PETITS-FILS – Affichage – Internet -Plaintes non fondées

Avis publié le 1er avril 2022
PETITS-FILS – 824/22
Plaintes non fondées

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants et le conseil de la société Petits-fils Développement, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 19 et le 28 janvier 2022, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Petits-fils Développement, pour promouvoir son offre de services d’aide à la personne, à domicile.

La publicité en cause, diffusée en affichage, utilise le texte, en gros caractères, sur fond bleu : « Devenez Fatima – Une auxiliaire de vie à domicile, qui peut se dédier à Simone et André ».

L’un des plaignants a mis en cause la même publicité diffusée sur internet.

2. Les arguments échangés

Les plaignants considèrent, selon le cas, que le choix des prénoms pour cette publicité présente un caractère raciste, discriminatoire, choquant et/ou sexiste.

Elle assigne aux femmes d’origine arabe ou portugaise, représentées par le prénom « Fatima », le rôle de servir, comme auxiliaire de vie, des personnes françaises, comme Simon et André. Cette publicité, qui peut être violemment reçue par certaines personnes, véhicule et banalise ainsi des clichés racistes et colonialistes, portant atteinte à la dignité des personnes visées. L’une des plaintes souligne que les mots « se dédier à » sont très forts alors que le travail d’auxiliaire de vie est un métier et non un sacerdoce ou un sacrifice.

Une plaignante se borne à indiquer que le choix des prénoms l’a choquée, qu’elle porte le prénom de Fatima et qu’elle n’est pas à l’aise avec cela.

La société Petits-fils a été informée, par courriel avec accusé de réception du 4 février 2022, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle précise que Petits-fils Développement a, immédiatement après avoir eu connaissance des réactions parfois négatives suscitées par ce visuel, pris les dispositions nécessaires pour qu’aucune nouvelle affiche ne soit installée, à l’exception de celles intégrées dans un dispositif d’affichage déroulant, en raison de contraintes techniques du diffuseur. Depuis le début du mois de février, le visuel critiqué ne fait plus l’objet d’aucun affichage. La société précise toutefois que cette initiative a eu pour seul objet d’apaiser les tensions, et ne constitue pas une reconnaissance du bien-fondé des plaintes.

A titre liminaire, il souligne que si la convocation par courriel avec accusé de réception informant la société Petits-fils Développement de la procédure fait état de son droit de produire des observations écrites de « deux pages maximum hors annexes », l’article 12 du règlement intérieur du JDP ne prévoit cependant pas une telle limitation. Or la société Petits-fils, mise en cause dans le cadre d’accusations graves et devant disposer à ce titre des garanties liées au respect du contradictoire et des droits de la défense, entend exposer au JDP l’ensemble des informations concernant la campagne de publicité en cause, sans s’astreindre à un nombre limitatif de pages.

La société Petits-fils précise ensuite qu’elle a été informée par le courriel de convocation du 4 février 2022 de ce que la procédure engagée était fondée sur 11 plaintes communiquées en pièces jointes. Or ces plaintes, qui ont été anonymisées comme le prévoit l’article 12 du règlement intérieur du Jury, ne font l’objet d’aucune référence si bien qu’il est difficile d’y répondre individuellement. Surtout, un nombre important de ces plaintes apparaît irrecevable au regard des 4° et 5° de l’article 11 du règlement . D’une part, ces plaintes ne font aucunement référence au lieu d’affichage constaté par les plaignants et aucune copie ou photographie n’est versée. On ignore tout de l’affichage 3 spécifiquement visé, ce qui est contraire aux dispositions du règlement intérieur et place la société Petits-fils dans l’obligation de se justifier face à des accusations imprécises. D’autre part, les plaintes, qui se bornent à dénoncer un racisme, un colonialisme ou une discrimination ne sont pas précisément motivées.

Après un rappel de l’objet et de l’activité de la société Petit-fils, qui constitue un réseau national d’agences d’aide à domicile spécialisées dans la prise en charge de la dépendance liée à l’âge ou au handicap, ainsi que des qualifications requises d’une auxiliaire de vie et des critères de sélection qu’elle utilise, la société précise que la campagne publicitaire litigieuse s’inscrit dans un contexte de forte tension sur le recrutement de ces professionnels. Elle a décidé dès 2021 de diriger une partie importante de ses efforts de communication vers la promotion des auxiliaires de vie avec pour objectif d’en inciter le plus grand nombre à candidater auprès d’une agence Petits-fils.

A cette fin, il a été décidé de mettre en avant les avantages du modèle Petits-fils pour les auxiliaires de vie, en termes de rémunération, de flexibilité et de qualité du travail, en particulier le nombre réduit de bénéficiaires pris en charge (environ 2 ou 3 personnes dépendantes aidées par jour). Ce dernier point est un atout majeur car le secteur de l’aide à domicile est souvent décrié pour la multiplication des bénéficiaires qu’un aide à domicile doit prendre en charge au cours d’une même journée.

Soucieuse de rendre visibles ces métiers souvent méconnus et mal considérés, la société Petits-fils a souhaité associer un prénom à ce métier pour mettre en avant l’importance de l’humain dans ce secteur et pour rendre hommage à ces hommes et femmes qui chaque jour permettent le maintien à domicile des personnes âgées et handicapées.

Son choix s’est porté sur des prénoms courants, largement portés par les auxiliaires de vie du réseau Petits-fils comme au sein de la population française. Le choix d’un prénom d’homme, Christophe, était intégré dès lors qu’environ 4% des auxiliaires de vie du réseau national Petits-fils sont des hommes. En ce qui concerne le choix des prénoms des personnes âgées représentées sur l’affiche litigieuse, il s’inscrit dans le prolongement des campagnes publicitaires de l’enseigne depuis 2018 qui ont toujours évoqué « Simone » puis « Simone et André » lesquels sont ainsi devenus au fil du développement du réseau les égéries de la marque Petits-fils.

En considération de l’ensemble de ces réflexions, la société Petits-fils a procédé à une campagne publicitaire nationale à des fins de recrutement. Cette campagne est composée de 4 visuels différents (outre un cinquième visuel dédié à l’affichage dans les transports en commun utilisant le prénom Sylvie) :

  1. une affiche « Devenez Fatima Une auxiliaire de vie qui peut se dédier à Simone et André » 2. une affiche « Devenez Catherine Une auxiliaire de vie qui reste au moins 2 heures chez Simone »
  2. une affiche « Devenez Maria Une auxiliaire de vie satisfaite de son salaire »
  3. une affiche « Devenez Christophe Un auxiliaire de vie libre de choisir son planning »

Cette campagne a été déployée du 19 janvier au 8 février 2022 sur le réseau JC Decaux, réseau principal de diffusion. A cette occasion, selon un planning de déploiement en plusieurs étapes, ce sont environ 5.500 affiches et 65 écrans digitaux qui ont été apposés sur l’ensemble du territoire avec une répartition initialement prévue de manière strictement égale entre chacun des quatre visuels précités.

Selon les affichages, les différents visuels étaient soit vus isolément les uns des autres soit les uns avec les autres (exemple : affichage groupé dans une station de bus). Entre les 19 et 20 janvier 2022, le visuel « Devenez Fatima » a été posé sur 855 affichages.

Il convient de relever que cette campagne publicitaire a été particulièrement bien accueillie par un nombre important de personnes, et notamment des auxiliaires de vie. Les réactions sur les réseaux sociaux en témoignent.

En aucune manière, il n’a été question de stigmatiser une communauté : il s’agissait de valoriser un métier et de mettre en avant le fait que grâce au modèle Petits-fils, un(e) auxiliaire de vie peut exercer son métier dans les meilleures conditions. Si elle a très rapidement retiré le visuel « Fatima » en raison des réactions, elle s’est parallèlement expliquée sur sa démarche, notamment sur les réseaux sociaux, pour se défendre de toute approche discriminatoire, en mettant en exergue le multiculturalisme existant parmi les auxiliaires de vie et rendant hommage à leur engagement.

La société Petit-fils fait valoir que la publicité en cause ne méconnaît aucune règle déontologique. Les plaintes semblent reposer sur un postulat de dévalorisation du métier d’auxiliaire de vie, ce qui apparaît inacceptable pour la société Petits-fils qui œuvre pour permettre à des professionnels qualifiés d’exercer un métier essentiel dans les meilleures conditions.

Ainsi qu’il a été dit, la campagne publicitaire en cause visait les prénoms Fatima, Sylvie, Maria, Christophe et Catherine. Dans ces conditions, le JDP ne saurait considérer que le message diffusé ciblait particulièrement des prénoms d’origine étrangère. Il convient par ailleurs de relever que si la campagne publicitaire avait pris soin de ne citer que des prénoms d’origine occidentale, il aurait pu être fait grief à la société Petits-fils de diffuser un message de discrimination à l’embauche. Les accusations formulées sont dès lors infondées et injustes.

L’annonceur conteste également l’interprétation que l’une des plaintes fait de l’expression « se dédier à ». Celle-ci vise à mettre en exergue le nombre limité de personnes auprès desquelles interviennent les professionnels, comme il a déjà été dit. Cette formulation « se dédier à » signifie ni plus ni moins « être en mesure de consacrer le temps nécessaire à pleinement accompagner une personne », sans avoir à intervenir auprès de plusieurs autres sur un laps de temps réduit.

La société réfute ainsi toute atteinte à la dignité de la personne humaine, toute discrimination à raison de l’origine ou du genre et toute valorisation de sentiments d’exclusion, d’intolérance ou de sexisme. Elle conteste formellement tout message à caractère raciste. Elle soutient que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP n’a pas été méconnue.

Lors de la séance, la société a repris cette argumentation. Elle a souligné qu’aucun acteur institutionnel de la lutte contre le racisme, notamment les grandes associations, n’a porté plainte. Elle a ajouté que « Fatima » était la sainte patronne du Portugal. Elle a insisté sur le fait qu’il aurait été reproché à Petit-fils d’avoir exclu tout prénom à consonance étrangère de sa campagne. Enfin, elle a précisé que, lors de la conception de la publicité, a été évoquée l’idée d’ajouter la photo de personnes en écho aux prénoms, mais que, sur les conseils de l’agence de communication, il avait été décidé de s’en tenir aux mots, jugés plus forts.

La société d’affichage JC Decaux n’a pas présenté d’observations.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la procédure

En réponse à la société Petit-fils, le Jury précise que, de manière systématique, il invite les responsables des publicités visées par des plaintes à présenter leurs observations écrites en deux pages au maximum, hors annexes, dans la mesure du possible – c’est-à-dire en tenant compte de la teneur des plaintes ainsi que de la complexité et de la technicité de l’affaire… Cette contrainte vise à inciter les professionnels intéressés à concentrer leur argumentaire sur la question de la conformité de la publicité en cause aux règles déontologiques invoquées. Il est naturellement loisible à ces derniers de demander au Jury la possibilité de développer davantage leur argumentation lorsque l’affaire le justifie.

En l’espèce, l’annonceur a pu exposer sa position de manière complète, au-delà même de la question de la conformité de la publicité critiquée à la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP. La procédure est donc régulière.

3.2. Sur la recevabilité des plaintes

Le Jury constate que l’une des plaintes se borne à indiquer que le choix des prénoms l’a choquée, qu’elle porte le prénom de Fatima et qu’elle n’est « pas à l’aise » avec cela. Une telle motivation ne met pas le Jury à même d’identifier la règle déontologique que la plaignante entend invoquer. Cette plainte est donc irrecevable.

Tel n’est pas le cas de l’ensemble des autres plaintes, qui font directement écho à une ou plusieurs règles issues de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP rappelées ci-dessous. La teneur des observations de l’annonceur montre d’ailleurs que ce dernier ne s’est nullement mépris sur la portée des griefs visant la publicité.

3.3. Sur la conformité aux règles déontologiques invoquées

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP prévoit :

  • En son préambule que « Le respect de la dignité de la personne humaine est un principe universel…. Les communications commerciales doivent respecter la dignité humaine et ne doivent pas inciter ou cautionner aucune forme de discrimination, notamment fondée sur l’origine ethnique ou nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle. » ( 2 Responsabilité sociale alinéa 1 du Code ICC sur la publicité et les communications commerciales).
  • En son point 1.1., que « la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité ou de choquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence« ;
  • En son point 2 que : «La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. » ; « La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »
  • Et en son point 3 que « La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, au sectarisme ou au racisme. », « Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie. », « L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse. »

Le Jury rappelle à titre liminaire que les règles déontologiques n’interdisent pas en soi l’utilisation de stéréotypes dans la publicité, pas plus qu’elles ne font obligation aux professionnels de dénoncer ou de combattre les stéréotypes sociaux existants dans leur communication commerciale. En outre, le seul fait qu’une publicité représente une personne (par exemple une femme ou une personne d’origine étrangère) en train d’accomplir une action ou de se livrer à une activité déterminée ne permet pas de considérer que l’ensemble des personnes appartenant à la même ou aux mêmes catégories (les femmes, les personnes d’origine étrangère) y seraient ou devraient y être assignées, en l’absence d’éléments laissant suspecter une intention généralisatrice.

Le Jury relève que la publicité critiquée entend promouvoir le métier d’auxiliaire de vie et inciter des personnes à candidater pour exercer ce métier au sein du réseau dont l’annonceur, la société Petit-fils, est le franchiseur. Elle comporte le texte suivant : « Devenez Fatima – Une auxiliaire de vie à domicile, qui peut se dédier à Simone et André ».

Les plaignants estiment que cette publicité assigne une fonction qu’ils estiment dévalorisantes ou peu valorisantes, celle d’auxiliaire de vie, à une femme dont le prénom est à consonance étrangère, alors que les clients auxquels celle-ci « se dédie », qui pourraient librement disposer d’elle, ont des prénoms à consonance française.

Toutefois, tout particulièrement dans le contexte du vieillissement de la population, d’augmentation rapide du nombre des personnes dépendantes et alors que le maintien à domicile de ces dernières constitue un enjeu majeur, le métier d’auxiliaire de vie revêt une importance sociale éminente. Même si la reconnaissance dont il fait l’objet peut paraître en décalage avec sa contribution à la cohésion sociale, il ne saurait en aucun cas traduire l’idée d’infériorité sociale au sens de la Recommandation.

En outre, si, en l’absence de visuel permettant d’incarner les personnages dont le prénom est mentionné, le texte « Devenez Fatima » crée une certaine ambiguïté sur le sens de cette expression, qui pourrait être regardée comme un substantif désignant les personnes d’une certaine origine, l’interprétation la plus intuitive, en la rapprochant du prénom des clients (Simone et André), est que l’annonceur a simplement entendu se référer à une auxiliaire de vie, réelle ou fictive, portant ce prénom, en invitant les personnes disposant des qualifications requises à l’imiter. Cette lecture est confirmée, d’une part, par l’ensemble de la campagne publicitaire dans laquelle la publicité critiquée s’inscrit, et qui se réfère à de nombreux autres prénoms, sans référence exclusive à des personnes d’origine étrangère ou à des femmes (« Devenez Catherine », « Devenez Maria », « Devenez Sylvie » et « Devenez Christophe ») et, d’autre part, par le fait que les prénoms féminins choisis sont ceux qui sont les plus représentés parmi les auxiliaires de vie en activité au sein du réseau de l’annonceur.

Enfin, il ressort des observations de l’annonceur que ce dernier utilise les prénoms Simone et André de façon récurrente dans sa communication pour personnifier ses clients. Ce choix ne révèle donc aucune intention de consacrer une représentation sociale dans laquelle les « Français de souche » se feraient « servir » par les « Français d’origine étrangère » ou les étrangers.

Il résulte de ce qui précède que la publicité critiquée ne fait pas appel au racisme, ne cautionne ni n’incite à la discrimination à raison de l’origine ethnique, pas plus qu’elle n’induit l’idée d’infériorité des femmes d’une certaine origine en réduisant leur rôle ou leurs responsabilités dans la société. Cette communication, qui ne valorise pas le sentiment de sexisme, ne porte atteinte ni à la dignité de la personne humaine, ni à la décence.

Par suite, si le Jury comprend, dans le contexte actuel, l’émoi suscité par une certaine lecture de cette publicité prise isolément, manifestement éloignée des intentions de l’annonceur, il estime que celle-ci ne méconnaît pas les règles déontologiques précitées. Il salue l’initiative de la société Petit-fils de retirer rapidement cette publicité, d’expliquer sa démarche et de ne plus recourir aux formulations litigieuses.

Avis adopté le 4 mars 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain et MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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