Avis publié le 8 juin 2023
ZADIG & VOLTAIRE – 919/23
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 14 février 2023, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, adressée par courriel, en faveur de la société Zadig & Voltaire, pour promouvoir son offre de vêtements.
La publicité en cause montre une jeune femme assise sur un espace de terre et de cailloux, au pied d’un grillage dont on n’aperçoit pas la hauteur. Elle est vêtue d’une chemise décolletée et remontée sur ses cuisses et de sandales ouvertes. Elle est en appui sur les mains, les jambes relevées, son regard dirigé vers l’objectif.
2. Les arguments échangés
– Le plaignant relève que cette publicité montre une jeune fille métissée extrêmement maigre, jambes écartées avec une expression indiquant qu’elle a dû être maltraitée. Il considère que sa maigreur incroyable, sa position, son expression et la localisation ne sont pas admissibles pour vendre un habit. Ils représentent plus un abus d’un temps passé.
– La société Zadig & Voltaire a été informée, par courriel du 3 avril 2023 et par courrier recommandé avec accusé de réception du 4 avril 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.
La société indique avoir développé depuis sa création un style à la fois rock, tendance et chic, associé à une image haut de gamme qui bénéficie désormais d’une notoriété internationale. Elle valorise les femmes libres, fières, indépendantes et sûres d’elles et le respect de la dignité humaine, notamment de la dignité des femmes, est un point central pour elle.
Le représentant de la société se dit donc profondément peiné que ce visuel ait pu susciter le sentiment que cette jeune femme était maltraitée.
Le visuel, extrait d’un shooting global mettant en scène le même mannequin dans plusieurs situations, n’a pas été compris dans sa dimension artistique et esthétique, sans doute par manque de clarté de la part de l’annonceur qui souhaite sur ce point présenter ses excuses.
La société fait valoir également que les équipes créatives ont souhaité raconter dans cette campagne l’histoire d’une jeune femme dans des endroits peu conventionnels et à l’abandon d’une ville du Sud de l’Europe non identifiée. L’idée était de redonner vie à ces lieux par la présence de cette jeune femme élégante, curieuse cherchant à connaître et faire hommage au théâtre d’événements passés intervenus dans ces lieux abandonnés.
L’annonceur relève que l’expression de la jeune femme n’indique pas qu’elle a été maltraitée ou qu’elle est en souffrance, mais qu’elle est nonchalante, sous la chaleur de l’été, avec un regard profond et curieux du passé, profitant des lieux comme ceux d’un sanctuaire interdit. Sa présence près d’un grillage, dans une posture presque irrévérencieuse à même le sol montre au contraire, selon lui, sa prise de pouvoir sur les lieux et aspire à mettre en valeur une nature qui reprend ses droits tel que le sable et ce, partout, sans limite en dépit du grillage.
La position inattendue de la jeune femme assise, les jambes étendues sur le sol, permet de mettre en valeur les produits créant un contraste saisissant entre la légèreté de la tenue estivale et l’atmosphère lourde et mystérieuse de ces lieux. Par ailleurs, sa posture permet de distinguer avec précision les plis et l’imprimé de la robe ainsi que la boucle de la sandale.
La société indique avoir vérifié que chaque mannequin justifie d’un certificat médical qui soit établi au regard notamment de l’IMC. La position du modèle fait en effet apparaitre sa clavicule mais, selon l’annonceur, elle n’est pas maigre comme on peut le voir sur les autres photographies de la campagne.
Zadig & Voltaire tient cependant à présenter ses sincères excuses auprès de la personne ayant émis la plainte et de toute personne ayant pu être offensée par la photographie. Dès qu’elles ont eu connaissance de la plainte, les équipes communication ont procédé au retrait de ce visuel de tous les supports de newsletters et du site internet Zadig & Voltaire.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dispose que :
« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. / (…)
1.3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. (…) ».
D’autre part, selon le principe général de responsabilité sociale, explicité à l’article 2 du code ICC : « Les communications commerciales doivent respecter la dignité humaine et ne doivent pas inciter ou cautionner aucune forme de discrimination, notamment fondée sur l’origine ethnique ou nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle / La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance ».
Enfin, la Recommandation « Comportements alimentaires » de l’ARPP, dans son point relatif aux valeurs sociétales, dispose que « b/ Diversité – La publicité doit éviter toute forme de stigmatisation des personnes en raison de leur taille, de leur corpulence, de leur maigreur ou de leurs choix alimentaires pour autant que ceux-ci soient conformes aux principes de cette recommandation. Il résulte de ces dispositions que la publicité ne peut pas mettre en valeur des troubles du comportement alimentaire ou des situations pouvant être interprétées comme telles. A cet égard, si une image diffusée, même retouchée et sans lien avec la réalité, est de nature à valoriser la maigreur extrême et à en faire un modèle, elle doit être considérée comme pouvant induire des troubles du comportement alimentaire, dont les dangers pour la santé physique et mentale ont été, à maintes reprises, signalés par la communauté scientifique.
Le Jury constate que la publicité en cause montre une jeune femme assise à même le sol, dans un espace aride, composé de terre et de cailloux, au pied d’un grillage. Elle est vêtue d’une chemise décolletée et remontée sur ses cuisses et de sandales ouvertes. Elle est en appui sur les mains, les jambes relevées, le regard dirigé vers l’objectif.
Le Jury relève la maigreur très prononcée de la jeune femme, le grand inconfort de sa position, la dureté de son expression faciale et la présence d’un grillage qui renvoie dans l’imaginaire d’un consommateur moyen à une situation d’enfermement dans un camp à ciel ouvert, en l’occurrence dans un environnement désertique qui peut rappeler un camp de réfugiés ou de personnes déplacées. Ni le contraste entre la tenue vestimentaire promue et l’atmosphère du lieu, ni l’intérêt de la position du corps qui permettrait de distinguer avec précision les plis et l’imprimé de la robe ou la boucle de la sandale, mis en avant par l’annonceur, n’explique cette mise en scène, laquelle n’est pas davantage explicitée par un texte ni contextualisée par un autre élément visuel.
Le Jury estime que cette présentation évoque une situation de malnutrition, de détresse et de maltraitance. Elle détourne à des fins publicitaires l’image de personnes qui, à l’instar de réfugiés ou personnes déplacées en raison d’un conflit, endurent des conditions de vie éprouvantes et dégradantes dans des espaces fermés et subissent un enfermement attentatoire à la dignité humaine.
Il considère ainsi que cette publicité comporte une représentation dégradante de la personne humaine, de même qu’elle propage une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence, dans des conditions de nature à choquer le public. Elle exploite, sans raison justifiable, un sentiment de souffrance.
Enfin, en mettant en avant un modèle présentant une telle maigreur, ce visuel méconnaît la Recommandation « Comportements alimentaires » précitée.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions déontologiques précitées. Il prend note du retrait immédiat de ce visuel par les équipes de l’annonceur.
Avis adopté le 12 mai 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.