SNCF – Internet – Affichage – Plainte fondée 

Avis publié le 5 décembre 2022
SNCF – 878/22
Plainte fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la Fédération Nationale de l’Aviation et de ses Métiers (FNAM), plaignante, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 28 septembre 2022, d’une plainte émanant de la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (FNAM), tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux publicités en faveur de la société SNCF Voyageurs.

La première publicité en cause, présente sur le site internet sncf.com sous la forme d’un dossier de presse intitulé « Planète Voyages », énonce : « Voyager en Train à Grande Vitesse c’est 50 fois moins de CO2 émis que pour un voyage en voiture et 80 fois moins qu’en avion » ? … CO2… 50 x moins que la voiture – 80 x moins que l’avion… ».

La seconde figure sur les motrices de la SNCF et comporte les mentions juxtaposées :
«  « CO2* », « 50 X moins que la voiture », précédée d’un pictogramme d’automobile, et « 80 X moins que l’avion », précédée d’un pictogramme d’avion.

2. Les arguments échangés

La FNAM, plaignante, énonce que la société SNCF a publié le 26 janvier 2021 le document « Planète Voyages » affirmant en page 3 – graphique à l’appui – que « Voyager en Train à Grande Vitesse c’est 50 fois moins de CO2 émis que pour un voyage en voiture et 80 fois moins qu’en avion » (document consultable à l’adresse mail suivante : https://www.sncf.com/sites/default/files/press_release/DP_NR_Planete_voyages_260121_0.pdf). Ce document est encore en ligne sur le site de la SNCF. Cette affirmation figure également sur les motrices de la SNCF et a encore pu être relevée au mois de septembre 2022.

Les chiffres généraux faisant l’objet de cette affirmation ne sont pas corroborés par le calculateur même de la SNCF disponible à l’adresse suivante : https://www.sncf-connect.com/train/comparateurco2. A titre d’exemple, le calcul des émissions CO2 d’un parcours Paris-Toulouse tant au moyen du calculateur de la SNCF que celui de l’ADEME aboutit à un résultat éloigné du chiffre de 80 fois moins rendu public par la SNCF.

Au-delà de cette différence manifeste, le niveau des émissions de CO2 attribué à la SNCF bénéficie d’un mix énergétique français très décarboné par rapport à celui que l’on peut trouver dans des pays européens voisins mais également de l’absence d’une prise en compte des émissions de CO2 relatives à la construction des infrastructures.

Une étude présentant a priori tous les gages de sérieux et réalisée pour le compte du ministère des Transports en 2018 montre ainsi qu’en réintégrant ces différents facteurs, le « 80 fois moins polluant » que s’attribue la SNCF par rapport à l’avion serait en réalité 7 à 8 fois avec le mix énergétique français et « seulement » 3 avec le mix européen.

Les chiffres figurant dans les publicités de la SNCF ne reflètent pas la réalité des performances respectives du train et de l’avion en matière d’émissions de CO2. Ces publicités contreviennent donc à la fois à la Recommandation de l’ARPP en matière de développement durable relative à la véracité des actions et la proportionnalité des messages et à celle relative aux résultats d’enquête ou de marché.

La FNAM précise qu’elle n’a pas pour objectif d’opposer les différents modes de transport et, en particulier, l’avion et le train. Elle ne conteste pas le potentiel écologique du TGV, sous réserve toutefois que les conditions de densité de trafic et d’électricité propre soient réunies. Néanmoins, le consommateur devrait être informé de manière objective et précise.

Cette publicité apparaît d’autant plus regrettable que les chiffres contestés sont repris sans vérification dans de nombreuses publications créant des références inexactes quant aux performances environnementales comparées des différents modes de transport.

Lors de la séance la FNAM a indiqué que la méthodologie de l’ADEME avait évolué en 2022 s’agissant du facteur d’émission de l’électricité, ce qui conduit à majorer sensiblement l’impact carbone du voyage en train et réduire, à soi seul, de 80 à 50 le différentiel moyen avec l’avion.

Elle pointe le fait que la comparaison qui figure dans la publicité est faite à distance équivalente, et non à trajet équivalent, ce qui est pourtant le plus pertinent pour le consommateur. Elle critique l’absence de prise en compte des infrastructures ferroviaires dont la réalisation est très émettrice.

Pour l’ensemble de ces raisons, la publicité est inexacte.

La société SNCF Voyageurs a été informée, par courriel avec avis de réception du 10 octobre 2022, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir tout d’abord que les éléments de publicité incriminés, le graphique et le pelliculage des motrices TGV, renvoient aux mentions suivantes : « *Lors d’un voyage à bord d’un train à grande vitesse, sur un trajet longue distance en France, vous émettez 50 fois moins de gaz à effet de serre (GES) qu’en faisant le trajet en voiture partagée et 80 fois moins qu’en avions. Découvrez l’engagement environnemental de SNCF sur sncf.com/fr/engagements/développement-durable. Source: ADEME — mai 2020. Comparaison des émissions de GES exprimées en CO2 équivalent (CO2e) rapportées au voyageur/km pour le TGV (consommation d’énergie de traction), avion court courrier et valeur moyenne voiture longue distance. Valeurs issues de la Base Carbone ADEME, dans le volet Données de l’article L 14313 du code des transports — Informations GES des prestations de transport. »

Cette mention comporte deux éléments essentiels: la source des chiffres (ADEME 2020) et le cadre juridique applicable (article L. 1431-3 du code des transports).

La société rappelle que les informations GES (gaz à effet de serre) des prestations de transport sont calculées à partir de la norme européenne NF EN 16258— Méthodologie pour le calcul et la déclaration de la consommation d’énergie et des émissions de GES des prestations de transport (fret et passagers). Un Guide méthodologique publié par le ministère de l’Ecologie et I’ADEME en précise l’application (cf. https://www.ecologie.gouv.fr/information-ges-des-prestations-transport « Information GES des prestations de transports – Guide méthodologique (PDF – 16.35 Mo) »

SNCF Voyageurs précise en outre les informations complémentaires suivantes sur la méthode de calcul et les sources d’énergie :

  • les valeurs utilisées pour la consommation d’énergie et le nombre de voyageurs transportés sont des valeurs moyennes calculées par type de moyen de transport (TGV INOUI, OUI GO, Intercités)
  • les consommations prises en compte sont les consommations totales d’énergie de l’année précédente en incluant les pertes d’électricité en ligne et tous les trajets à vide ;
  • les sources d’énergie utilisées : électricité à usage transport dont le facteur d’émission est de 38,6 gCO2e/kWh.

Ces facteurs d’émission sont donnés par l’arrêté du 26 avril 2017 pris pour application du décret n° 2017- 639 du 26 avril 2017 relatif à l’information sur la quantité de gaz à effet de serre émise à l’occasion d’une prestation de transport et ils sont repris et actualisés sur http://www.bilans ges.ademe.fr/ de l’ADEME. Pour les calculs de CO2 Train, la méthode et les données sont détaillées dans la note SNCF_DESTE_Méthode — InfoGESV2O2O certifiées par les Commissaires aux Comptes. Cette note est publique et la société SNCF la joint en annexe de son envoi.

L’article D. 1431-4 du code des transports prévoit que pour le calcul des GES des prestations de transport, ne sont pas prises en compte les émissions liées à la construction et à l’entretien des moyens de transport, ni à ceux des infrastructures.

La mention expresse de ce cadre juridique sur la publicité mise en cause permet de rejeter les griefs présents dans l’étude de Nicolas Lefevre « Bilan comparé des transports aérien et ferroviaire ». Si ceux-ci présentent un intérêt pour une juste comptabilisation des émissions de C02, ceux-ci ne trouvent pas de place dans le cadre règlementaire précis défini par l’article L. 1431-3 du code des transports et ses dispositions d’application.

Concernant la mention « 80 fois moins que l’avion », la société SNCF fait valoir que celle-ci correspond à une vérité mathématique toujours d’actualité : elle est le résultat du calcul effectué à partir des chiffres publiés par l’ADEME en mai 2020. A ce-jour, les chiffres sont les mêmes et le résultat du calcul reste inchangé.

En effet, au 14 octobre 2022, la consultation de la Base Carbone de l’ADEME, volet Données de l’article L. 1431.3 du code des transports — Informations GES des prestations de transport, permet d’obtenir les informations suivantes :

  • 1,73 gCO2e par passager pour le TGV ;
  • 141 gCO2e par passager pour l’aérien court courrier 141/1,73=81,5.

Le TGV émet 81,5 fois moins de GES que l’aérien — court courrier par passager/km (pour la campagne publicitaire, le chiffre a été arrondi à l’entier inférieur, soit 80).

La publicité faite par SNCF Voyageurs, le graphique comme le pelliculage des motrices TGV, est donc mathématiquement exact.

La société SNCF Voyageurs ajoute que, avant de lancer sa campagne publicitaire, elle a pris attache avec l’ARPP afin de faire valider le contenu de son message. Au terme des échanges, en novembre 2021, le régulateur a validé la campagne publicitaire menée par SNCF Voyageurs.

Enfin, concernant les données du comparateur SNCF Connect, la plainte met en cause le ratio affiché par SNCF Voyageurs en prenant l’exemple d’un trajet Paris-Toulouse. L’annonceur indique que le chiffre des émissions retenu par SNCF Voyageurs, de 1,73g C02, n’est qu’une fmoyenne. Certains trajets aboutissent à un différentiel différent. Ainsi, pour un trajet Paris-Marseille, le ratio émissions avion/émissions train est de 50 (85/1,7 = 50) soit moins que la moyenne de 80 affichée par la publicité critiquée.

Pour le trajet Paris-Nantes, le ratio émissions avion/émissions train est de 84 (67/0,8 = 83,75) soit plus que la moyenne du 80 affichée par SNCF Voyageurs.

L’exemple donné sur Paris-Toulouse montre un ratio d’empreinte Carbone Train vs Avion de 1 à 45, soit plus favorable à l’avion que la moyenne affirmée pour nos TGV : « 80 X moins que l‘Avion ». Ce trajet est de 713 km en train (le tracé passe par Bordeaux) alors qu’il est de 605 km en avion. Ce simple écart de distance (+18% en TGV) explique en partie l’écart observé sur ce voyage.

3. L’analyse du Jury

En premier lieu, il résulte du préambule de la Recommandation « Résultats d’étude de marché ou d’enquête » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) que cette Recommandation s’applique uniquement aux publicités qui utilisent des résultats d’étude de marché ou d’enquête visant à mesurer un comportement, une attitude ou une opinion. Or les allégations critiquées se bornent à comparer l’empreinte carbone respective du train et de l’avion pour des voyages identiques sur longue distance en France, sur la base de données techniques objectives qui ne sont pas issues de telles études de marché ou enquêtes d’opinion. Par suite, cette Recommandation invoquée par la FNAM est inapplicable.

En second lieu, la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit que :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) : « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / 2.2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ; / 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »
  • au titre de la proportionnalité du message (point 3) : « 1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. (…) / 3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. (…)».
  • au titre de la clarté du message (point 4) : « 2 Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement. (…) / 4.6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée».

Le Jury relève que la publicité figurant sur le site internet de la SNCF fait état de ce que « À titre de comparaison, voyager en TGV c’est émettre 50 fois moins de CO2 qu’en voiture et 80 fois moins qu’en l’avion ». Cette affirmation est appuyée par un graphique représentant les émissions de CO2e par voyageur pour un kilomètre parcouru, selon le mode de transport. A côté du graphique se trouve le texte suivant, en très petits caractères : « Sources : ADEME — mai 2020. Comparaison des émissions de gaz à effet de serre (GES) exprimées en CO2 équivalent (CO2e) rapportées au voyageur/km pour le train TGV (consommation d’énergie de traction), avion court courrier et valeur moyenne voiture longue distance. Valeurs issues de la Base Carbone ADEME, dans le volet Données de l’article L 1431-3 du code des transports — Informations GES des prestations de transport. »

L’article L. 1431-3 du code des transports auquel ce document se réfère prévoit que toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport de personnes doit fournir au voyageur une information relative à la quantité de gaz à effet de serre émise par le mode de transport utilisé. Selon les articles D. 1431-3 à D. 1431-5 du même code, pris pour l’application de ces dispositions législatives, l’information requise porte sur la quantité de GES correspondant à la phase de fonctionnement des moyens de transport – qui comprend toutes les opérations de transport entre l’origine et la destination de la prestation de transport, ainsi que les émissions lors des trajets de repositionnement, les trajets effectués à vide et les émissions à l’arrêt – et la phase amont de production des sources d’énergie nécessaires au fonctionnement des moyens de transport, qui comprend l’extraction, la culture des biocarburants, le raffinage, la transformation, le transport et la distribution des sources d’énergie. En revanche, ne sont pas prises en compte les émissions liées, notamment, à la construction et à l’entretien des moyens de transport, à la construction et l’entretien des infrastructures ni à la construction et à l’entretien des équipements de production des sources d’énergie.

Le Jury constate que l’allégation « 80 fois moins » est fondée sur un calcul utilisant des données de l’ADEME et la méthodologie prévue par ces dispositions auxquelles se réfère la publicité en ligne. Tout en relevant que cette méthodologie ne tient pas compte de l’incidence de la construction et de la maintenance des infrastructures et, ainsi, qu’elle occulte une partie de l’empreinte carbone imputable au recours aux moyens de transport de voyageurs, le Jury estime qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause la pertinence du choix ainsi fait par les pouvoirs publics en vue d’assurer une information loyale des consommateurs, et qu’un annonceur peut donc s’y référer sans méconnaître les règles déontologiques précitées.

En revanche, le Jury constate que la publicité en ligne n’indique pas que le chiffre de « 80 fois moins » correspondrait à un chiffre moyen. Par suite, et alors en outre que la méthodologie utilisée a pour seul objet, conformément à l’article L. 1431-3 du code des transports, de porter à la connaissance d’un voyageur déterminé les données relatives à l’émission de GES correspond au voyage qu’il effectue, et non de calculer l’empreinte carbone moyenne respective des trajets en avion et en train sur longue distance en France, pour l’ensemble des voyageurs, le lecteur peut être amené à penser que, pour tout voyage de longue distance en France, le recours au train permet d’émettre 80 fois moins de GES que le recours à l’avion. Or il ressort des éléments fournis tant par le plaignant que par l’annonceur que tel n’est pas le cas. A titre d’exemple, ce ratio est de 45 pour le voyage Paris-Toulouse, ce qui s’explique en particulier par l’écart entre les distances respectivement parcourues, dans la mesure où le TGV passe par Bordeaux.

La même critique peut être faite à la publicité apposée sur les motrices de la SNCF, dont l’annonceur indique qu’elle comporte la mention « *Lors d’un voyage à bord d’un train à grande vitesse, sur un trajet longue distance en France, vous émettez 50 fois moins de gaz à effet de serre (GES) qu’en faisant le trajet en voiture partagée et 80 fois moins qu’en avions. ». D’ailleurs, la SNCF, qui n’a pas pris part à la séance, n’a pas soutenu que cette mention ne figurait que sur des équipements roulants utilisés pour des trajets pour lesquels le ratio est d’au moins 80.

Le Jury prend note enfin de l’argument soulevé en séance par la FNAM selon lequel l’ADEME a modifié sa méthode de calcul de l’émission imputable à l’électricité, ce dont la SNCF a pris acte dans un document méthodologique produit en 2022, qui fait état d’une augmentation de 39 % du facteur d’émission français. Or les publicités figurant sur les motrices, diffusées en septembre 2022, soit postérieurement, n’en tiennent pas compte. Le Jury précise toutefois qu’il ne peut tenir compte de cet argument, invoqué tardivement et auquel la SNCF n’a pu répondre.

Il résulte de ce qui précède que, faute pour l’annonceur de préciser, à tout le moins, que le ratio de « 80 fois moins » doit s’entendre uniquement en moyenne, sur l’ensemble des trajets de longue distance en France, le Jury, qui relève au surplus que les sources et méthodes de calcul utilisées pour aboutir au chiffre allégué figurent en très petits caractères, difficilement lisibles – est d’avis que les deux publicités méconnaissent les points 2 et 4 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 4 novembre 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain et Charlot, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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