Avis JDP n° 503/18 – FOIRES ET SALONS – Plaintes fondées

Avis publié le 8 mars 2018
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’annonceur et de l’afficheur,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 6 décembre 2017, de trois plaintes émanant de particuliers et, le 11 décembre 2017, d’une plainte émanant de l’association « Femmes et Mathématiques », afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée par voie d’affichage dans le métro parisien, en faveur de trois salons de formations pour étudiants organisés en région parisienne.

La publicité en cause présente deux garçons et une fille, souriants, un dossier à la main, se détachant sur un fond coloré différent, pour présenter 3 salons concomitants organisés par l’Etudiant. Chacun est accompagné d’une inscription identifiant les thématiques abordées dans chaque salon : pour les visuels utilisant des garçons, « Grandes écoles – Commerce et ingénieurs » ou « Etudes et métiers d’avenir – Développement durable Jeux vidéos et 3D » et pour le visuel utilisant une fille « Santé, social & paramédical ».

L’affiche est complétée par les dates et lieu de l’événement.

2. Les arguments échangés

– Les plaignants particuliers considèrent que cette publicité est sexiste dans la mesure où elle cantonne les femmes dans des métiers du secteur social, de la santé ou du paramédical et ne les associe pas à des formations plus prestigieuses (grandes écoles, métiers d’avenir). Elle véhicule ainsi des stéréotypes de genre que l’Éducation nationale combat.

– L’association « Femmes et Mathématiques » considère également que cette publicité est sexiste et stéréotypée : les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes opportunités de choisir toutes les études et a fortiori tous les métiers. Cela cantonne l’orientation des femmes vers la santé, le social et le paramédical, tandis que les hommes vont se diriger vers les grandes écoles et les « métiers d’avenir ». Elle ajoute, lors de la séance, que cette présentation stéréotypée a un impact insidieux quotidien qui contredit les campagnes encourageant les femmes à faire des études scientifiques.

L’association ajoute que ce n’est pas la première fois que l’Étudiant fait une campagne de publicité stéréotypée, en joignant à sa plainte trois exemples d’affiches de la campagne de janvier 2012, où il n’y a aucune image de femme positive et professionnelle.

La représentante de l’association les Chiennes de garde, présente à l’audience pour assister les plaignantes, comme le permet l’article 14 du Règlement intérieur du Jury, s’associe aux

critiques des plaignantes et ajoute que les schémas reflétés par cette publicité sont éculés et qu’il faut les combattre, que la publicité doit accompagner le changement en cours dans la société.

– La société annonceur a, par courrier recommandé avec avis de réception du 11 janvier 2018, été informée des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir, d’une part, que la campagne de publicité n’avait aucune volonté de créer un quelconque stéréotype ou sexisme et, d’autre part, qu’elle œuvre pour la mixité dans le domaine de l’éducation.

L’affiche litigieuse faisait la promotion de trois des salons ayant lieu à Paris. Cette campagne de publicité a commencé le 5 décembre 2017 et s’est terminée le 11 décembre 2017.

Nonobstant certaines plaintes, la publication a également recueilli des avis positifs qui réfutent tout stéréotype. En effet, certains ont twitté « ne nous arrêtons pas à une affiche dans laquelle chacun peut voir ce qu’il veut. L’important est ce qui est dit dans ces salons. J’étais à un salon …dimanche dernier et franchement leur discours est totalement clean sur ces sujets » ou encore « il est pourtant une réalité : il y a plus de filles en fac de médecine que de garçons et il ne me semble pas que ce soit une école de bas niveau. Stop au féminisme malsain ».

L’annonceur désire promouvoir la diversité dans ses différentes publications, c’est pourquoi contrairement à la publicité du salon de Paris, l’affiche du salon de Bordeaux qui, a eu lieu le 11 novembre 2017, faisait apparaître un garçon pour le domaine de la santé, du social et du paramédical et une fille pour les formations artistiques, communication et numérique. En outre, l’affiche du salon de Paris du 9 et 10 décembre 2017 présentait un garçon et une fille pour le thème grandes écoles commerce & ingénieurs. Une attention très particulière est portée à la mixité des genres pour la promotion des différentes filières. Par souci d’égalité, l’annonceur alterne le contenu et les images de ses publications mais ces dernières ne sont jamais motivées par une quelconque volonté de discriminer une population spécifique.

En vue d’exprimer sa bonne foi et d’apporter une réponse claire aux réactions suscitées, la Directrice générale de la société a très rapidement diffusé un communiqué en date du 6 décembre 2017 au sein duquel elle regrette le malentendu généré par l’affiche et rappelle la lutte menée pour la mixité et l’accès à la formation pour tous dans toutes les filières.

L’annonceur ajoute qu’il milite avec ferveur contre toute discrimination, notamment contre celles que subissent les femmes.

Son engagement en faveur de la mixité et de la diversité est illustré par son partenariat avec, d’une part, « Matilda Education », plate-forme portée par l’association v.ideaux, avec plus de 80 vidéos, accompagnées de ressources pédagogiques, sur les thématiques de l’égalité entre les sexes et, d’autre part, le concours « buzzons contre le sexisme », dont l’objectif est la réalisation de vidéos d’une durée de 2 à 10 minutes sur le thème de la lutte contre le sexisme.

Il a également une politique interne qui promeut cette égalité et la mixité, tant dans les intitulés des conférences que dans les sujets d’articles publiés (par exemple : « métiers de garçons ? Métiers de filles ? Bousculez les préjugés » ou encore « en français comme en maths, les filles sont plus fortes que les garçons »).

– La société d’affichage fait valoir que cette campagne a été affichée sur les réseaux exploités par sa société dans le métro parisien, sur 125 faces du réseau « couloirs », du 5 au 11 décembre 2017.

L’interprétation qui ressort des plaintes ne reflète pas l’intention de l’annonceur. La publicité affiche le soutien des académies de Paris, Créteil, Versailles, de la CPU (conférence des présidents d’université), de la région Île-deFrance et du ministère de la transition écologique et solidaire, qui ne devraient pas pouvoir être soupçonnées de sexisme.

Le choix de la jeune fille pour le salon santé, social et paramédical peut s’expliquer par une réalité sur l’orientation des jeunes femmes sur ces carrières. L’annonceur vise comme pour toute publicité ses cibles et on peut constater que les professions de santé, sociales et paramédicales sont principalement exercées par des femmes de même que les professions d’ingénieurs restent plus masculines.

Si l’on peut regretter cette situation et soutenir les actions gouvernementales et mouvements destinés à encourager une évolution de la société sur ce point, le rôle premier de la publicité reste de faire la promotion d’un produit auprès de ses consommateurs. Ainsi, le visuel critiqué ne paraît pas dénigrant à l’égard des femmes et des hommes dès lors qu’il constitue le reflet de la société actuelle.

Les plaintes formulées s’inscrivent dans le contexte de la profonde mutation de la société et de l’actuelle extrême sensibilité de ces sujets. Ce contexte fait porter notamment à la publicité un rôle social sur lequel les avis divergent : la publicité doit-t-elle anticiper les évolutions de la société ou est-elle le reflet de la société au moment de sa diffusion ?

La société d’affichage soutient la démarche engagée par l’Union des annonceurs dans le cadre de son programme « Faire » pour identifier notamment l’éventuelle récurrence de stéréotypes, qu’ils soient ou non dénigrants, afin d’en tenir compte dans les campagnes ultérieures et s’engage, si les plaintes étaient considérées comme fondées, à ne plus afficher ce visuel.

Comme tout son groupe elle reste engagée dans une démarche responsable de contrôle des publicités qu’elle affiche et demeure particulièrement vigilante sur le respect des règles déontologiques de l’ARPP.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que l’affiche en cause présente trois jeunes étudiants ou futurs étudiants, photographiés debout, chacun dans un cartouche de couleur différente. Le premier est un garçon auquel est associée la mention « Grandes écoles – Commerce et ingénieurs » ; le second est un autre garçon dans une position plus décontractée, des écouteurs autour du cou, accompagné de la mention « Etudes et métiers d’avenir – Développement durable Jeux vidéos et 3D » ; la troisième personne est une fille, accompagnée de la mention « Santé, social & paramédical ».

Le Jury comprend que cette représentation, dans un but de ciblage de son public, souhaite correspondre à une réalité sociale actuelle au sens où les études scientifiques sont davantage choisies par les garçons, tandis que les filles sont majoritaires dans les domaines médicaux, paramédicaux et sociaux.

Cependant, le Jury estime que l’association de la jeune fille aux domaines de la santé, du paramédical et du social constitue en l’espèce, et alors qu’aucune autre publicité dans le métro parisien ne présentait des jeunes femmes s’orientant vers des études scientifiques, un stéréotype.

Si l’orientation de jeunes femmes vers des métiers de la santé et du social n’est pas, en soi, dégradante, il n’en demeure pas moins que cette publicité véhicule un stéréotype réducteur dès lors qu’elle n’offre pas d’autres choix aux intéressées, alors que les jeunes hommes se voient proposer, respectivement, un salon « grandes écoles » et un salon « études et métiers d’avenir ». En assignant chaque type d’étude en fonction du genre, ce stéréotype réduit, en l’espèce, le rôle et la responsabilité des femmes et valorise, indirectement, des comportements de sexisme.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas les points 2.2 et 2.3 de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 9 février 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, MME Drecq, MM. Acker, Benhaïm, Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.