Avis publié le 7 juillet 2025
U-POWER – 1064/25
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu le représentant de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP),
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. Les plaintes
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 27 et le 29 avril 2025, de cinq plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société U-Power, pour promouvoir son offre de vêtements et chaussures de travail et plus particulièrement de chaussures de marque Red Ego.
La publicité en cause, diffusée à la télévision et sur Internet, montre un petit garçon de dos, en train de regarder une femme qui chante, face à lui, sur une scène surélevée, vêtue d’une mini-jupe et de bottes en cuir noir. Le film montre ensuite le visage admiratif de l’enfant, accompagné d’une voix hors-champ déclarant « la première fois que tu es resté sans voix… ».
Le film se poursuit ensuite par des images d’hommes dont le visage exprime une mimique de satisfaction lors de l’essayage des chaussures de travail Red Ego. La voix féminine déclare : « Laisse-toi surprendre une fois de plus, il te suffira d’essayer les toutes nouvelles Red Ego de U-Power, pour ressentir une légèreté qui te laissera sans voix… ».
2. Les arguments échangés
– Les plaignants considèrent que cette publicité sexualise tant la femme que le jeune enfant.
Selon eux, la publicité est sexiste car la femme est placée comme objet de consommation (pendant la première séquence, en comparaison aux chaussures).
Pour l’un des plaignants, la construction de la mise en scène fait un parallèle entre l’essai de la chaussure en question et une fellation, eu égard au plan de coupe où on ne voit que le haut du corps des hommes, aux expressions des visages, au fond musical qui a déjà une connotation sexuelle.
– La société U-Power a été informée, par courriel avec accusé de réception du 16 mai 2025, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.
La société n’a pas présenté d’observations.
– L’Alliance des Médias TV Vidéo (ADMTV) a également été informée de la plainte, par courriel avec accusé de réception du 16 mai 2025.
Son représentant observe qu’une régie a diffusé le spot, suivant en cela l’avis positif de l’ARPP.
– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) explique que le film publicitaire en cause a été soumis à l’ARPP, en mars 2025 dans le cadre du dispositif d’examen avant diffusion de la publicité télévisée. Au préalable, elle avait été consultée par la société IMD Média, membre de l’ARPP, sur un projet présenté sous forme de découpage images.
Lors de l’analyse du projet, l’Autorité a relevé que :
- le propos est de promouvoir des chaussures à usage professionnel de la gamme RED EGO dont la légèreté est sensée surprendre l’utilisateur au point de le « laisser sans voix », ce qui est traduit par la signature finale : « Une légèreté qui vous laissera sans voix » ;
- pour ce faire, l’idée créative axée sur la surprise, montre la mimique de plusieurs hommes découvrant la légèreté de la chaussure qu’ils essayent (qualifiés comme étant « restés sans voix») et l’associe au même sentiment de surprise que peut ressentir un enfant qui assiste à son 1er concert ;
- le tout est traduit par la voix hors champ qui déclare : « La première fois que tu es resté sans voix » puis « Laisse-toi surprendre une fois de plus ».
- La construction du film ne traduit donc aucune ambiguïté quant à la présence de l’enfant, à savoir, illustrer ce sentiment de surprise : il se tient devant une scène de spectacle et observe, avec un regard émerveillé, une jeune femme qui chante, un micro à la main, devant un musicien, comme le ferait un fan devant son idole ;
- la chanteuse est certes vêtue d’une jupe courte mais cette tenue vestimentaire demeure décente et rien dans sa posture ou son attitude ne peut être qualifié de provocant ou contraire à la dignité au regard des règles déontologiques ;
- si le regard de l’enfant est tourné vers le haut, ce plan traduit le point de vue de tout spectateur situé en contrebas de la scène lors d’un concert, sans qu’on puisse y voir une allusion à caractère sexuel.
L’ARPP ajoute que, comme pour tout message publicitaire mettant en scène une femme, le story-board initial a été examiné au regard de notre Recommandation « Image et respect de la personne », notamment le point 2 qui prohibe toute valorisation de situations de sexisme. De plus, une vigilance particulière est portée, de manière générale, à la mise en scène d’un enfant, en particulier au regard du point 3 de la Recommandation qui vise au respect de la dignité et de la décence.
Le projet n’a à ce titre fait l’objet d’aucune réserve et la version finalisée du film, bien que comportant de légères modifications par rapport au story-board initial, a pu être validée : elle n’est en effet pas apparue comme véhiculant un stéréotype sexiste à l’encontre de la femme ni comme propageant une image de l’enfant portant atteinte à son intégrité ou sa dignité.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP prévoit :
- En son préambule que « Le respect de la dignité de la personne humaine est un principe universel…. Les communications commerciales doivent respecter la dignité humaine et ne doivent pas inciter ou cautionner aucune forme de discrimination, notamment fondée sur l’origine ethnique ou nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. » ( 2 Responsabilité sociale alinéa 1 du Code ICC sur la publicité et les communications commerciales).
- En son point 1.1., que « la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité ou de choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence« ;
- En son point 2 que : «La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. » ; « La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »
En outre, la Recommandation « Enfant » de l’ARPP prévoit en son point 3 (Dignité, décence) que :
- « 3.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou de provoquer en propageant une image de l’enfant portant atteinte à sa dignité ou à la décence.
- 2 La publicité ne doit pas mettre en scène l’enfant dans des situations susceptibles de le dévaloriser ou de porter atteinte à son intégrité physique ou morale. »
Le Jury relève que la publicité critiquée correspond à un film qui s’ouvre sur un plan centré sur un petit garçon vu de dos qui voit, sur une scène éclairée par des projecteurs, une chanteuse habillée de longues bottes en cuir, d’une jupe courte et d’un débardeur.
Une voix, d’abord en voix off, déclare : « la première fois que tu es resté sans voix… » puis une femme apparaît à l’écran, sur fond blanc et, s’adressant au téléspectateur, enchaîne en se dirigeant vers ce dernier, tout sourire : « laisse-toi surprendre une fois de plus » puis elle poursuit, à nouveau en voix off : « il te suffira d’essayer les toutes nouvelles Plus U-power… » tandis que se succèdent, d’abord un gros plan sur une paire de chaussures puis des plans de plus en plus rapides, d’hommes vus en portrait uniquement et présentant tous des mimiques de très grande satisfaction, le tout sur un fond musical évoquant la Vie parisienne d’Offenbach (et plus exactement le french cancan).
Le plan initial, avec son cadrage, à hauteur d’enfant, laisse penser que l’on voit la chanteuse à travers les yeux de ce petit garçon qui présente une mimique de stupéfaction (ébahi, les yeux écarquillés et la bouche ouverte). Or ce cadrage donne aussi à voir, principalement, non pas le visage de la chanteuse mais bien son corps et, en particulier ses jambes alors qu’elle danse de façon assez suggestive.
Surtout, cette première scène qui s’apparente à la découverte d’un émoi nouveau par l’enfant prend son sens lorsqu’on la place en perspective avec la suite du film qui joue manifestement sur la notion de plaisir masculin en le sexualisant de manière explicite.
Elle semble en effet assimiler le fait d’enfiler les baskets promues par l’annonceur, au plaisir éprouvé par une succession d’hommes qui manifestent, sur des modes variés, une expression de plaisir quasi extatique avec un cadrage où on ne voit pas le bas de leur corps, ce qui peut laisser imaginer que ce ne sont pas seulement les chaussures qui leur procurent un tel plaisir.
Ce cadrage et ce montage, soulignés par une musique qui renvoie, dans l’imaginaire collectif, plus ou moins consciemment, aux nuits parisiennes du Moulin rouge et de Montmartre, suggèrent ainsi au spectateur qu’essayer pour la première fois cette paire de basket procurera autant de plaisir que la découverte de la sexualité.
Il en ressort, dans ce contexte, d’une part, une utilisation du corps de la femme à travers cette chanteuse qui se déhanche sur scène et qui est réduite à un objet de désir au même titre qu’une paire de basket, et, d’autre part, une sexualisation inappropriée de l’enfant auquel l’on prête, par anticipation, et en miroir des hommes adultes, des émois assez similaires à ces derniers.
Il résulte de ce qui précède que la publicité en cause méconnaît les règles déontologiques précitées.
Avis adopté le 13 juin 2025 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.