Réseau Pythagore

Affichage

Plainte fondée

Avis publié le 11 juillet 2023
RESEAU PYTHAGORE – 949/23
Plainte fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et conviées à prendre part à la séance,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 21 juin 2023, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’affiches apposées dans la commune de Chambéry par le Réseau Pythagore.

Ces trois affiches représentent :

  • un mouton maintenu au sol par des genoux d’homme, égorgé, du sang et des viscères répandus au sol. Le texte accompagnant cette image est « L’abattage islamique – crime archaïque »
  • une main d’homme tenant un couteau ensanglanté, accompagnée du texte : « Bio, local ou intensif – carnage labelisé » ;
  • un homme dans une étable, pratiquant une insémination, le bras enfoncé dans le col de l’utérus d’une vache, accompagnée du texte « Eleveur par « amour » – abuseur par profit ».

L’adresse du site Internet du Réseau est reproduite sur chaque image : « reseaupythagore.com ».

2. La procédure

Le plaignant, particulier, a sollicité la mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur.

Le Réseau Pythagore a été informé, par courriel avec avis de réception du 22 juin 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Il a également été informé que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur du Jury, lors de la séance du 5 juillet 2023 à 10 heures 30.

3. Les arguments échangés

Le plaignant considère que cet affichage constitue une incitation au racisme, quinze jours avant une fête religieuse, et comporte des images et messages choquants pour les mineurs. Il relève que l’affiche est placardée sur tous les panneaux devant les écoles de Chambéry et alentours, provoquant de la peur pour les enfants de primaire et maternelle qui ne comprennent pas ce message. Les photos utilisées restent enregistrées dans leur mémoire notamment avec le poignard tenu fermement et ensanglanté.

Le Réseau Pythagore n’a pas présenté d’observations.

4. L’analyse du Jury

4.1. Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle que, selon le point 2.1. de son règlement intérieur, il lui appartient de se prononcer sur le respect des règles déontologiques par tout « message publicitaire », commercial ou non commercial, à l’exclusion de la propagande électorale et des documents de nature politique ou syndicale.

Constitue un message publicitaire tout contenu porté à la connaissance du public par une personne publique ou privée ou pour son compte, et qui a pour objet principal d’assurer la promotion d’une marque que celle-ci exploite, d’un produit ou d’un service qu’elle propose, de cette personne elle-même, notamment son image de marque auprès du public, ou d’une personne qui lui est liée, ou encore d’une action qu’elle mène ou d’une cause qu’elle défend. Le caractère promotionnel de l’objet de la communication s’apprécie sur la base d’un faisceau d’indices incluant principalement son contenu propre, en particulier le caractère éventuellement valorisant, laudatif, incitatif, emphatique, percutant et/ou ramassé du message, la mise en scène ou la mise en forme et les éléments visuels utilisés, qui peuvent contribuer à conférer à la communication une forme publicitaire, ainsi que les modalités et le contexte de sa diffusion. Le message publicitaire peut présenter un caractère commercial et constituer, le cas échéant, une « communication commerciale » au sens du préambule du code de communications « ICC Publicité et marketing » de la Chambre de commerce internationale, ou ne revêtir aucun caractère commercial.

Le Jury constate que la communication visée par les plaintes se présente sous la forme d’une affiche comportant plusieurs visuels dont trois se rapportent à l’abattage d’animaux et le dernier à l’insémination artificielle de bovin. L’objectif de son auteur est, manifestement, de dénoncer les actes de maltraitance animale, et en particulier ceux qu’il impute à « l’abattage islamique ».

Le Jury considère que cette communication a pour objet principal de promouvoir la cause défendue par le groupement Réseau Pythagore, qui se présente sur internet comme une « organisation animaliste non conforme », en interpellant le public sur les souffrances endurées par les animaux dans les exploitations agricoles ou les abattoirs. Elle revêt donc un caractère publicitaire. En outre, si elle entend soulever un débat de société qui peut revêtir un caractère politique, l’affiche litigieuse ne constitue pas un « document à caractère politique » au sens du point 2.1. du règlement intérieur, dans la mesure où elle n’émane pas d’un parti politique, d’une personnalité politique dans l’exercice de son mandat ou de son activité politique ou d’une collectivité publique intervenant dans un débat politique, et ne présente pas un caractère électoral.

Par ailleurs, le Jury relève qu’aucune disposition de son règlement intérieur ne subordonne sa compétence au caractère licite ou non de la diffusion d’une publicité et, en particulier, ne l’exclut en présence d’un éventuel « affichage sauvage ». Au contraire, il résulte des termes mêmes de ce règlement qu’il ne lui appartient en aucun cas de porter une appréciation sur les conditions de diffusion des publicités, ce qui couvre notamment la légalité même de la diffusion, notamment au regard des règles du droit pénal.

Il en résulte que le Jury est compétent pour se prononcer sur la présente plainte. Son avis ne porte que sur la conformité du contenu des affiches aux règles déontologiques mentionnées à l’article 2 de son règlement intérieur et invoquées dans la plainte.

4.2. Sur la conformité de l’affiche aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que le Code ICC « Publicité et Marketing » de la Chambre de commerce internationale (dit code ICC) comporte les principes généraux suivants, applicables aux communications commerciales comme non commerciales :

« Article 1 – Principes élémentaires

Toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique. Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle et doit être conforme aux principes de la concurrence loyale telle qu’ils sont généralement admis dans les relations commerciales. Aucune communication ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter au marketing. »

« Article 2 – Responsabilité sociale

Les communications commerciales doivent respecter la dignité humaine et ne doivent pas inciter ou cautionner aucune forme de discrimination, notamment fondée sur l’origine ethnique ou nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. / La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance. / La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux. (…) ».

« Article 3 – Décence

La communication commerciale doit proscrire toute déclaration ou tout traitement audio ou visuel contraire aux convenances selon les normes actuellement admises dans le pays et la culture concernés.

« Art. 19.3 – Prévention des dommages

La communication commerciale ne doit comporter aucune déclaration ou aucun traitement visuel qui risquerait de causer aux enfants ou aux adolescents un dommage sur le plan mental, moral ou physique ». 

En outre, la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP prévoit :

  • En son préambule que « Le respect de la dignité de la personne humaine est un principe universel…. Les communications commerciales doivent respecter la dignité humaine et ne doivent pas inciter ou cautionner aucune forme de discrimination, notamment fondée sur l’origine ethnique ou nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. » ( 2 Responsabilité sociale alinéa 1 du Code ICC sur la publicité et les communications commerciales).
  • Et en son point 3 que « La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, au sectarisme ou au racisme. », « Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie. », « L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse. »

A titre liminaire, le Jury précise qu’il tient compte, dans la mise en œuvre des règles déontologiques dont il lui appartient d’apprécier le respect, des particularités des campagnes d’opinion, dont l’objet même consiste, le plus souvent, à sensibiliser et à interpeler le public sur un problème de société ou une cause d’intérêt général. Cet objectif légitime, ainsi que l’intérêt d’une information du public sur la réalité ou les enjeux d’une question, justifient que les annonceurs concernés disposent d’une plus grande latitude quant au contenu des campagnes qu’ils réalisent.

Le Jury veille néanmoins à ce que ces derniers fassent un usage responsable de la liberté d’expression qui leur est due et ne se livrent pas à des pratiques excessives, qui apparaissent d’ailleurs, en général, contre-productives pour servir la cause qu’ils défendent.

En premier lieu, le Jury relève que l’affiche en litige assimile « l’abattage islamique », qui doit probablement se comprendre comme une référence à la production de viande halal, à un « crime ». Or l’abattage rituel, sans étourdissement préalable, est autorisé par les dispositions de l’article R. 214-70 du code rural et de la pêche maritime. S’il est loisible à une personne de militer pour l’interdiction de cette pratique, son assimilation à un « crime », c’est-à-dire à une infraction pénale présentant un caractère de particulière gravité, contrevient à l’exigence de responsabilité sociale reprise à l’article 2 du code ICC. En outre, la dénonciation spécifique de l’abattage islamique, qui fait l’objet de deux visuels sur les quatre que comporte l’affiche, alors que l’abattage rituel sans étourdissement concerne aussi la religion juive, peut être regardée comme cautionnant une discrimination à raison des opinions religieuses.

En deuxième lieu, le Jury estime que la grande violence qui se dégage des deux premières affiches, qui représentent de façon crue un mouton égorgé, entouré de ses viscères et de sang, ainsi que la main d’un homme tenant un couteau maculé de sang, accolé au mot « carnage », excède ce qui est admissible en publicité, même pour une campagne d’opinion. Ce traitement visuel est de nature à causer un dommage sur le plan mental ou moral aux enfants, qui sont exposés à l’affiche compte tenu de son mode de diffusion.

En troisième et dernier lieu, si le visuel de la dernière affiche, qui représente un acte d’insémination artificielle et ne comporte pas de sang, ni ne représente ou ne suggère la souffrance animale compte tenu de l’angle de vue et du cadre retenu, n’apparaît pas excessivement choquant en lui-même, cette affiche méconnaît elle aussi l’exigence de responsabilité sociale dès lors qu’elle présente l’éleveur ou le vétérinaire comme un « abuseur », suggérant ainsi qu’il pratique un acte de nature sexuelle pour assouvir ses pulsions.

En conséquence, le Jury considère que la plainte est fondée.

Avis adopté le 5 juillet 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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