathologique de la pratique du gavage, et décrivent les maladies et blessures qui peuvent l’accompagner. Dans ces conditions, l’emploi de l’expression « canard heureux » au soutien d’une publicité promouvant le foie gras méconnaîtrait les articles 1, 2 et 5 du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la Responsabilité sociale, qui posent en particulier les principes de véracité et de loyauté de la publicité.

L’association commercialisant le foie gras, annonceur, rappelle qu’elle a pour objet de gérer de façon collégiale la certification et la promotion des Indications géographiques protégées relatives aux palmipèdes à foie gras certifiés du Sud-ouest et notamment certifiés « Sud-ouest Gers ». Elle indique que le procès de fabrication du foie gras, et en particulier la technique du gavage, est connu du grand public.

Elle insiste sur l’absence de visée informative de la publicité litigieuse, qui s’inscrirait dans une démarche exclusivement promotionnelle et impliquerait, par elle-même, une certaine distanciation, en raison notamment de la référence à un proverbe gersois et à la culture du « bonheur gastronomique » de ce département.

Elle ajoute que les producteurs du Gers concernés se sont inscrits dans une démarche de qualité, en l’occurrence l’Indication géographique protégée (IGP) « Canard à foie gras du Sud-ouest », dont le référentiel impose notamment un certain nombre d’exigences strictes en terme d’aménagement de parcours en plein air et de mise en parcours des canards durant la phase d’élevage qui est la phase la plus importante en terme de durée.

3.Les motifs de la décision du Jury

L’article 1er du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la Responsabilité sociale dispose que « toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique. (…) ».

En vertu de l’article 3 du même code relatif au principe de loyauté : « La communication commerciale doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs. ».

Enfin, selon l’article 5 de ce code relatif au principe de véracité : « La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse. La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur (…) ».

Le Jury constate à titre liminaire que, même si elle fait état d’autres produits alimentaires réalisés à base de canard, la publicité litigieuse porte principalement sur la production de foie gras. A cet égard, il rappelle que, selon l’article L. 654-27-1 du code rural et de la pêche maritime : « Le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. On entend par foie gras, le foie d’un canard ou d’une oie spécialement engraissé par gavage ».

Le Jury relève, à la lecture des extraits d’études versés au dossier, qu’il existe actuellement une controverse scientifique sur l’incidence exacte de la technique du gavage sur la souffrance animale, indépendamment des pathologies et complications pouvant résulter d’une pratique abusive ou déviante. Cette incertitude trouve une traduction dans le cadre juridique européen : si l’article 14 de l’annexe à la directive 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages prévoit que « aucun animal n’est alimenté ou abreuvé de telle sorte qu’il en résulte des souffrances ou des dommages inutiles », la recommandation relative aux Canards de Barbarie et aux hybrides de Canards de Barbarie et de Canards domestiques adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe le 22 Juin 1999 par le Comité Permanent de la Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages, que la Commission européenne demande elle-même aux Etats membres de respecter, prévoit en son article 24 que, aussi longtemps qu’aucune étude scientifique déterminante sur les méthodes alternatives de production de foie gras et sur les questions de bien-être animal n’est disponible, cette production peut être poursuivie dans les pays qui, comme la France, y recourent de longue date conformément à leur législation nationale.

Le Jury considère que l’appréciation du respect des principes de véracité et de loyauté de la publicité doit nécessairement tenir compte de cette incertitude scientifique, qu’il ne lui appartient pas de lever.

Le Jury constate en outre que le terme « heureux », utilisé par cette publicité, se rapporte essentiellement à la psychologie humaine et est d’un maniement malaisé s’agissant des animaux. L’emploi de ce terme, sous couvert d’un « proverbe gersois » de création très récente, voire contemporaine de la publicité, qui joue sur la rime entre « canard heureux » et « canard savoureux » et sur l’association entre ce département et le plaisir gustatif, atténue par ailleurs la portée informative d’un message qui apparaît dépourvu de prétention scientifique propre.

Le Jury observe certes que cette publicité, par l’emploi du terme « heureux », laisse clairement entendre au consommateur que les canards utilisés dans la fabrication du foie gras en cause feraient l’objet de précautions particulières destinées à garantir leur bien-être.

Il estime toutefois que cette expression, au sein d’une publicité qui valorise un mode de production traditionnel du foie gras, ne vise pas à dissimuler la réalité du recours au gavage, mais, en écho à la photographie champêtre qu’elle comporte en arrière plan et au logo « Canard à foie gras du Sud-Ouest », se rapporte plutôt aux conditions particulières d’élevage des canards en cause telles qu’elles résultent du cahier des charges de l’indication géographique protégée « Canard à foie gras du Sud-Ouest », homologué par un arrêté du ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire du 27 mars 2012.

Si l’association Animavie soutient que certains producteurs n’observeraient pas les prescriptions de ce référentiel et qu’une réflexion est en cours au niveau européen concernant un éventuel durcissement de la réglementation sur le gavage, cette double circonstance, à la supposer établie, ne permet pas, en l’espèce et compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, d’établir le caractère trompeur du slogan utilisé.

Le Jury observe enfin que le consommateur français est, en moyenne, relativement éclairé sur les méthodes de production du foie gras et le recours au gavage, compte tenu notamment de l’action des associations de défense de la cause animale et, comme le rappelle l’association Animavie, de la décision récemment prise par l’Etat de Californie d’interdire la production et la commercialisation de ce produit sur son territoire, qui a fait l’objet d’une large médiatisation.

Par suite, il estime que cette publicité, par le seul emploi du terme « heureux », ne peut être regardée comme abusant de la confiance des consommateurs ou comme exploitant leur manque de connaissance, au sens de l’article 3 du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing.

Il résulte de tout ce qui précède que cette publicité, si elle peut indéniablement heurter la sensibilité d’une partie de l’opinion publique préoccupée par le recours à la technique du gavage au regard du bien-être animal, n’apparaît pas de nature à induire en erreur le consommateur sur la réalité du processus de fabrication employé et sur ses incidences sur les animaux concernés.

Elle ne méconnaît donc pas les articles 1, 3 et 5 du code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la Responsabilité sociale.

4.La décision du Jury

– La plainte est rejetée ;

– La publicité de l’association commercialisant le foie gras est conforme aux dispositions des articles 1, 3 et 5 du Code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication de marketing de la Chambre de Commerce Internationale relatif à la Responsabilité sociale ;

– La présente décision sera communiquée à l’association plaignante et à l’association commercialisant le foie gras ;

– Elle sera publiée sur le site Internet du Jury.

Délibéré le vendredi 9 novembre 2012 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M Lallet, Vice-Président, Mme Drecq et MM Benhaïm, Depincé, Lacan, et Leers.