Avis JDP n° 560/19 – AUTOMOBILE – Plainte n°1 non fondée – Plainte n°2 fondée

Avis publié le 20 mai 2019
Plainte n°1 non fondée
Plainte n°2 fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’agence de communication et de l’association Les Chiennes de garde,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 11 janvier 2019, d’une plainte émanant d’un particulier, puis, le 11 février suivant, d’une plainte émanant de l’association Les Chiennes de garde, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée en affichage, en faveur d’un constructeur automobile, pour promouvoir un modèle de véhicule.

Les deux publicités en cause présentent un véhicule, photographié sur un fond de couleur unie. Le texte accompagnant cette image est décliné en deux versions :

– « C’est ça en moins que vous mettrez dans la poche du psy. »

– « Faites en sorte que l’amant de votre femme ce soit vous. »

Une troisième version mentionnant « Bienvenue dans la crise de la quarantaine » existe mais n’a pas été visée par les plaintes.

2. La procédure

– La société annonceur ainsi que l’agence de communication, qui a réalisé la campagne et la société d’affichage ont été informées, par courriers recommandés avec avis de réception des 6 et 12 février 2019, des deux plaintes dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

– L’agence de communication, a, pour des raisons d’incompatibilité d’agenda, sollicité un report d’examen de cette affaire, initialement prévu pour le 8 mars 2019.

3. Les arguments échangés

– Le plaignant particulier considère que le texte “C’est ça en moins que vous mettrez dans la poche du psy” évoque le phénomène de compensation qui est un phénomène psychologique extrêmement problématique pour de nombreuses personnes en dépression, qui ne pensent pouvoir accéder au bonheur ou au rétablissement que par l’achat de produits. Il s’agit d’un mécanisme issu du culte de la consommation et par lequel les gens croient pouvoir combler leurs faiblesses, leur inutilité, leur tristesse, leur solitude.

Cette publicité véhicule un mépris insupportable à l’égard de personnes souffrantes, qu’elle incite, en outre, à un achat coûteux.

– L’association Les Chiennes de Garde considère que le sous-entendu contenu dans le texte « Faites en sorte que l’amant de votre femme ce soit vous » entretient la flamme tenace des fantasmes auto/macho, en réduisant la femme à une femme objet, conditionnée par sa sexualité et sa vénalité.

– L’agence de communication, fait valoir que la marque en cause est une marque fondamentalement construite autour de l’humour et du second degré, dont le ton publicitaire a fait l’objet de nombreux livres et articles de presse.

Elle explique que le produit en question est un modèle de véhicule qui vise les quarantenaires comme cœur de cible. La crise de la quarantaine est un phénomène non-genré de l’inconscient collectif et il n’est pas rare que ce tournant de la vie soit l’occasion d’entreprendre, sous la conduite d’un professionnel, un retour sur soi. En outre, ce phénomène semble ancré dans une réalité physique.

La campagne en cause a été déclinée en 3 visuels, permettant d’assurer une compréhension optimale : « C’est ça en moins que vous mettrez dans la poche du psy », « Bienvenue dans la crise de la quarantaine » et « Faites-en sorte que l’amant de votre femme ce soit vous ». Les résultats d’agrément ont montré que cette campagne est au-dessus des standards de la marque.

L’agence ajoute que cette campagne a été arrêtée depuis janvier 2019 et n’a pas été reconduite.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dispose que :

« 1.1. La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

2.2. La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2.3. La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »

Par ailleurs, le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, à son article 1er, que « Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle » et à son article 2, que « La communication commerciale doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris celle fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle ».

Le Jury relève que la campagne publicitaire en cause se réfère, selon l’agence, à la « crise de la quarantaine », envisagée sous différents angles.

S’agissant de la première affiche, montrant le véhicule promu accompagné du texte « C’est ça en moins que vous mettrez dans la poche du psy », le Jury relève qu’elle laisse entendre que l’achat d’un véhicule SUV est un moyen plus efficace de retrouver son équilibre psychologique qu’un suivi professionnel spécialisé.

Ce faisant, cette publicité n’a pas entendu stigmatiser ou mépriser les personnes souffrant du phénomène de « compensation » décrit par la plainte, mais présenter, de manière décalée, l’achat d’un véhicule à l’allure sportive et tout terrain comme un élément possible de réponse au phénomène communément connu comme la « crise de la quarantaine ».

Le Jury est donc d’avis que cette première publicité reste acceptable au regard des dispositions précitées de la Recommandation « Image et respect de la personne ».

S’agissant de la seconde affiche, sur laquelle le véhicule en cause est accompagné du texte « Faites en sorte que l’amant de votre femme ce soit vous », le Jury constate que cette publicité repose sur le stéréotype selon lequel la possession d’une belle voiture permet à l’homme d’accéder plus facilement aux faveurs sexuelles des femmes. Ce slogan réduit, de plus, la femme à un rôle d’objet sexuel et porte atteinte à sa dignité.

En conséquence, le Jury est d’avis que cette seconde publicité méconnaît les points 1.1. et 2.3 de la Recommandation « Image et respect de la personne ».

Avis adopté le 12 avril 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.