TOTAL ENERGIES

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Plaintes fondées

Avis publié le 15 mars 2023
TOTAL ENERGIES – 886/22
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société TotalEnergies, lors d’une séance tenue le 2 décembre 2022 sous la forme d’une visioconférence,
  • l’avis délibéré ayant été adressé aux plaignants ainsi qu’à la société TotalEnergies, laquelle a introduit une demande de révision,
  • la procédure de révision prévue à l’article 22 de ce règlement ayant été mise en œuvre,
  • après avoir invité les personnes intéressées à faire valoir leurs observations et avoir entendu, lors de la seconde séance tenue par visioconférence le 8 mars 2023, les conclusions de M. Grangé-Cabane, Réviseur de la déontologie publicitaire, ainsi que les représentants de la société TotalEnergies,
  • et, après en avoir débattu, dans les conditions prévues à l’article 22 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 14 juin 2022, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société TotalEnergies, pour promouvoir son projet de gaz naturel liquéfié au Qatar.

Le texte du tweet est le suivant : « Nouveau jour historique pour @TotalEnergies au #Qatar_energy pour participer au plus grand projet de #GNL bas carbone du monde. Il renforcera notre portefeuille mondial et contribuera à la sécurité énergétique de l’(drapeau de l’Europe)… ».

Au-dessous figure un lien vers le site totalenergies.com présentant la photographie d’un site d’exploitation de gaz naturel liquéfié et le titre « Qatar : TotalEnergies, première entreprise sélectionnée pour s’associer à QatarEnergy… »

2. La procédure

La société TotalEnergies a, dans un premier temps, été contactée par le Secrétariat du JDP, par courrier du 19 juillet 2022, pour recueillir des précisions et justifications concernant la véracité des allégations employées, en particulier l’allégation « bas carbone » mise en cause par les plaintes dont copies lui ont été transmises.

La société a, par courrier du 3 octobre 2022, adressé des éléments de réponse.

Elle a, par suite, été informée, par courriel avec avis de réception du 28 octobre 2022, de l’examen des plaintes et de sa communication ainsi que des dispositions dont la violation est invoquée, lors de la séance du 2 décembre 2022.

3. Les arguments échangés

Les plaignants soutiennent en substance que cette communication est mensongère en ce qu’elle associe le projet promu à une opération « bas carbone » alors que, selon eux, le GNL n’est pas une énergie bas carbone.

L’une des plaintes se borne à indiquer « Total Energies parle de projet “Bas Carbone” à propos d’un projet de Gaz Naturel Liquéfié ».

Un autre plaignant ajoute que, au vu des enjeux climatiques et des perspectives d’évolution du climat validé par le GIEC, il est trompeur de parler de bas carbone pour du gaz naturel liquéfié (GNL).

Il relève que les objectifs de limitation du réchauffement climatique imposent une réduction d’émission carbone à moins de 2 tonnes de CO2 par an et par individu. Dans ces conditions et avec une combinaison renouvelable/nucléaire (qui sont eux bas carbone avec environ 40g/ CO2 par kWh pour le nucléaire et l’éolien et 70 pour le solaire), il considère qu’il est irresponsable d’évoquer que le GNL puisse être bas carbone.

Selon ce plaignant, la publicité joue sur la différence entre un absolu et un relatif. Absolument le GNL ne peut pas être bas carbone, relativement il peut l’être un peu moins que hier. Mais ce faisant il usurpe dans l’esprit du consommateur l’appellation d’énergie bas carbone.

Il ajoute que la publicité se garde bien d’indiquer la valeur de cette réduction relative.

Il rappelle que, même en émettant 45 % de moins que le charbon, le GNL reste à des quantités 5 fois supérieures aux équivalents renouvelable et nucléaire et que le GIEC comme le scénario RTE appellent à la fin des émissions fossiles, surtout pour le transport routier. Il importe selon lui de ne pas perdre d’argent pour une solution que les scientifiques et les États, par les rapports du GIEC, considèrent comme une mauvaise solution.

La société TotalEnergies a fait valoir, dans sa première réponse que, en premier lieu, les plaintes sont irrecevables : d’une part, le tweet visé par la plainte ne constitue pas un message publicitaire. Il se borne en effet à relayer un communiqué de presse publié par TotalEnergies sur son site internet.

Ce communiqué de presse a vocation à informer les parties prenantes de l’entreprise, et en particulier ses investisseurs, de sa sélection en vue d’une nouvelle prise de participation dans un projet de GNL. A ce titre, le tweet a été publié par le compte « TotalEnergies Press », chargé de la diffusion des communiqués de presse sur le réseau social Twitter. Comme l’ensemble des tweets émis par ce compte, le tweet en cause n’est pas sponsorisé. Le tweet ne fait que renvoyer vers le communiqué de presse en reprenant, de manière synthétisée, les informations y figurant, à savoir la sélection de TotalEnergies dans le cadre d’un appel d’offres, son partenaire et les caractéristiques principales du projet concerné (localisation, taille, caractéristique bas carbone). Aucun de ses termes n’a de visée promotionnelle. Comme le communiqué de presse qu’il relaie, le tweet en cause est purement informatif.

Selon l’annonceur, à défaut de présenter un caractère promotionnel, le tweet en cause ne peut être qualifié de message publicitaire. Il ne relève dès lors pas de la compétence du Jury d’examiner les plaintes dirigées contre ce tweet, qui sont par suite irrecevables.

D’autre part, les plaintes ne satisfont pas les conditions de recevabilité de l’article 11 du Règlement intérieur. En effet, aux termes de l’article 11 .1 du Règlement intérieur, à peine d’irrecevabilité : « La plainte doit comporter une copie ou une reproduction de la publicité mise en cause ou, à défaut, indiquer le plus précisément possible où et quand cette publicité a été diffusée ».

Or, à l’exception de la première plainte, datée du 16 juin 2022, qui est la seule dans laquelle le contenu de la communication critiquée est reproduit, les quatre autres plaintes ne se réfèrent que de manière très imprécise à la communication en cause.

Il ne ressort par ailleurs pas des copies des plaintes transmises que celles-ci indiqueraient spécifiquement où et quand la communication a été diffusée. Elles ne comprennent aucune indication précise permettant d’identifier la communication mise en cause.

En outre, l’article 11.1 du Règlement intérieur du JDP prévoit que, pour être recevable: « la plainte doit être clairement motivée, c’est-à-dire indiquer de façon précise en quoi la publicité mise en cause soulèverait un problème déontologique. Toutefois, le plaignant n’est pas tenu, à peine d’irrecevabilité, d’invoquer formellement une des règles déontologiques mentionnées à l’article 2.2. Il appartient au Jury d’identifier, au vu de l’argumentation soulevée, les règles déontologiques applicables. ».

Bien qu’elle identifie précisément la communication en cause, la première plainte se limite à faire valoir, dans le champ « Plainte », que : « Total Energies parle de projet « Bas Carbone » à propos d’un projet de Gaz Naturel Liquéfié. » Cette plainte n’indique pas de manière précise en quoi la communication en cause soulèverait un problème déontologique et ne fait d’ailleurs valoir aucune critique.

Aucune des cinq plaintes ne satisfait à l’ensemble des conditions requises par l’article 11.1 du Règlement intérieur. Elles sont par conséquent irrecevables.

En deuxième lieu, l’annonceur fait valoir que le tweet est conforme aux règles de déontologie publicitaire sur la véracité des allégations.

Plus précisément, les plaignants mettent en cause la véracité de la caractéristique « bas carbone » du projet de production de GNL faisant l’objet de la communication en cause.

A titre liminaire, il convient de préciser que la caractéristique « bas carbone » employée dans la communication visée par les plaintes ne porte pas sur le GNL de manière générale, comme cela ressort des plaintes, mais sur un projet précisément identifié, dit « North Field East » au Qatar.

Le tweet en cause évoque en effet clairement le « plus grand projet de GNL bas carbone du monde ». Le communiqué de presse du 12 juin 2022, vers lequel renvoie le tweet, se réfère également à ce « projet de GNL bas carbone » dans un paragraphe dédié. Ce paragraphe, qui apporte des explications sur cette caractéristique « bas carbone », vise à ce titre « le projet » et « les installations » de production de GNL: « Un projet de GNL bas carbone Portant une attention particulière aux enjeux environnementaux et climatiques, le projet adoptera les standards les plus élevés pour réduire les émissions. Le CO2 natif associé à la production du gaz sera capté et séquestré dans un aquifère salin. De plus, les installations seront connectées au réseau électrique du pays qui fournira une part croissante d’électricité renouvelable — en ligne avec l’ambition climat du Qatar — grâce au projet solaire géant Al Kharsaah qui est prévu de démarrer en 2022 et dont TotalEnergies est partenaire. »

Aussi, tout en promouvant le passage du charbon au gaz naturel, TotalEnergies a pour ambition de réduire les émissions de la chaîne de valeur du gaz et de réduire progressivement les émissions de méthane associées, pour tendre vers zéro émission de méthane sur ses actifs opérés.

Les principaux objectifs et résultats de TotalEnergies à cet égard sont publics et peuvent être consultés dans le Sustainability & Climate 2022 Progress Report. Ceci étant précisé, comme indiqué dans le communiqué de presse susvisé, que le public peut aisément consulter en cliquant sur le lien inséré dans le tweet en cause, plusieurs éléments justifient la caractéristique « bas carbone » du projet de GNL North Field East :

  • « Le CO2 natif associé à la production du gaz sera capté et séquestré dans un aquifère salin. Plus précisément, environ [X] % du CO2 natif (présent naturellement dans le gaz) associé à la production du gaz dans le cadre du projet North Field East ne sera pas libéré dans l’atmosphère, mais sera capturé puis séquestré dans une formation géologique sous-terraine (aquifère salin). Cette technique, employée pour la première fois dans un projet de GNL au Qatar dont TotalEnergies est partenaire, vise à séquestrer 2,2 millions de tonnes de CO2 par an pendant toute la durée d’exploitation du projet.
  • De plus, les installations seront connectées au réseau électrique du pays qui fournira une part croissante d’électricité renouvelable — en ligne avec l’ambition climat du Qatar — grâce au projet solaire géant Al Kharsaah qui est prévu de démarrer en 2022 et dont TotalEnergies est partenaire.

Pour la première fois au Qatar, l’usine de GNL de North Field East sera connectée au réseau électrique national. Ce raccordement permet de réduire la capacité de la centrale électrique de l’usine, qui utilise des turbos générateurs émetteurs de CO2. Cette centrale a en effet pu être dimensionnée pour répondre uniquement au besoin de consommation d’électricité en période hivernale, plus faible que pendant la période estivale de fortes chaleurs (soit 5 turbos générateurs au lieu de 10). Le surplus de demande électrique pendant l’été sera fourni par le réseau électrique national. A cet égard, dans le cadre de ses engagements climatiques, le Qatar a pour objectif d’augmenter significativement la part d’électricité renouvelable dans son mix énergétique (environ 11% en 2026 lors du démarrage des trains GNL, et 18% d’ici 2030). TotalEnergies contribue à cette décarbonation du mix énergétique du Qatar à travers un projet solaire géant de 800 Mégawatt dont nous sommes partenaires (dit « Al Kharsaah »). La première phase de ce projet, d’une capacité de 400 Mégawatt, a démarré en juillet 2022 et alimente le réseau électrique national. La seconde phase doit démarrer à la fin de l’année 2022.

  • le projet « North Field East » adoptera les standards les plus élevés pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

A ce titre, d’autres actions seront mises en place :

  • Le projet n’effectuera aucun torchage de routine, qui consiste à brûler en continu du gaz émis lors de la production, émettant ainsi des gaz à effet de serre ;
  • Un système de récupération des gaz d’évaporation lors du stockage du GNL et lors des opérations de chargement sera mis en place, limitant ainsi la libération de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ;
  • Dans une optique d’efficacité énergétique, un système de récupération de la chaleur est mis en place sur chacune des turbines à gaz du procédé de liquéfaction du gaz naturel.

L’ensemble de ces actions, qui sont significatives tant en termes de réductions d’émissions que d’investissements et d’innovation, permettra au projet de GNL North Field East de maintenir les émissions de gaz à effet de serre à l’un des niveaux les plus faibles parmi les projets du portefeuille GNL de TotalEnergies.

L’annonceur ajoute que conformément aux critères d’investissement de la société, North Field East contribuera ainsi à baisser l’intensité moyenne des émissions de gaz à effet de serre (Scope 1+2) de l’entreprise pour ce type de projets.

Pour l’ensemble de ces raisons, TotalEnergies considère donc que la caractéristique « bas carbone » du projet North Field East employée dans la communication en cause est pleinement justifiée, étayée et qu’elle n’induit pas le public en erreur.

Lors de la séance, les représentants de la société ont repris l’ensemble de ces éléments et rappelé que le document n’est pas publicitaire en ajoutant que ce compte twitter «TotalEnergies Press » ne disposait pas de budget publicité. Ils ont précisé que projet était le « plus grand du monde » en termes de volumes de production. Ce projet fait partie de ceux qui sont les moins émetteurs de CO2 parmi l’ensemble de la gamme proposée par l’annonceur, puisqu’il est le deuxième sur quatorze projets, le détail relevant du secret des affaires. Ils ont insisté sur le fait que l’objectif était d’informer sur le projet en question, lequel pouvait être qualifié de « bas carbone », et non sur le GNL en général.

3. L’avis délibéré par le Jury le 2 décembre 2022

Lors de sa séance du 2 décembre 2022, le Jury a adopté un avis qui conclut que la communication en cause constitue une publicité et qu’elle méconnaît les dispositions des points 2.1, 2.3, 3.1, 4.1 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

4. La procédure de révision et les conclusions du Réviseur de la déontologie publicitaire

L’affaire a été réexaminée lors de la séance du 8 mars 2023 au cours de laquelle le Réviseur de la déontologie publicitaire a présenté les conclusions suivantes :

« A) Procédure

1) Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 14 juin 2022, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, afin de se prononcer sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société TotalEnergies, pour promouvoir son projet de gaz naturel liquéfié au Qatar.

Le texte du tweet est le suivant : « Nouveau jour historique pour @TotalEnergies au #Qatar_energy pour participer au plus grand projet de #GNL bas carbone du monde. Il renforcera notre portefeuille mondial et contribuera à la sécurité énergétique de l’(drapeau de l’Europe)… ».

Au-dessous figure un lien vers le site totalenergies.com présentant la photographie d’un site d’exploitation de gaz naturel liquéfié et le titre « Qatar : TotalEnergies, première entreprise sélectionnée pour s’associer à QatarEnergy... »

2) Après échange devant le Jury des arguments présentés respectivement par les plaignants et l’annonceur TotalEnergies, le JDP, sous la présidence de sa Vice-Présidente, délibère le 2 décembre un avis par lequel il estime que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitées des points 2.1, 2.3, 3.1, 4.1 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Le 12 décembre, cet avis est communiqué aux parties prenantes à l’affaire, en leur précisant notamment les facultés de Révision prévues par le Règlement intérieur du Jury et en leur demandant de conserver la confidentialité de l’avis tant que celui-ci “n’est pas définitif ni mis en ligne sur le site internet du JDP”.

Le 2 janvier 2023 (à 18.21)), l’annonceur saisit le Jury d’un courriel avec accusé de réception pour faire valoir :

  • qu’il a pris connaissance de la publication de cet avis sur le site Internet du JDP,
  • que cette publication est intervenue sans que soit prise en compte, ni même mentionnée, la demande en Révision présentée par TotalEnergies le 23 décembre (soit dans les délais prescrits pour ce faire),
  • que TotalEnergies sollicite donc que l’avis soit immédiatement retiré du site JDP.

Dès le lendemain matin (09.37) l’avis litigieux est dé-publié du site.

Des recherches approfondies menées au secrétariat du JDP, il ressort que la demande de Révision de TotalEnergies a été envoyée à une adresse de messagerie différente de celle à laquelle l’annonceur était invité à répondre et que par suite elle n’a pas été traitée par les services du Jury.

Dès qu’il est saisi de cette demande, le Réviseur la juge recevable et la fait communiquer aux plaignants initiaux pour recueillir leurs observations éventuelles. Il n’a, dans les délais impartis, reçu aucune réponse.

3) A partir des divers éléments du dossier, le Réviseur de la déontologie publicitaire se rapproche alors de la Présidente de la séance du JDP au cours de laquelle a été élaboré l’avis en cause et il procède avec elle à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé son avis.

Compte tenu des difficultés (rappelées ci-dessus) qu’a connues la demande de Révision, le Réviseur estime que cette demande doit, au bénéfice d’une seconde délibération, être soumise à l’analyse du JDP, afin de permettre à ce dernier de la prendre en compte dans l’avis définitif qu’il établira.

Au cours de cette séance, tenue le 8 mars 2023, le Réviseur, sur le fond de l’affaire, adresse au Jury les conclusions qui suivent.

B) Moyens et arguments de Révision

L’annonceur, en Révision, soulève :

  • une question de compétence ;
  • un problème de fond.

1) TotalEnergies estime d’abord que le JDP, par l’avis en litige, a outrepassé sa compétence en se prononçant sur un message qui ne présente aucun caractère publicitaire.

La thèse de l’annonceur, développée de manière détaillée, consiste à soutenir que la communication en cause ne présente aucun caractère publicitaire ni promotionnel, mais n’a qu’un objectif informationnel. Au soutien de cette affirmation, TotalEnergies ne présente pas moins d’une dizaine d’arguments, plusieurs se recoupant.

a) le fait que, selon TotalEnergies, le Tweet en cause “se borne à strictement relayer le communiqué de presse publié le même jour” ne lui dénie pas à soi seul un éventuel caractère publicitaire si le communiqué de presse qu’il reprend présente un tel caractère.

Au surplus, le Tweet en cause certes renvoie au communiqué de presse, mais en des termes (cités par l’annonceur) incontestablement laudatifs, voire emphatiques, et à ce titre non dépourvus d’un réel caractère publicitaire (“TotalEnergies, première entreprise sélectionnée pour s’associer à QatarEnergy dans le méga projet GNL North Field East” ;  “Nouveau jour historique pour @TotalEnergies au #Qatar, sélectionnée par @qatar_energy pour participer au plus grand projet de #GNL bas carbone du monde. Il renforcera notre portefeuille mondial et contribuera à la sécurité́ énergétique de l’[Europe]“).

b) le fait que, selon la demande en Révision, le Tweet en débat relaye un “communiqué de presse destiné à l’information du marché, des parties prenantes et des investisseurs de TotalEnergies” ne suffit pas à retirer à ce Tweet ou au communiqué de presse un caractère valorisant pour l’annonceur, appuyé sur les informations contenues dans ces messages.

Il ressort en effet des termes mêmes de cette communication que son caractère informationnel ne lui ôte pas une autre dimension, incontestablement positive, valorisante et favorable à l’annonceur qui l’émet ; ces messages comportent ainsi des “bénéfices” pour TotalEnergies, notamment en termes d’image. La communication en litige possède donc un caractère incontestablement “promotionnel” qui s’ajoute à son objectif “informationnel”. De ce point de vue, l’annonceur ne conteste d’ailleurs pas, dans son mémoire en Révision (p. 5 ; § 6), que “ces informations soient de fait favorables à TotalEnergies, en ce qu’elles caractérisent un succès commercial…”.

c) le fait que ce message ait été publié sur le compte “TotalEnergies Press, chargé de la diffusion des communiqués de presse du groupe et distinct du compte Twitter général de TotalEnergies” ne suffit pas à ôter à ce message son caractère commercial, lequel relève au premier chef de son contenu et non de son mode de diffusion.

d) les obligations de transparence, notamment légales, qui s’imposent à TotalEnergies en tant que société cotée, d’une part ne sont pas contestées par l’avis critiqué, d’autre part sont en tout état de cause sans influence sur le caractère publicitaire que revêt le message en litige.

e) dans son recours en Révision, l’annonceur reprend le “faisceau d’indices” qu’a retenu l’avis critiqué pour établir le “caractère promotionnel” d’un message, et TotalEnergies n’en conteste nullement les éléments – même s’il estime que ces éléments devraient “conduire à écarter le caractère publicitaire du message”.

f) Les comparaisons entre les avis rendus par le Jury dans différentes affaires dont il a été précédemment saisi ne peuvent avoir valeur probante au soutien de la demande en Révision, dès lors que le JDP se prononce toujours de manière spécifique sur chaque publicité donnée, et que deux campagnes ne se ressemblent jamais parfaitement.

g) le caractère incitatif et donc publicitaire d’un message peut notamment résulter d’un avantage en termes d’image qu’il apporte éventuellement à l’annonceur – ce que semble méconnaitre TotalEnergies.

h) le fait que l’information diffusée par le message en litige soit, comme le soutient l’annonceur, “par ailleurs véridique, objective et factuelle” (p. 7 ; § 7) ne suffit pas à lui dénier tout caractère publicitaire, sauf à poser que par principe la publicité ne pourrait jamais être véridique, objective ou factuelle.

i) le fait que l’annonceur ait entendu, par le message en cause, s’adresser non pas “à tous publics” mais à ses “parties prenantes dont en particulier les investisseurs de TotalEnergies” n’a pas pour effet d’empêcher un consommateur quelconque d’y accéder ; l’annonceur ne prétend d’ailleurs pas être en mesure de restreindre la diffusion de son message à un public strictement circonscrit (ce que l’avis en cause reconnait implicitement, quand il fait référence à “sa diffusion à tous publics sur Tweeter”).

Au surplus, et en tout état de cause, la dimension ou l’étendue du public accessible ou exposé à un message publicitaire est sans influence sur la conformité dudit message aux règles déontologiques en vigueur ; n’y aurait-il qu’un seul consommateur victime de manquements à la déontologie, que ces manquements seraient constitués.

j) Pour conclure, le Réviseur constate que le Jury, par l’avis en litige, estime que cette publicité, “au regard de la nature de la communication, de l’objet sur lequel elle porte, des termes employés, de la mise en scène ou des visuels utilisés et des incitations que le message comporte explicitement ou qu’il induit”, n’est pas dépourvue de caractère publicitaire.

A la lecture du message incriminé, le Réviseur observe que, par son analyse, le JDP n’a entaché son avis d’aucune appréciation manifestement erronée ou déformée de ce message ; pas plus n’a-t-il méconnu le sens ou la portée des dispositions qui fondent sa compétence.

C’est donc à bon droit que le Jury a estimé qu’il était conforme à sa mission de se prononcer sur les plaintes dont il était saisi à l’encontre dudit message, et qu’il n’a par suite pas outrepassé sa compétence.

L’argument tiré de l’incompétence du Jury ne peut donc être retenu.

2) Au fond, et à titre subsidiaire (dans ses “observations complémentaires”), TotalEnergies soutient que, contrairement à ce qu’a estimé le Jury, sa communication respecte la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Plus précisément, la société conteste l’avis du JDP :

  • à propos de la notion de “bas carbone”,
  • sur le gaz comme énergie de transition.

a) Contrairement à ce que sous-entend l’annonceur à partir d’un extrait de l’avis en litige (sur le rapport du GIEC d’avril 2022), le Jury admet tout à fait, dans sa démonstration, que “cette opposition de principe entre les énergies fossiles [gaz, pétrole et charbon] et les énergies « bas carbone » [productions hydroélectriques, photovoltaïques ou éoliennes] n’interdit pas cependant l’utilisation de ce dernier terme dans un autre contexte, notamment pour qualifier un projet global” ; mais il n’admet cette exception qu’à la condition que l’allégation n’induise pas le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable et que l’annonceur indique dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées”.

De ce point de vue, le Jury a reconnu que TotalEnergies “ne soutenait pas que le GNL était une énergie bas carbone par nature, mais seulement que le projet en question pouvait être qualifié de « bas carbone »”.

Mais il a aussi constaté que la communication en cause est critiquable au motif que “rien ne permet d’identifier en quoi le projet serait le « plus grand du monde » et que ne sont pas mentionnés les critères qui permettraient de le qualifier ainsi”.

b) L’avis contesté poursuit ainsi sa démonstration :

“En second lieu, le Jury constate que ni le texte du tweet ni le site de l’annonceur [auquel renvoie le Tweet] n’exposent le lien entre ce projet et une réduction de la production d’énergie provenant du charbon, ni pourquoi cette transition permettrait en l’espèce de « réduire les émissions de la chaîne de valeur du gaz ». Il considère donc que les renvois proposés ne s’accompagnent pas de précisions chiffrées permettant l’utilisation de l’allégation « bas carbone » pour qualifier la production de GNL et que le seul fait que ce projet fasse partie de ceux qui sont les moins émetteurs de CO2 parmi l’ensemble de la gamme proposée par l’annonceur ne suffit pas à justifier l’allégation « bas carbone »,  de sorte que la publicité, d’une part, ne respecte pas l’exigence de précision et de clarté du message prévue par les points 2.3, 3.1 et 4.1 de la Recommandation « Développement durable », d’autre part, est de nature à induire en erreur le consommateur sur la réalité tant du projet North Field que des qualités du GNL en général, au sens des points 2.1 et 7.1 de la même Recommandation. 

Pour critiquer ce raisonnement, l’annonceur s’appuie sur les propos du PDG de TotalEnergies figurant dans le communiqué de presse en cause, selon lesquels “c’est une bonne nouvelle pour la lutte contre le changement climatique, car le gaz et le GNL sont essentiels pour soutenir la transition énergétique, et notamment le passage du charbon au gaz dans de nombreux pays”.

Mais la Révision ne peut s’appuyer sur une affirmation aussi générale, qui ne satisfait pas “à l’exigence de précision et de clarté du message prévue par les points 2.3, 3.1 et 4.1 de la Recommandation « Développement durable » ” mentionnée à juste titre dans l’avis contestée.

Au surplus l’annonceur ne produit, en Révision, aucun élément complémentaire attestant de la véracité ou de la proportionnalité du message.

De tout cela il résulte que TotalEnergies, en Révision, n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que l’avis en litige estime “que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitées des points 2.1, 2.3, 3.1, 4.1 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable ».

La demande en Révision ne peut donc qu’être rejetée au fond.

C) Conclusions

Des analyses qui précèdent, le Réviseur conclut que :

  • la demande en Révision de TotalEnergies est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • compte tenu des conditions d’instruction de cette demande, et pour que celle-ci puisse être soumise à l’analyse et aux appréciations du JDP, il est nécessaire de procéder à une seconde délibération de l’affaire dans les conditions prévues par le Règlement intérieur du Jury ;
  • ni l’incompétence du JDP ni la critique sérieuse ou légitime (au sens de l’Article 22.1 du Règlement) invoquées contre l’Avis en litige ne peuvent être considérées comme fondées.

Réviseur demande au Jury, dans son avis définitif :

  • sur le fond : de confirmer que la publicité en cause ne respecte pas les points 2.1, 2.3, 3.1, 4.1 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP ;
  • en la forme : de compléter ou corriger son avis initial, dans le sens des observations qui précèdent, afin de prendre en compte les divers moyens et arguments soulevés lors de la Révision. »

5. Les arguments présentés lors de la séance du 8 mars 2023

Lors de cette séance, la société TotalEnergies a repris en substance son argumentation et a insisté sur les points suivants.

S’agissant de la procédure suivie par le Jury et la publication prématurée de l’avis non définitif, elle a souligné l’atteinte portée au droit à un procès équitable, que la procédure de révision vise précisément à en garantir le respect. Elle a fait état du préjudice que cette publication avait causé à la société. Elle a précisé que la demande de révision avait été adressée à l’adresse de messagerie dont émanait la notification de l’avis et l’information selon laquelle il était possible d’en solliciter la révision.

S’agissant de la compétence du Jury, la société a, à titre liminaire, mis en garde le Jury sur une interprétation trop extensive de son champ d’intervention et le risque d’immixtion dans la communication institutionnelle et de marché des entreprises, avec des conséquences de nature réputationnelle, économique voire géopolitique.

En ce qui concerne la communication mise en cause par les plaignants, elle a rappelé qu’il s’agissait seulement de relayer un communiqué de presse annonçant un partenariat commercial, c’est-à-dire de diffuser une information de marché à l’intention des investisseurs conformément aux obligations pesant sur une société cotée comme TotalEnergies. Cette information ne concerne pas directement le consommateur final dès lors qu’est en cause le marché primaire et qu’il ne s’agit en rien de promouvoir une solution commercialisée par l’entreprise. Il n’appartient pas au Jury, sur la base des règles de la déontologie publicitaire, de porter une appréciation sur ce partenariat commercial.

Le caractère non publicitaire de la communication est conforté par plusieurs indices : le compte de diffusion, qui s’adresse à la presse (TotalEnergies presse), les mentions de contact (relations média / relations investisseurs) et la publication du communiqué sur le site institutionnel, dans la rubrique consacrée aux actionnaires.

La société estime ainsi que tout a été mis en œuvre pour respecter la réglementation et ne pas s’exposer à la qualification de publicité.

S’agissant enfin du fond, la société a confirmé que le projet qatari était bien le plus grand projet d’exploitation de GNL au monde. Elle s’est à cet égard interrogée sur la pertinence de l’avis du Jury sur ce point. Elle a précisé qu’elle devait être extrêmement vigilante sur sa communication à l’égard de ses partenaires et qu’elle ne saurait être tenue de diffuser des informations couvertes par le secret des affaires. Elle a enfin estimé justifié le recours à l’allégation « bas carbone » compte tenu des caractéristiques du projet et, notamment, des dispositifs de captage et stockage du carbone (CCS), du recours à l’énergie solaire et de la proximité du champ exploité et des infrastructures de production permettant de réduire au strict minimum les transports de matières.

6. L’avis définitif du Jury

6.1. Sur la procédure suivie devant le Jury

Le Jury rappelle qu’en vertu du point 20.1 de son règlement intérieur, ses avis sont publiés sur son site internet à l’expiration du délai permettant aux personnes concernées de former une demande de révision ou, si une demande de révision a été introduite dans ce délai, à l’issue de la procédure de révision.

En l’espèce, ainsi que le relève le Réviseur de la déontologie publicitaire, une demande de révision est parvenue au Jury dans le délai imparti à TotalEnergies pour ce faire. L’adresse de messagerie à laquelle cette demande a été envoyée (secretariat@jdp-pub.org) était celle à partir de laquelle l’avis provisoire avait été notifié mais non celle, utilisée par l’ensemble du secrétariat du Jury, à laquelle l’annonceur avait été auparavant invité à présenter ses observations sur la plainte initiale (info@jdp-pub.org). Or la première messagerie n’a pas été relevée en temps utile, de sorte que le Jury a pensé, à tort, que l’avis avait acquis un caractère définitif à l’expiration du délai de révision. C’est la raison pour laquelle cet avis a été publié quelques jours plus tard sur le site internet du JDP. Cette erreur est imputable au Jury, l’annonceur pouvant légitimement penser que sa demande de révision avait été réceptionnée par ses services et traitée en temps utile.

Il a toutefois été mis fin immédiatement (en moins de douze heures) à la publication de cet avis provisoire, dès que TotalEnergies a porté cet état de fait à la connaissance du Jury, et un courriel d’explication et d’excuses a été adressé par le Président du Jury au directeur de la communication du groupe. Si l’avis prématurément publié a été commenté dans la presse, celle-ci a également fait état de sa dé-publication en raison d’une erreur et de son caractère provisoire du fait de la mise en œuvre de la procédure de révision.

La procédure de révision a en outre été conduite dans les conditions prévues par le règlement intérieur et a amené le Jury, à l’invitation du Réviseur de la déontologie publicitaire, à en délibérer de nouveau, à la lumière des conclusions de ce dernier et des observations écrites et orales de l’entreprise, et d’ailleurs dans une composition différente de celle qui avait rendu l’avis provisoire.

Le Jury rappelle enfin, comme il le fait régulièrement et comme il est indiqué sans ambiguïté sur son site internet, qu’il n’est ni une juridiction, ni une autorité administrative, et qu’il n’est investi d’aucun pouvoir de sanction. Le principe du « droit à un procès équitable » évoqué par TotalEnergies, qui est d’ailleurs dépourvu de tout lien avec la mise en ligne de l’avis, ne s’applique donc pas à son activité. Conformément à son règlement intérieur, le Jury veille toutefois, dans son fonctionnement, à garantir le caractère contradictoire de la procédure de traitement des plaintes et la loyauté des échanges, gages d’efficacité et de légitimité de son action. Ces exigences ont été respectées dans la présente affaire.

6.2. Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle que, selon le point 2.1. de son règlement intérieur, il lui appartient de se prononcer sur le respect des règles déontologiques par tout « message publicitaire », commercial ou non commercial, à l’exclusion de la propagande électorale et des documents de nature politique ou syndicale.

Constitue un message publicitaire tout contenu porté à la connaissance du public par une personne publique ou privée ou pour son compte, et qui a pour objet principal d’assurer la promotion d’une marque que celle-ci exploite, d’un produit ou d’un service qu’elle propose, de cette personne elle-même, notamment son image de marque auprès du public, ou d’une personne qui lui est liée, ou encore d’une action qu’elle mène ou d’une cause qu’elle défend. Le caractère promotionnel de l’objet de la communication s’apprécie sur la base d’un faisceau d’indices incluant principalement son contenu propre, en particulier le caractère éventuellement valorisant, laudatif, incitatif, emphatique, percutant et/ou ramassé du message, la mise en scène ou la mise en forme et les éléments visuels utilisés, qui peuvent contribuer à conférer à la communication une forme publicitaire, ainsi que les modalités et le contexte de sa diffusion. Le message publicitaire peut présenter un caractère commercial et constituer, le cas échéant, une « communication commerciale » au sens du préambule du code de communications « ICC Publicité et marketing » de la Chambre de commerce internationale, ou ne revêtir aucun caractère commercial.

En revanche, le Jury n’est pas compétent pour examiner les communications dont l’objet principal est de porter à la connaissance du public des informations factuelles, sans visée promotionnelle, notamment pour respecter des obligations légales ou réglementaires de transparence (rapports de gestion, document d’enregistrement universel, rapports extra-financiers…), quand bien même ces informations contribueraient à valoriser l’image de l’entreprise. Tel est le cas, par exemple, d’un rapport extra-financier publié par une entreprise sur son site internet qui se borne à informer les tiers des actions qu’elle mène en matière de responsabilité sociale et environnementale (avis du JDP n° 816-22 du 14 mars 2022), et des communiqués de presse qui se bornent à rendre publiques des informations privilégiées, conformément au règlement européen du 16 avril 2014 relatif aux abus de marché et sous la surveillance de l’Autorité des marchés financiers.

En l’espèce, le Jury constate que le partenariat commercial de TotalEnergies au Qatar dont traite la communication en cause a fait l’objet, le 12 juin 2022, d’un communiqué de presse, publié sur le site internet de l’entreprise, qui comprend des informations de marché rendues publiques conformément aux obligations pesant sur elle, assorties de mentions d’avertissement. Ce communiqué n’étant pas, en lui-même, critiqué par les plaintes, lesquelles ne visent que le tweet décrit au point 1 du présent avis, il n’appartient pas au Jury, en tout état de cause, de se prononcer sur ce document. De même, les conditions de diffusion de ce communiqué sur le site internet de l’entreprise, dans une rubrique dédiée aux actionnaires, ou encore la mention des contacts dans ce communiqué (« relations médias » et « relations investisseurs ») sont dépourvues de la moindre incidence sur la qualification du tweet, tout comme la diffusion concomitante d’un autre communiqué de presse émanant de la direction générale du Trésor.

Le Jury constate que le tweet critiqué, s’il émane du compte « TotalEnergies presse », ne se borne pas à renvoyer au communiqué de presse. Il s’ouvre sur une formule laudative et emphatique, certes reprise des propos tenus par le Président directeur général de l’entreprise tels que retranscrits dans le communiqué (« Nouveau jour historique pour @TotalEnergies au #Qatar »). Il comporte des éléments visuels qui ne figurent pas dans le communiqué de presse (icônes « poignée de mains », « goutte d’eau » et « drapeau de l’Europe », ainsi qu’une grande photo d’un site d’exploitation de gaz naturel liquéfié) et qui sont évocateurs de la forme publicitaire, étant précisé que la circonstance, évoquée par TotalEnergies, que ces éléments ne soient pas eux-mêmes critiqués n’empêche nullement le Jury de les prendre en compte pour qualifier la communication en cause. Il comprend l’allégation écologique valorisante « bas carbone ». Enfin, sa diffusion sur un réseau social, qui rend le message accessible en ligne à toute personne comme le montrent les quatre plaintes de particuliers dont le Jury a été saisi, n’apparaît pas commandée par les obligations pesant sur l’entreprise au titre de la réglementation sur les abus de marché. Le Jury relève à cet égard que, selon l’article 17 du règlement européen sur les abus de marché et la doctrine de l’AMF (notamment le guide de l’information permanente et de la gestion de l’information privilégiée), le communiqué de presse publié sur le site internet de l’entreprise est la modalité essentielle et première de publicité des informations privilégiées, la diffusion de ces informations sur les réseaux sociaux se concevant seulement comme une modalité facultative, complémentaire et seconde.

Au total, aux yeux du Jury, l’objet principal de ce tweet est de promouvoir l’image de l’entreprise auprès du grand public et, en particulier, de vanter les mérites écologiques du projet industriel dont elle est partie prenante. La circonstance que le projet ne concerne pas directement le consommateur final est à cet égard sans incidence, alors surtout que l’association d’une entreprise à un projet qualifié de « bas carbone », qui valorise globalement l’image de marque de cette entreprise, est de nature à inciter des consommateurs, soucieux de minimiser l’empreinte écologique de leurs pratiques de consommation, à recourir aux services que celle-ci propose.

Dans ces conditions, le Jury estime que cette communication présente le caractère d’un message publicitaire relevant de son champ de compétence. Il précise que cette compétence n’implique pas, contrairement à ce qu’indique l’annonceur, qu’il porte une appréciation sur le partenariat commercial en cause, qu’il s’immisce dans la stratégie de l’entreprise ou qu’il procède à un « contrôle généralisé de sa communication d’entreprise ».

6.3. Sur la recevabilité des plaintes

6.3.1. S’agissant de l’identification de la publicité

Il résulte du 4° de l’article 11-1 du règlement intérieur du Jury de déontologie publicitaire que la plainte doit comporter une copie ou une reproduction de la publicité mise en cause ou, à défaut, indiquer le plus précisément possible où et quand cette publicité a été diffusée. Cette condition de recevabilité doit être regardée comme remplie dès l’instant que le Jury est en mesure d’identifier avec certitude la publicité critiquée.

Le Jury relève que les plaintes en cause ont soit comporté un lien vers le tweet, soit l’ont décrit d’une manière qui a permis son identification, l’annonceur ne prétendant pas au demeurant n’avoir pas identifié la communication critiquée.

La publicité en cause est donc clairement identifiée.

6.3.2. S’agissant de la motivation des plaintes

Aux termes du point 5° de l’article 11.1 du même règlement intérieur, la plainte doit être clairement motivée, c’est-à-dire indiquer de façon précise en quoi la publicité mise en cause soulèverait un problème déontologique. Toutefois, le plaignant n’est pas tenu, à peine d’irrecevabilité, d’invoquer formellement l’une des règles déontologiques mentionnées à l’article 2.2. Il appartient au Jury d’identifier, au vu de l’argumentation soulevée, les règles déontologiques applicables.

Si les reproches formulés par les plaignants ne renvoient pas à des manquements aux règles déontologiques énoncées par l’ARPP, le Jury considère qu’elles permettent de comprendre la nature des reproches adressés à la publicité en cause, notamment la formulation « Total Energies parle de projet « Bas Carbone » à propos d’un projet de Gaz Naturel Liquéfié » qui exprime l’idée qu’un projet de GNL ne saurait en aucune manière, selon le plaignant, être qualifié de « bas carbone ». L’association des deux termes incompatibles serait donc, comme l’ont relevé d’autres plaignants, de nature à induire en erreur le consommateur.

Par suite, et contrairement à ce qu’indique l’annonceur, les plaintes sont recevables.

6.4. Rappel des règles déontologiques applicables

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, prévoit que :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »

  • au titre de la proportionnalité du message (point 3) :

« 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissible. »

  • au titre de la clarté du message (point 4) :

« 4.1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ; / 4.6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée. »

  • au titre du vocabulaire (point 7) :

« 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable ».

6.5. Analyse de la conformité de la campagne publicitaire critiquée aux règles déontologiques

Le Jury constate que les quatre plaintes dont il est saisi critiquent l’allégation selon laquelle le projet serait « le plus grand projet GNL bas carbone du monde » et, plus précisément, le qualificatif « bas carbone » attaché au projet de production de gaz naturel liquéfié.

L’annonceur a précisé en réponse aux plaintes et, à nouveau, en séance, qu’il ne soutenait pas que le GNL était une énergie bas carbone par nature, mais seulement que le projet en question pouvait être qualifié de « bas carbone ».

Le Jury relève que la notion de « bas carbone » ne répond pas à une définition unique et communément admise. Ainsi que le relève le rapport du GIEC d’avril 2022, sont usuellement considérées comme des sources d’énergie « bas carbone » les productions hydroélectriques, photovoltaïques ou éoliennes, tandis que le gaz, le pétrole et le charbon sont qualifiés d’énergies fossiles. Il est vrai que, à plusieurs reprises, ce rapport évoque, dans les solutions bas carbone, les énergies fossiles assorties de la mise en place de dispositifs de captage et de stockage du carbone (dits « CSC »), en rappelant aussi les incertitudes liées à ces technologies en développement et leurs limites. Le Jury observe en outre qu’un décret du 28 novembre 2018 a créé un « Label Bas-Carbone » favorisant le financement de projets permettant de réduire les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, « y compris par séquestration de gaz à effet de serre », qui ont lieu sur le territoire français. Toutefois, ce label, qui répond du reste à un cahier des charges précis, en particulier pour ce qui concerne la situation de référence à l’aune de laquelle apprécier les efforts de réduction d’émissions, bénéficie aux projets qui ont spécifiquement cet objet, et non à la construction de nouvelles infrastructures polluantes intégrant des dispositifs de séquestration de carbone. Enfin, la « stratégie nationale bas carbone » (SNBC) portée par les pouvoirs publics ne comporte pas de définition de ce terme « bas carbone », y compris dans le lexique qui lui est annexé.

Eu égard à la complexité de ces questions et aux débats auxquels elles donnent lieu, le Jury estime que les annonceurs doivent faire preuve d’une particulière vigilance et d’une grande clarté dans l’utilisation de cette notion de « bas carbone », en se plaçant du point de vue d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Ces exigences sont renforcées par l’imprécision de l’expression et par son caractère valorisant, tout particulièrement dans l’allégation « le plus grand projet … bas carbone du monde », un tel qualificatif étant de nature à influencer les choix et comportements du public sensible à cette problématique. En outre, si le terme « bas carbone » évoque une production dont le bilan carbone serait significativement amélioré par rapport à une situation de référence, pour se positionner à un niveau « bas » en valeur absolue, il importe que cette situation de référence soit clairement décrite si elle n’est pas immédiatement intuitive. Le seul fait qu’un produit ou un service fasse partie de ceux qui sont les moins émetteurs de CO2 parmi l’ensemble d’une gamme des produits et services du marché en cause ne suffit pas à justifier en soi l’emploi d’une telle allégation.

En l’espèce, le Jury constate que le tweet explicite la notion de « bas carbone » à travers le renvoi au communiqué de presse, lequel fait état de la captation et de la séquestration de CO2 natif dans un aquifère salin et de la connexion des installations au réseau électrique du Qatar qui fournira une part croissante d’électricité renouvelable, grâce à un projet solaire géant (Al Kharsaah). Il ne peut donc être fait grief à cette publicité de ne pas préciser l’acception qu’elle entend retenir de cette notion.

Sur le fond, ces arguments, en particulier les dispositifs « CSC » sont repris par l’annonceur dans ses observations, lesquelles mentionnent d’autres caractéristiques du projet de nature à limiter les émissions de gaz à effet de serre qui y sont associées (moindre utilisation de moyens de transport en raison de la proximité entre les champs et les installations de traitement, absence de torchage de routine, récupération des gaz et de la chaleur…).

Toutefois, si les dispositifs CSC, qui ne procèdent en l’espèce qu’à une séquestration partielle des émissions, et ces différentes caractéristiques du projet peuvent être valorisés par des allégations faisant état d’une réduction de l’impact carbone en comparaison d’autres projets identifiés ou de standards déterminés, ils ne suffisent pas à justifier que soit attaché le qualificatif de « bas carbone » à un « méga-projet » de production de gaz naturel liquéfié comme celui de l’espèce, qui n’est pas assimilable à des projets portant sur les énergies renouvelables ou sur l’énergie nucléaire. En outre, ni le tweet, ni le communiqué auquel il renvoie à des fins d’explicitation, lequel fait état, de façon vague, des « standards les plus élevés », n’indique la situation de référence à l’aune de laquelle le projet en question devrait être considéré comme « bas carbone ». L’ambiguïté est renforcée par le fait que le communiqué attribue à TotalEnergies la qualité de « troisième acteur mondial du GNL bas carbone » grâce à ses « usines de liquéfaction dans toutes les zones géographiques », lui permettant de détenir une « part de marché mondiale de l’ordre de 10 % » avec un « portefeuille global de près de 50 Mtpa à l’horizon 2025 », alors que ces éléments se rapportent à la totalité de la production de GNL du groupe. Ces éléments laissent ainsi entendre que l’ensemble de la production de GNL de l’entreprise serait « bas carbone », indépendamment des caractéristiques des différents projets et des infrastructures existantes. Enfin, ainsi qu’il a été dit précédemment, le fait que ce projet ferait partie de ceux qui sont les moins émetteurs de CO2 parmi l’ensemble de ceux qui sont développés par l’annonceur ne permet pas davantage de justifier cette allégation.

Au total, eu égard à l’interprétation qu’un consommateur moyen, correctement informé et normalement attentif et avisé est susceptible de donner de la notion de « bas carbone », en particulier dans le contexte français du développement des énergies renouvelables et de la place importante accordée à l’énergie nucléaire dans la stratégie de lutte contre le réchauffement climatique, au détriment des énergies fossiles et à la sensibilité particulière du corps social à ces problématiques, le Jury estime, à la suite du Réviseur de la déontologie publicitaire, que, au sens et pour l’application des règles déontologiques précitées, la publicité critiquée n’exprime pas avec justesse l’action de l’annonceur et est de nature à induire en erreur le public sur la réalité de l’incidence environnementale des activités de TotalEnergies en lien avec le projet de production de GNL concerné.

Par conséquent, sans sous-estimer l’ampleur des investissements et des efforts consentis par l’annonceur pour que ce projet soit le moins impactant possible sur le plan environnemental, le Jury, dont l’avis ne porte en aucun cas sur le respect des obligations qui pèsent sur l’entreprise au titre de la diffusion de l’information financière, sous le contrôle des autorités compétentes, considère que le tweet critiqué n’est pas conforme aux points 2.1, 2.3, 3.1 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable ».

Avis adopté le 8 mars 2023, en présence du Réviseur de la déontologie publicitaire, par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Boissier ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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